Calvaire – Fabrice du Welz
Calvaire. 2004Origine : Belgique / France / Luxembourg
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Marc Stevens (Laurent Lucas) est un Franck Michaël du pauvre : c’est un chanteur itinérant pour petites vieilles de maisons de retraite belges. Un soir, sa camionnette tombe en panne dans les bois, et il part dormir à l’auberge voisine, dirigée par un certain Bartel (Jackie Berroyer), ex humoriste à la dérive depuis que sa femme Gloria, une chanteuse, l’a quitté. Bartel va alors se mettre en tête que Marc est Gloria. Ca sera le début du Calvaire pour l’idole des vieux.
Si son intrigue comporte de nombreux éléments évoquant le genre “Survival”, Calvaire n’a pourtant rien à voir avec les films américains du genre Détour mortel, Cabin Fever ou autre Massacre à la tronçonneuse 2003. Il ne ressemble même pas non plus aux survivals classiques comme le premier Massacre à la tronçonneuse, La Colline a des yeux ou Délivrance. C’est que le film est belge, et qu’il se déroule dans la campagne wallonne en en reprenant tout le côté bouseux qui caractérise une série de documentaires telle que Strip-Tease. Le film est ainsi ancré dans un réalisme forcené, dans une totale absence de glamour qui, forcément, viendra titiller le spectateur français ou belge plus que quiconque, puisqu’il s’agit d’un cadre que l’on est plus ou moins habitué à voir (et je sais de quoi je parle : je vis dans les Ardennes !). Le film se déroule dans un cadre campagnard qui n’a rien de bucolique : la forêt est ici boueuse, la brume est permanente et le soleil n’a pas droit de cité. Bartel est un homme assez fruste et semble lui aussi tout droit sorti d’un épisode de Strip-Tease : vêtements campagnards démodés, language de péquenot, humilité des moeurs… On se sent mal à l’aise face à cet homme aussi bien que face à son cadre de vie, qui nous replonge 50 ans en arrière. Quant au héros, Marc Stevens, il ne voit en Bartel qu’un pauvre homme solitaire qui pleure encore le départ de sa femme, ne voyant pas venir le calvaire qui l’attent. Du Welz prend d’ailleurs son temps pour faire commencer les choses sérieuses, et il laisse peu à peu le spectateur deviner la folie d’un Bartel qui n’a pourtant rien d’un monstre à la Leatherface. Mais quand son film démarrera, ca sera pour ne plus jamais baisser de rythme ensuite. Bartel, transformant son invité en femme, l’humiliera jusqu’à le priver totalement d’humanité. Marc ne parlera plus : il ne fera que sangloter, crier, comme un animal de la campagne.
Il n’y pas à proprement parler de gore, mais il y a en tout cas une bonne couche d’extrémisme dans ce qui arrive à Marc : ses fuites dans la forêt, dans la boue, sont déséspérées, désordonées, et évoquent bien entendu le chemin de croix du Christ et le calvaire qui s’ensuit (un calvaire étant, je le rappelle, une représentation de Jésus sur la croix). Et jamais Du Welz ne laisse de place à une porte de sortie. Hormis Bartel, les seuls autres personnages sont un homme attardé à la recherche de sa chienne égarée dans les bois, ainsi que des villageois ennemis de Bartel, mais tout aussi fous que lui, sinon pire. Le réalisateur n’épagne rien à son personnage principal, plongé dans merde jusqu’au cou et au mains de personnages bouseux tous plus malsains les uns que les autres. Le tout culminera vers la fin, dans une scène de repas de Noël où à la fois Bartel et les villageois, venus régler leur compte, feront preuve d’une sauvagerie renforcée par des mouvements de caméra et par un éclairagee rougeâtre très sombre, qui, pour l’une des deux seules fois du film, se feront remarquer par leur emphase sur l’atrocité de la situation. Le viol n’est pas loin, la violence est déjà là, et même un porc tenu en laisse sera là pour saloper davantage la vie d’un Marc plus que jamais devenu animal, qui n’agit plus que par instinct de survie.
S’il fallait comparer Calvaire à un genre de film, je le rapprocherai autant d’un Misery que d’un survival classique. La grande force du film ne réside pas vraiment dans son scénario, mais dans son réalisme, dans son cadre sale et morne, dans l’interprétation excellente de ses acteurs. Notamment Jackie Berroyer, qu’on aurait parfois tendance à prendre en compassion, et qui au même titre que les pensionnaires de la maison de retraite du début, est la victime du manque d’attention que la civilisation incarnée par Marc Stevens lui porte.
Voilà là l’un des meilleurs films francophones depuis de nombreuses années, à ranger au côté du Maléfique d’Eric Valette.