Diggers – Sandy Harbutt
Stone. 1974Origine : Australie
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Un orateur écologiste est assassiné alors qu’il donnait un meeting en plein air. Le tueur fut surpris par l’un des membres des Gravediggers, alias les Diggers (les croques-morts en français), un gang de motards satanistes qui traînait dans les parages. Le témoin gênant parvint à s’échapper sans que son visage ne soit découvert… et, camé au moment des faits, il oublia presqu’aussitôt ce à quoi il venait d’assister. Ne pouvant pas le savoir, le tueur et ses employeurs assassinent quelques Diggers, espérant que le témoin sera dans le lot. Le gang décide alors de chercher le responsable et de le soumettre à leur propre justice, forcément incompatible avec celle de la société. C’est pourquoi lorsqu’un flic propose d’intégrer leur bande pour les aider à mener à bien leur enquête, ils lui rient au nez. Ca ne durera pas : Stone, le flic, va sauver la vie de l’un d’entre eux, qui était en passe de se faire assassiner à son tour. La décision est alors prise d’intégrer le flic chez les Diggers…
Telle est l’intrigue de ce film australien ayant le très grand mérite d’être produit en indépendant à une époque où le cinéma des antipodes ne vivait que par le biais d’une respectable commission culturelle d’État. Peter Weir lui-même, qui démarrait alors sa carrière, dût en passer par cette commission pour réaliser son premier long-métrage cinéma, Les Voitures qui ont mangé Paris. Sandy Harbutt, le réalisateur de Diggers, s’était jusqu’ici contenté de faire l’acteur dans des productions télévisuelles, et sa seule expérience derrière la caméra fut une co-réalisation pour un documentaire de 50 minutes. Son inexpérience ajoutée au côté “série B” de son scénario ne poussa certainement pas l’État australien à l’épauler, préférant miser les rares billes dévolues au cinéma dans des films jugés plus artistiques. Mais la principale raison de la production du film en indépendant est à chercher ailleurs : Diggers n’est ni plus ni moins que l’équivalent australien de ce que Easy Rider fut pour les Etats-Unis. Cette histoire d’infiltration dans un gang de bikers par un flic dur à cuire n’est qu’une mise en condition pour une observation de l’intérieur d’un mouvement fort semblable à celui que connut l’Amérique. Bien sûr, Harbutt ne se prive pas d’illustrer le sujet de départ avec des scènes accrocheuses : caméras embarquées à l’avant ou à l’arrière des motos, combats de rue avec un gang rival, cérémonie “d’intégration” de Stone, effets de distorsion pour les scènes de drogue, le tout sur fond de musique adéquate, souvent proche du fameux “Born to be wild” de Steppenwolf… Mais tout ceci est clairement secondaire, à tel point que le film ne s’achève pas sur la résolution des meurtres et leur vengeance, mais sur le jugement de Stone à propos des Diggers une fois leur alliance terminée. Un point de vue semblable à celui que pourront avoir les spectateurs socialement intégrés, le personnage du flic n’ayant été là que pour représenter leur regard vierge de toute connaissance sur la micro-société des bikers australiens. Diggers est en fait une immersion dans la contre-culture australienne du début des années 70, et Sandy Harbutt ne se prive pas de donner son avis foncièrement positif sur la question. Son avis est un élément clef de la construction du film, qui commence avec un regard de surface très peu flatteur pour nos braves Diggers, qui sans même l’écouter insultent copieusement cet écologiste au discours pourtant plein de bon sens. Ce pré-générique épouse ainsi la condamnation à l’emporte-pièce que n’importe qui pourrait avoir sur les Diggers, qui pour ne rien aider versent dans le satanisme. La première impression est que tous ces motards forment une bande de sauvages imbéciles qui ne valent finalement guère mieux que des collégiens rebelles.
