CinémaHorreur

Dolls – Stuart Gordon

Dolls. 1987.

Origine : États-Unis
Genre : Oh oh oh jolies poupées
Réalisation : Stuart Gordon
Avec : Carrie Lorraine, Stephen Lee, Guy Rolfe, Ian Patrick Williams…

Période d’activité intense pour Stuart Gordon, qui avec Re-Animator est devenu à l’Empire de Charles Band ce que Roger Corman fut à l’American International Pictures : le réalisateur vedette. Très bien reçue (primée comme meilleur film à Sitges 1985), l’adaptation très libre et très gore de Lovecraft a mis en évidence le talent de réalisateur de l’ancien dramaturge provocateur venu au cinéma par le biais d’une adaptation d’une de ses pièces. Loin de n’être qu’un monument sanguinolent, Re-Animator est un chef d’œuvre de grand-guignol tonique et sardonique. Dans sa foulée, Gordon se vit confier par Charles Band deux autres productions : une autre adaptation libre de Lovecraft (From Beyond, aux portes de l’au-delà) et Dolls. Tous deux avec à peu près la même équipe : Brian Yuzna à la production, Mac Ahlberg à la photographie, Richard Band à la musique (du moins sa « supervision »), Lee Percy au montage…. Toutefois, bien qu’il n’en soit pas le scénariste, on peut aisément imaginer que des deux c’est bien Dolls qui constitue son œuvre la plus personnelle, car son sujet entre en droite ligne avec l’adaptation hautement détournée et subversive que Gordon fit de Peter Pan en 1968 lorsqu’il n’était encore qu’un étudiant en théâtre.

Par une nuit orageuse, la voiture de la famille Bower s’embourbe au milieu des bois. Une seule solution pour le père David, la belle-mère Rosemary et la fille Judy : trouver refuge au manoir situé non loin. Les époux Hartwicke, sympathiques personnes âgées, les accueillent bien volontiers ainsi que trois autres bougres en rade, Ralph et deux auto-stoppeuses sauvageonnes qu’il a ramassées en route. Les invités sont toutefois peu reconnaissants et se moquent comme d’une guigne du vieux Hartwicke et de sa passion : les poupées, qu’il fabrique à tour de bras. Il ne faudrait toutefois pas que leur mépris se fasse trop sentir, car comme tout le monde le sait les jouets ont leur vie propre, et ceux des Hartwicke ne goûtent pas trop d’être ainsi pris de haut.

Même sans avoir vu la pièce de théâtre de Gordon, il est difficile de passer à côté du thème commun à l’adaptation de Peter Pan et à Dolls. Les deux utilisent un univers marqué par l’enfance et le détournent à des fins on ne peut plus adultes : la politique pour l’un, l’épouvante pour l’autre. Mais cessons là les comparaisons basées sur des supputations et parlons uniquement de Dolls, dont l’entame nous renvoie immédiatement aux personnages trouvés à foison dans les contes. A savoir la petite fille sage, incarnation de l’innocence même, vivant sous la coupe d’une abominable marâtre menant le père de famille à la baguette jusqu’à ce que des êtres merveilleux lui viennent en aide. Par la suite, si Gordon tend à s’éloigner de la structure classique d’un conte (le scénario n’a pas grand chose d’initiatique pour la gamine, essentiellement passive), il en retient la morale condamnant les adultes terre-à-terre, cupides, sûrs d’eux-mêmes et de leurs croyances. Le point de départ et le point d’arrivée sont les mêmes que dans un conte classique, ce qui aurait pu laisser présager d’un film non seulement un peu neuneu mais aussi plombé par la reprise d’étapes obligées, les contes étant codifiés à l’extrême. Ne serait plus resté que l’imaginaire pur et dur, ce qui avec les budgets habituels délivrés par Empire (compagnie délocalisée en Italie pour des coûts moindres) et malgré le talent des techniciens impliqués n’aurait pas franchement permis à Gordon de faire du Terry Gilliam. Or, s’il ne laisse en effet guère de place au suspense et qu’il est dès le départ évident que tel ou tel personnage ne survivra pas à la « plus longue nuit du monde », le réalisateur embarque sur les chemins détournés de la comédie noire faisant de la fameuse « âme d’enfant » bien autre chose qu’un prétexte à la démagogie infantile la plus niaise (dont l’exemple le plus dégoulinant reste le Hook de Spielberg). Ainsi, quand la marâtre balance l’ours en peluche de Judy dans les bois, l’enfant ne réagit pas par un regard éploré mais bien par une imagination débridée : elle voit son ours devenir un véritable plantigrade pour mieux bouffer la mégère. Voilà le genre d’âme d’enfant que possède Judy, et que le couple Hartwicke défend à travers leurs poupées tueuses : la préservation de l’imaginaire, oui, mais point d’apitoiement : plutôt une lutte hautement ironique car prenant appui sur les jouets, ces choses pour lesquelles les adultes comme Rosemary, David et les auto-stoppeuses n’ont que du dédain. Le combat est gagné d’avance, puisque ces gens ne sont certainement pas préparés à affronter ce qu’ils ne voyaient que comme des marques de stupidité. Si le dénouement du scénario ne fait pas un pli, y compris concernant Ralph qui après quelques minutes s’émerveillait déjà des ouvrages du vieux Hartwicke en se remémorant avec nostalgie ses propres jouets, le regard porté par Gordon est au contraire extrêmement original. Les tueurs et leurs alliés, les jouets, sont tous des êtres que l’on imagine faibles (les deux personnes âgées, la fillette, le gros rêveur) mais qui portent en eux un germe appelé à écraser les adversaires au nom de l’auto-défense de leur imaginaire. Voir ces personnalités généralement vouées à susciter une pitié larmoyante se défendre de la sorte, à travers le symbole de leur naïveté (les poupées à l’ancienne, fines et délicates) a quelque chose de jubilatoire et même de transgressif. Le parti-pris va dans ce cas pleinement du côté des « assassins », sans l’ombre d’une hésitation. En cela, Gordon parvient à marier le conte traditionnel et l’humour noir des comics.

