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Beatrice Cenci – Lucio Fulci

beatricecenci

Beatrice Cenci. 1969

Origine : Italie 
Genre : Drame historique 
Réalisation : Lucio Fulci 
Avec : Adrienne La Russa, Tomas Milian, George Wilson, Max Steffen Zacharias…

Ne relevant ni du giallo, ni du western, ni de l’horreur, ni du polar, ni d’aucun genre majeur du cinéma bis italien, Beatrice Cenci est probablement l’une des oeuvres ayant tenu le plus à coeur de Fulci, qui se montre ici sous un jour respectable, non pas aux yeux du public, à qui il n’a rien à prouver, mais aux yeux de la critique. Il adapte en effet une histoire plus ou moins reconnue réelle de l’histoire italienne, qui fut transposée en littérature par des gens comme Stendhal, Alexandre Dumas, Percy Shelley ou Alfred Nobel.

Celle-ci tourne autour de la famille Cenci, de noblesse romaine, dont le père Francesco (George Wilson) est un tyran de la pire espèce, haissant ses enfants, maltraitant sa femme, organisant des orgies et ne se souciant que de son argent. L’Eglise elle-même, pourtant laxiste avec les gens aisés, se voit obligée d’intervenir, et la justice papale confisque une des deux propriétés de Francesco. Celui-ci, replié dans son château, devient de plus en plus abominable. Le viol de sa fille Beatrice (Adrienne La Russa, future épouse éphémère de Steven Seagal) sera le point déterminant de l’histoire : la jeune femme décidera d’assassiner son père, avec l’approbation des autres membres de sa famille et avec l’aide de son amant, le serviteur Olimpo Calvetti (Tomas Milian), lui-même aidé d’un bandit connu sous le nom du “Catalan”. Ils maquilleront le meurtre en une chute malencontreuse du haut d’un balcon. Mais l’omnipotente Eglise veille au grain, et alors qu’on aurait pu croire à son indulgence en raison de ses propres difficultés avec Francesco, le pape et les cardinaux vont pourtant tenter de faire avouer leur crime au reste de la famille Cenci en les faisant passer sous les engins de torture à la disposition du Vatican. Qu’ils parlent ou non, il va sans dire que la peine de mort est inévitable.

Oui, Beatrice Cenci est un film cruel. Les tortures y sont longues et détaillées : écartélements (les veines ressortent littéralement des corps) et supplices du fer rouge (laissant les marques de brûlures fumantes) sont à signaler, principalement à l’encontre d’un Olimpo Calvetti interprété par un Tomas Milian admirable, dans un rôle très ingrat (son personnage n’a pas beaucoup d’autres apparitions que celles de ces scènes de torture). La nudité et le sexe sont également présents, avec les orgies organisées par Francesco. Mais pourtant, l’intérêt de Fulci n’est pas l’exploitation, encore moins le gore. Son but premier est de livrer le portrait d’une femme, Beatrice Cenci, qui est la seule véritable figure de sainteté au sein d’une société paradoxalement dirigée par une Eglise rigoureuse sur l’application de la morale chrétienne, tellement rigoureuse qu’elle ne défend pas des valeurs, pas plus qu’elle ne les fait appliquer : elle est inquisitrice. L’assassinat de Francesco Cenci par sa famille aurait pourtant dû constituer une occasion de saluer la défense de la vertue par des gens, les Cenci, ayant été toute leur vie abusés. Mais puisque l’Eglise veut être partout, tout contrôler, elle s’adjuge le droit de condamner Beatrice et ses alliés. C’est l’occasion de montrer que personne d’autre que les pontes du Vatican ne dispose de son libre-arbitre, et avec les condamnations à mort, c’est aussi le moyen de faire main basse sur l’intégralité des biens de la famille Cenci. Tout diriger, s’enrichir de biens matériels et se complaire dans des actes de barbaries injustifiés (entendre des “aveux”, alors que pourtant le procès est déjà joué d’avance), telles sont les véritables motivations de l’Eglise, qui voit dans Satan un prétexte à cette dictature religieuse davantage qu’un mal à combattre. En cela, ses actes sont également les mêmes que ceux auxquels se livrait Francesco. Celui-ci avait au moins le mérite de ne pas se cacher. Mais l’Eglise est hypocrite, agit au nom d’un Dieu qui n’a plus rien à voir dans l’affaire. Le seule meurtre pardonnable de l’histoire, celui de Francesco, est le seul à être condamné, tout le reste n’est que cruauté.

C’est là que Fulci érige son héroïne au rang de martyre, de sainte, ou tout simplement de femme éprise de liberté. C’est la seule à ne jamais faiblir, malgré qu’elle soit passée d’une barbarie à une autre. Elle a vu son père organiser un banquet pour célébrer la mort de ses deux frères, elle a été enfermée par lui dans un cachot pour l’empêcher de rentrer dans les ordres, elle a été violée, puis elle passe sous les outils moyen-âgeux des inquisiteurs qui veulent lui faire payer le crime de s’être débarrassée d’un tyran que personne, pas même l’Eglise elle-même, ne pouvait tolérer. Mais elle demeure droite, et ne renie pas même sa foi en Dieu. Fulci idéalise Beatrice et la couronne d’épines que les inquisiteurs lui ont imposé pendant la torture est là pour rappeler qui sont les bourreaux et qui est la victime. Pourtant, celle-ci ne se laisse pas aller aux larmes ou aux exclamations en tous genres : elle parle peu, arbore une figure déterminée qui au début du film peuvent la faire passer pour un monument de froideur. Mais ce stoicisme est la preuve de sa force morale, et il n’y a pas besoin de mots pour admirer Beatrice : ce dont elle est victime et la résistance passive qu’elle y oppose se suffisent d’eux-mêmes. Ce sera donc la seule à ne pas parler sous la torture, et auparavant, ça aura été la seule à avoir le courage d’assassiner Francesco. Tous les autres sont plus faibles : sa belle-mère, son frère, son amant et même le bandit engagé par celui-ci auront faibli dans ces deux moments importants. Non pas que Fulci les montre comme des lâches, mais, tout bonnement, ils n’ont pas la force de Beatrice. Olimpo offre pourtant une belle résistance lors de son éprouvante séance de torture, mais il cédera. Seule la présence de Beatrice peut l’élever davantage, et du reste c’est après avoir revu celle-ci que sur son lit de mort il rétractera ses aveux.

Beatrice Cenci est sans aucun doute l’un des meilleurs films de Fulci. Un film icônique, dont les dénonciations des actes de l’Eglise catholique sont à rapprocher de celles de Ken Russell dans Les Diables (film qui sera tourné deux ans plus tard). Au-delà même de l’enracinement religieux de l’histoire de la famille Cenci, ce sont toutes les dictatures en quête d’ennemis à maltraiter que le cinéaste brocarde, et ce sont toutes les figures de résistance qu’il magnifie. Adrienne La Russa, en femme physiquement belle, fragile, et moralement déterminée est là non seulement pour faciliter la tâche de l’attachement à son personnage, mais aussi pour permettre au réalisateur de rendre hommage aux femmes en général, qui dans cette Italie toujours machiste (voir La Longue nuit de l’exorcisme, que le réalisateur tournera quatre ans plus tard) ne sont pas considérées comme elles le devraient. Ce drame historique n’est pas parfait (sa construction en flash-back peut être assez déstabilisante au début), mais il n’en est pas loin.

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