Puis arrive l’intégration de Stone, et alors nous apprenons à connaître les Diggers. Davantage en observant leurs actes qu’en écoutant ce qu’ils ont à dire. Si ce n’est que les Kawasaki remplacent les Harley Davidson, les Diggers ressemblent par bien des aspects à leurs homologues américains, témoignant ainsi de l’américanisation de l’Australie, autre pays traumatisé par le Vietnam, où la contreculture passa par le même chemin : comme eux ils se sont exclus de la société pour en fonder une nouvelle, la leur, régie par leurs lois et défendues par tous leurs membres. Au gré de ses observations, Stone constate que chez les Diggers tout le monde a le droit de s’exprimer, que le rôle du chef n’est que celui de l’officialisation des décisions (Stone fut d’ailleurs intégré après un vote), que les mœurs sexuelles sont libérées, que la drogue est autorisée et partagée, que le respect des morts est sacré, que la religion se fait sans contrainte (le prêtre sataniste est un borgne dormant un cercueil et récitant ses sermons en langage “populaire”) et qu’une fois passé la cérémonie d’intégration, le nouveau membre est tout de suite acceptée (même lui, pourtant un flic). Il apprend cela parfois à son corps défendant : puisque ces lois ne sont écrites nulle part, il apprend à les connaître en se faisant passer à tabac lorsqu’il les enfreint, peut-être convaincu que rien n’était interdit. C’est ce qui lui arrive lorsqu’il se rapproche d’un peu trop prêt d’une femme déjà prise. La sanction, c’est à dire le passage à tabac, fut prise par le premier motard qui passait par là. La condamnation une fois effectuée, tout redevient comme avant. Les Diggers forment une assemblée à la morale bien plus permissive que celle de la société, mais cette permissivité est rendue possible par un strict respect des lois établies. Et il ne vaut mieux pas les enfreindre, car la sanction peut alors se montrer terrible (c’est pour le lyncher que les Diggers recherchent l’assassin de leurs camarades). Ce fonctionnement est donc à la fois paradoxalement libertaire et violent (comme le communisme aurais-je envie de dire), et il s’oppose à la société classique, aux lois rigides ne pouvant qu’être transgressées malgré le contrôle d’une police dont l’existence aboutit à créer le fossé entre dirigeants et administrés. Ce mode de vie aboutit à une vie presque rêvée dont le flic ressent les effets positifs lorsqu’il se retrouve au QG des Diggers, dans un bunker en bord de mer. Là, l’harmonie est parfaite, au point qu’il se permet même quelques initiatives fantaisistes, comme de proposer une baignade dès le réveil, proposition acceptée par des motards qui ne sont finalement pas si sauvages qu’ils en ont l’air. Quant aux relations avec le monde “civilisé”, si elles sont faites de provocations, elles ne consistent nullement à agresser son prochain, à moins bien sûr que celui-ci l’ait cherché. Le seul but des bikers est le plaisir de vivre, de se sentir libres en parcourant les grands espaces sur leurs grosses cylindrées. La société de laquelle ils se sont exclus reste en comparaison bien plus perverse, puisqu’un homme politique cherchant à défendre l’écologie peut s’y faire assassiner par un quelconque groupe aux tendances mafieuses désireux de préserver son propre luxe. Harbutt semble apporter un soutien sans faille à ses Diggers, au point de recruter plusieurs vrais bikers des environs de Sidney pour le conseiller ou pour tenir des seconds rôles… Il se confie en plus à lui-même le rôle du chef des Diggers, et l’on peut constater qu’avec son allure de barbu / chevelu en jean il n’est pas loin de se convertir. Quant à Stone, si il doit bien finir par revenir à sa vraie vie, auprès de sa femme et de son futile club de tennis, il le fait en ayant appris à connaître les Diggers. Il en ressort avec une violence assez gore, mais il garde dans un coin de l’esprit son admiration et son envie pour ces gens libres.
Culte en Australie mais inconnu ailleurs, Diggers annonce pourtant un certain Mad Max. C’est sans surprise que l’on y trouve quelques un des acteurs qui joueront plus tard dans le film de George Miller : David Bracks, Reg Evans, Roger Ward (qui deviendra le chef de Max Rockatansky) et surtout Hugh Keays-Byrne, le futur Toecutter qui incarne ici le second du personnage de Sandy Harbutt. Si il prendra le contrepied de Diggers au sujet des bikers, difficile d’imaginer que Mad Max n’ait pas été influencé d’une manière ou d’une autre par le film de Sandy Harbutt.