Bracelets de sang – Umberto Lenzi
Il giustiziere sfida la città. 1975Origine : Italie
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Motard intempestif, Rambo (Tomas Milian) revient poser ses guêtres pour quelque temps à Milan, ville où il a déjà acquis une certaine réputation. Mais l’endroit a bien changé, et la pègre y prospère avec des crapules du style de Conti (Luciano Catenacci), un ancien “voleur de poules” venant concurrencer la domination du vieux Paternò (Joseph Cotten), qui pour être un Parrain n’en est pas moins un homme d’honneur. La mode du moment est aux enlèvements, tel celui perpétré par Conti sur le gamin d’une riche famille locale. C’est contre ce genre de procédés que lutte Pino Scalia, employé d’une police privée, et il aimerait bien que son ami Rambo se joigne à lui… Sceptique, le motard décide quand même de le suivre brièvement, histoire de se montrer poli. Et ce qui devait arriver arriva : Scalia est retrouvé mort, probablement assassiné par les hommes de Conti, et Rambo ne repartira pas de Milan tant qu’il n’aura pas vengé son ami et mené à bien la mission que ce dernier s’était fixé.
Après quatre films, si Umberto Lenzi se révèle déjà très à son aise dans le milieu du polar à l’italienne, il ne tourne pas encore à plein régime, du moins si l’on considère qu’un film comme le très violent et très insolent Clan des pourris constitue le summum de son apport au genre. Ce qui est pour moi le cas, mais d’autres pourront légitimement attribuer ce mérite à la plus noire mais tout aussi violente Rançon de la peur, qui avait en outre le mérite d’étudier avec pertinence le climat social de ces années de plomb. Quoi qu’il en soit, et comme le prouve un film tel qu’Échec au gang, mêlant facéties “milianesques” et portée sociale, ces deux facettes étaient liées, non seulement par la présence commune de Tomas Milian, mais aussi par la décomplexion du réalisateur, plus en phase avec les exigences d’un genre urbain et direct qu’avec celles des gialli sur lesquels il s’escrimait depuis quelques années sans jamais parvenir à accoucher d’une réussite incontestable. Muni de cette assurance qui lui faisait défaut (et qui est paradoxale si l’on considère que Lenzi n’a jamais été très humble dans ses interviews, que ce soit concernant ses polars, ses gialli ou ses films d’horreur… c’est tout Umberto, ça), il a également tenté l’originalité avec ces Bracelets de sang qui se veulent une transposition du western dans le polar italien. Et pas forcément du western spaghetti, même si il y a un peu de l’homme sans nom dans ce Rambo qui tire son nom de la lecture du roman First Blood de David Morrell par Tomas Milian.
Venu de nulle part sur sa moto qui n’occupe d’autre fonction que celle d’un cheval mécanique, sans références explicites à son passé si ce n’est pour quelques allusions (notamment un coup foiré à Hambourg en compagnie de Paternò), et sans projet précis une fois arrivé à la fin de son aventure milanaise, Rambo présente bien quelques caractéristiques propres aux héros leoniens. Mais elles sont vite évaporées face aux divergences qui s’accumulent : d’une part si il est inconnu aux spectateurs, il ne l’est pas pour plusieurs protagonistes, ce qui l’empêche donc d’être cet empêcheur de tourner en rond dont la présence inopinée cachait chez Leone des motivations nébuleuses. Rambo ne cherche pas à faire enrager Conti, ni le fils impulsif de Paternò, et son double objectif reste clair : venger Scalia et récupérer le gamin pris en otage. Malgré son faciès pré-Monnezza, avec barbe, tignasse et bonnet, le personnage de Tomas Milian se veut un cowboy, urbain bien sûr, mais un cowboy à l’ancienne, coulé dans le même moule que les nobles justiciers à la John Wayne. Il prend sous son aile la veuve et le fils de Scalia, il défend -parfois en vain, ô grand drame appelant encore la vengeance- des amis faibles (un barman et une strip-teaseuse joué par Femi Benussi, apportant l’atout charme du film) et il devient le héros du gamin retenu en otage qui est pourtant l’exemple type du morveux trop propre sur lui, frère spirituel du mioche souriant des emballages Kinder surprise et qui est pourtant généralement malmené dans les films de Lenzi. Ce n’est pas dans Bracelets de sang que l’on trouvera l’immoralité chère au réalisateur, et qui procura à Milian ses meilleurs rôles, à côté de ceux tout aussi immoraux des westerns spaghetti. Malgré cela, Rambo est un personnage plaisant, car même avec des ambitions chevaleresques, Tomas Milian demeure un acteur charismatique que Lenzi est loin de rabaisser au niveau des donneurs de leçon. Ainsi, si il agit comme un bon petit soldat, il ne se détache jamais de l’individualisme du cowboy solitaire et affiche une certaine distance émotionnelle vis-à-vis des principaux évènements (la mort de Scalia, notamment). Il ne ressemble pas aux personnages de flics joués par Maurizio Merli, que la moindre broutille (au hasard, un vol à l’arraché) met dans des colères noires. De ce jeu se dégage une certaine mélancolie parsemée ici ou là d’une bonne dose de cynisme, principalement véhiculé par quelques répliques dont Lenzi a le secret : “La vie est un trou… On naît par un trou, on mange par un trou, on chie par un trou, et on finit dans un trou. Et c’est par ce trou que tu vas finir dans ton dernier trou” dit ainsi Rambo à l’homme qu’il menace de son arme.