Afin de mieux mettre les victimes désignées à la merci des Hartwicke et de leurs petits protégés, Dolls les intègre dans un univers qui n’est absolument pas le leur. Ce vieux manoir, dans lequel ils ont été contraints de passer la nuit après une panne, est le stéréotype même de la bâtisse hors-normes où des choses étranges sont appelées à se produire. Par son côté douillet et suranné, la maison en elle-même semble être le fruit de l’imagination, et le directeur photo Mac Ahlberg ne s’est pas économisé pour la mettre au diapason des poupées et des petits vieux qui les couvent. Toute en couloirs sombres et en boiseries anciennes, elle inquiète autant qu’elle charme. Elle est donc l’endroit parfait pour condamner les uns et abriter les autres, tout en étant un cadre propice à « la nuit la plus longue du monde », c’est à dire à une nuit d’épouvante. Car il ne faudrait pas oublier que derrière l’aspect du détournement des contes se profile un film d’horreur, et un sacrément bon. Dans le fond, il ne s’agit que d’un jeu de massacre en nocturne de plus. Mais en plus de l’humour sous-jacent, Gordon fait preuve d’un sens pertinent de la mise en scène adapté à ses décors qui rendent palpables la présence des sinistres poupées y compris lorsque celles-ci n’apparaissent pas à l’écran. C’est même ainsi que l’endroit le plus inquiétant du film est sans conteste ce placard fermé à clef, dont le contenu ne nous est révélé que vers la fin. Que ce soit pour ceci ou pour les promenades dans les couloirs, le réalisateur joue à fond de la vieille peur irrationnelle et enfantine de ce qui se cache dans le noir. Notons la nuance : il ne joue pas sur ce qui peut se cacher, mais bien de ce qui se cache. La certitude est là, et pour le spectateur il n’y a pas de doute sur l’existence des poupées. Le tout est de savoir quand et comment. Et c’est là que Gordon agit en chef d’orchestre, composant des scènes hautement inventives qui, servies par les effets de John Carl Buechler qui parvient à imposer de véritables rictus sadiques à ces jouets (quand il ne les rend pas gores… il se fera par la suite un expert en petits monstres), brillent par leur haute teneur en dérision. Véritables machines à tuer, les poupées se rassemblent et persécutent leurs victimes jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le décalage entre les petites poupées fragiles et les humains cyniques est complétement renversé, marquant de ponctuels emballement à un humour noir omniprésent.

Dolls n’est pas un film d’horreur à l’ancienne : c’est un film d’horreur artisanal, reposant sur des structures basiques (le conte, les comics horrifiques, la vieille maison….) mais utilisées avec soin et avec une réelle affection que l’on retrouve dans la morale défendue par Stuart Gordon. Derrière le droit à l’imagination se cache tout simplement pour lui le droit à faire de l’épouvante (les Hartwicke), et pour son public le plaisir d’avoir peur (Judy), quitte à ce que cela paraisse puéril (Ralph). L’application de ce droit relève même de l’art le plus subtil (les poupées faites maison), et malheur à celui qui trouverait à y redire…

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