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L’Attaque des crabes géants – Roger Corman

 

Attack of the Crab Monsters. 1957

Origine : Etats-Unis
Genre : Science-fiction
Réalisation : Roger Corman
Avec : Richard Garland, Pamela Duncan, Russell Johnson, Leslie Bradley…

De drôles de choses se passent sur cette petite île du Pacifique qui, il n’y a pas si longtemps, s’est pris de plein fouet un nuage radioactif consécutif à un essai nucléaire avoisinant. Pour commencer, une première équipe de scientifiques a disparu purement et simplement, peut-être à cause d’un typhon… C’est non seulement pour s’en assurer qu’une deuxième est envoyée, mais aussi pour reprendre les recherches sur les effets imprévus de la radioactivité, comme par exemple l’existence de crabes géants télépathes et dévoreurs d’esprits capables de provoquer des désastres géologiques.

Riche année 1957 pour Roger Corman. Tant en nombre de films sortis (9 !) qu’en domaines abordés… De l’aventure mythologique (Viking Women and the Sea Serpent), du drame adolescent (Sorority Girl) ou musical (Rock All Night), du polar sous les cocotiers (Naked Paradise) ou entre gangs (Teenage Doll), de la science-fiction paranoïaque (Not of this Earth) ou atomique, comme ici avec cette Attaque des crabes géants au titre éloquent. Notoirement connu pour savoir exploiter ce qui marche, l’ami Roger l’est un peu moins -et c’est bien dommage- pour sa capacité à comprendre pourquoi ça marche. Et pourtant, un gros pan de sa carrière s’est bâti sur cette compréhension, chose bien résumée par le titre de son autobiographie : “Comment j’ai fait une centaine de films à Hollywood sans jamais perdre un centime” (traduction maison, car cet inestimable document n’a à l’heure actuelle jamais été traduit en français). Bref, au moment de commander le script de L’Attaque des crabes géants à son fidèle scénariste Chuck Griffith, Corman n’y alla pas par quatre chemins et réclama une histoire dans laquelle chaque scène comporterait son lot d’action ou de suspense… Facile à dire, mais qu’en est-il de la crédibilité ? Et bien c’est là que se résume le Roger Corman des débuts : ses films étant avant tout destinés au marché florissant des drive-ins et des doubles séances, le public, souvent jeune, ne venait certainement pas voir de la science-fiction pour assister à du grand art. Non que Corman méprise celui-ci, et par la suite il saura aussi s’adapter à un public plus cinéphile et plus regardant, mais pour l’heure il se trouve dans une situation où il doit enchaîner des tournages rapides et sans grands moyens, dans le seul but de plaire à un public volatil. D’où le fait de ne pas faire semblant : ses films des années 50 sont ouvertement limités, et se nourrissent même parfois d’une certaine forme d’auto-dérision.

Le résultat est ce qu’il est, mais au moins Corman a rarement été pris en flagrant délit d’apathie, comme cela arrivait régulièrement dans des productions elles aussi minimalistes, mais s’égarant dans les dialogues creux de personnages qui ne le sont pas moins. Parfois, Corman se plait à casser la monotonie en ayant recours (avec plus ou moins de bonheur il est vrai) à des personnages hors normes sachant pimenter l’histoire en attendant les choses sérieuses généralement annoncées dès le titre. Mais ici il procède autrement et ses personnages sont tous totalement vides, ne servant qu’à faire progresser une intrigue qui s’éparpille joyeusement, à servir de chair à saucisse pour les fameux crabes ou, dans le cas de Pamela Duncan, à se prélasser en maillot de bain ou en nuisette afin d’appâter raisonnablement le public masculin. Difficile donc de se sentir proche de qui que ce soit au milieu de ce groupe de scientifiques dont l’interaction est quasi nulle (si ce n’est peut-être pour une ébauche de triangle amoureux vite bazardé en un dialogue… la faute aux crabes venus interrompre une hardie tentative de déclaration). Ne reste ainsi que l’intrigue purement science-fictionnelle, qui ne se limite donc pas à la présence de crabes géants qui boulotteraient petit à petit tout le casting. A vrai dire, le début du film se montre en un sens plus proche de l’épouvante que de la science-fiction, puisque l’existence des crabes télépathes étant encore inconnue aux protagonistes, le premier aperçu qu’ils en ont est une sorte de présence fantomatique exprimée par les voix des membres disparus de la mission précédente s’adressant à leurs successeurs pour les attirer dans un piège fatal. C’est ainsi qu’une large partie du film se déroule en évitant le bla-bla d’exposition d’usage sans pourtant abuser des crabes géants, qui avouons-le se seraient à la longue révélés plutôt lassants.

Ne mentons pas : Corman ne préside pas à un grand film de trouille, fait assez peu d’efforts pour instaurer un climat qui irait dans ce sens (et du reste le cadre de cette île exotique s’y prête fort peu), mais il a au moins le mérite de susciter une curiosité qu’il entretient savamment en n’abattant pas toutes ses cartes d’un coup. Des cartes qui sont assez nombreuses, d’ailleurs, puisqu’outre ces “esprits” parlant depuis l’au-delà il y a aussi cette étrange tendance qu’a le paysage à changer pour un oui ou pour un non. Un coup c’est un trou qui apparaît, une autre c’est une galerie qui se creuse, une autre fois c’est une falaise qui disparaît… De quoi en perdre tous ses repères. Les personnages se retrouvent ainsi dominés et livrés à l’incertitude, voire à un certain sentiment d’inéluctabilité, d’autant que les différentes mésaventures qui peuvent être cette fois directement attribuées aux crabes géants ne tardent pas à apparaître. Aussi bizarre que cela puisse sonner, alors que l’ambiance de série B prédomine malgré tout, Corman réalise bien une sorte de lointain ancêtre de The Thing (version Carpenter). Bien sûr, le fil conducteur nous amène tout droit vers un couple de crabes atomiques géants télépathes se nourrissant de l’esprit de leurs victimes (d’où ce dialogue d’une grande sagesse : “Ce fut un homme, maintenant c’est un crabe“), ce qui ne fait pas très sérieux, surtout avec le look en papier mâché de ces choses, mais tout de même… Un groupe de scientifiques isolé dans un lieu déserté, des créatures qui usurpent l’identité (vocale et non physique, certes) des membres de ce groupe, un sentiment général d’impuissance face à une force supérieure (le film s’ouvre d’ailleurs sur des références bibliques à la destruction de l’humanité pécheresse), quelques scènes “gores” (enfin des membres tranchés, sans dégoulinements de sang), tout cela suffit bien largement à établir une parenté et à faire de L’Attaque des crabes géants une série B attractive, dense et courte. Pari réussi donc pour Roger Corman et Chuck Griffith, lequel pour l’anecdote s’est piqué au moment du tournage de suivre les pas du commandant Cousteau dont il venait de voir un film, ce qui lui a donné l’envie de réaliser au débotté et sans expérience aucune quelques scènes sous-marines un peu gratuites mais pas trop mal ficelées.

 

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