Cette mélancolie fait écho non seulement à la nature de Rambo mais aussi à son impression face à une ville qu’il retrouve modifiée, au sein de laquelle même le vieux Parrain Paternò n’est plus que l’ombre de lui-même, ses directives étant systématiquement révisées par sa tête brûlée de fils qui l’entraîne dans une alliance avec Conti. Thème fort usité dans le western et dans le film de mafia, la transition générationnelle difficile est ici de mise, même si Lenzi ne pousse pas l’analyse bien loin. A la rectitude des anciens est en train de succéder l’arrivisme des nouveaux venus, des petites frappes qui sont parvenues au sommet sans une once de classe, comme le prouvent encore le kidnapping du gosse ou les pressions imposées aux petites gens. Rambo est tout simplement là pour leur infliger une bonne leçon, ce dont aucun de ses ennemis n’a conscience malgré les mises en garde du sage Paternò senior. Ce qui nous amène à la violence dont Lenzi s’est fait l’apôtre dans le polar italien.
Bracelets de sang n’est pas un film politique, et pour revanchard qu’il soit, Rambo n’incrimine en rien le laxisme de la police régulière. Ce serait tirer sur l’ambulance, puisque les flics sont complétement largués, relégués à être les assistants sociaux des parents en souffrance. La violence de Lenzi se fait donc ici modérée, c’est principalement celle d’un homme seul face à des gangs, entretenant la filiation du film avec les westerns, à ceci près qu’il n’y a aucun véritable duel chorégraphié mais des fusillades relativement standard. Pour trouver trace des fulgurances lenziennes, il faudra se rabattre sur de rares scènes pas forcément liées à Rambo, mais qui ont le mérite de montrer les méthodes sans foi ni loi de Conti et du fils Paternò : le passage à tabac de Femi Benussi, le règlement de compte entre dealers… Des scènes ponctuelles, qui contrairement à ce que l’on peut voir dans d’autres films de Lenzi n’impriment pas leur folie sur l’ensemble du film. Ce sont des illustrations, non une finalité, et Lenzi a su rester raisonnable, sans quoi il aurait sérieusement parasité le ton mélancolique de son film (déjà que la musique pourtant agréable de Micalizzi n’y soit pas follement adaptée…). Il se rabat ailleurs, sur un autre type de scènes d’action qui cette fois ne sont pas basées sur la complaisance : les scènes motorisées, et plus exactement les poursuites en moto de Rambo. Peu nombreuses mais marquantes, elles jouent avec réussite sur la sensation de vitesse et de liberté et sont les moments forts d’un film honorable à défaut d’être génial, qui n’apportera rien à la réputation de Lenzi si ce n’est de prouver son habileté à l’intérieur d’un genre finalement assez ouvert aux influences, ici celle du western. Il serait d’ailleurs bon de comparer Bracelets de sang avec les westerns véritables réalisés par Lenzi, histoire de voir la maturité que lui a fait gagner ses collaborations récurrentes avec Tomas Milian, acteur influent capable de tirer un film bateau vers le haut… comme c’est un peu le cas présentement.