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Batman Begins – Christopher Nolan

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Batman Begins. 2005

Origine : États-Unis
Genre : Super-héros
Réalisation : Christopher Nolan
Avec : Christian Bale, Liam Neeson, Michael Caine, Katie Holmes…

Il arrive que les majors hollywoodiennes aient de bonnes idées. Ainsi, après avoir réellement envisagé que Joel Schumacher puisse réaliser un troisième Batman consécutif, ce qu’il a longtemps essayé de faire, notamment en promettant de revenir à des choses plus sérieuses que ses deux consternantes orgies disco, la Warner coupa court à son entreprise de démolition, alertée autant par la baisse des bénéfices consécutive à Batman & Robin que par la virulence des critiques qu’il s’attira. Autant faire table rase et partir sur un autre concept. Pendant plusieurs années, les projets défilèrent, le plus proche de se faire ayant été une adaptation du comic Year One de Frank Miller scénarisée par ce dernier et qui aurait été réalisée par Darren Aronofsky (encore qu’à ce stade, Schumacher postulait encore… personne n’avait donc le courage de l’envoyer paître ?). Fut également envisagée une confrontation entre Batman et Superman qui aurait permis de relancer les deux personnages en même temps, alors que tous deux galéraient dans les affres de projets avortés. Ce ne fut qu’en 2003 que Christopher Nolan fut engagé, avec David Goyer (la franchise Blade) sur la base d’un Batman repris à zéro et s’appuyant d’une part sur un côté réaliste et humain et d’autre part sur plusieurs comics.

Les origines de Batman sont notoirement connues. Et pourtant, ni Tim Burton ni Joel Schumacher ne s’y sont vraiment intéressés, chacun privilégiant sa propre vision du personnage. Le Batman de 1989 nous avait bien montré le fameux tournant, l’assassinat du couple Wayne sous les yeux de leur fils Bruce, mais au même titre que plusieurs autres choses dans le film, cela sentait le passage imposé. Christopher Nolan fait exactement l’inverse : il va très loin dans les détails de la naissance du Batman. De la famille Wayne encore unie à la création du costume en passant par la formation physique de Bruce Wayne chez Ra’s Al Ghul ou la confection de ses gadgets au département de recherche de Wayne Enterprises avec Lucius Fox (impossible de ne pas penser à Q, le fournisseur de James Bond), tout est abordé avec la volonté d’enraciner le personnage dans le réel. Avant de commencer quoi que ce soit, Nolan se donne comme objectif de nous faire connaître son héros de fond en comble. Ce qui trahit la volonté du réalisateur et de son studio de concevoir au moins une trilogie et qui empiète sérieusement sur la suite du film, mais nous y reviendrons. Le plus gros problème étant que derrière les fastes déployés pour nous décrire le parcours de Bruce en Batman, derrière la mise en scène très théâtrale, derrière les grandiloquents décors himalayens du repère de Ra’s Al Ghul, derrière les grandes phrases, se cache un raisonnement simpliste, franchement pas à la hauteur des moyens mis en oeuvres que pour leur part on peut difficilement attaquer, si ce n’est sous l’angle de l’étalage de fric du mastodonte hollywoodien. Le raisonnement en question est tout bonnement le tiraillement du nouveau super-héros sur ses motivations : vengeance aveugle ou justice consciente ? Justice, bien sûr ! Difficile d’imaginer qu’il puisse en être autrement dans un film de cette ampleur, alors que les films estampillés “vigilante” attisent généralement la polémique. Soyons clairs : ce n’est pas le fait de faire de Batman un justicier plutôt qu’un vigilante qui dérange, mais bien la façon dont Nolan prétend en faire un débat interne au personnage. A la tristesse de la mort de ses parents succède la culpabilité (très brièvement), la haine puis la prise de conscience. Les deux premières étapes de ce cheminement sont surtout l’occasion pour Nolan de nous montrer Bruce Wayne enfant, sa proximité avec Alfred, qui lui servira dorénavant de père autant que de serviteur éclairé. La troisième nous le montre à peine sorti de l’adolescence, cherchant à se venger de l’agresseur minable qui a tué ses parents, et la dernière démarre à la fin de sa formation auprès d’un Ra’s Al Ghul qui encourageait cette haine en prônant l’extermination violente de toute corruption. Tout cela est fait de ficelles énormes davantage que d’argumentation étayée : la gentille amie d’enfance qui gifle Bruce pour avoir voulu tuer le meurtrier de ses parents en plein procès, le refus de trancher le cou d’un assassin comme demandait Ra’s Al Ghul, la référence au père de Bruce qui luttait contre l’origine de la délinquance plutôt que contre les individus quelconques (comme le fut son assassin)… Il n’y a rien de novateur là-dedans, même lorsque les dialogues se veulent philosophiques, comme pour se donner un gage de respectabilité. Étant resté au stade de la haine pure, celle qui fait de lui l’équivalent de ceux qu’il prétend combattre, Ra’s Al Ghul aurait put être un personnage bien plus profond que Bruce Wayne si Nolan avait décidé comme Burton en son temps, dans le premier Batman, que le mal était finalement plus intéressant que les leçons de morale du bien. On se rend alors compte qu’en se focalisant à ce point sur Wayne / Batman, Nolan a lui-même gâché une partie du potentiel que contenait son film.

Le mafieux Falcone, l’Épouvantail, Ra’s Al Ghul, tels sont les trois principaux ennemis dans Batmans Begins. Le premier n’est guère plus qu’un coup d’essai, permettant au dark knight d’essayer son matériel, le second ne joue un rôle que par le plan qu’il projette, et le troisième est de retour pour détruire Gotham, donnant ainsi l’ultime occasion à Batman d’affirmer qu’il est bien l’ami du peuple de Gotham et non son juge. Ces trois personnages sont d’une simplicité extrême, donnant l’impression que le gros du film, du moins en ce qui concerne les ambitions d’auteur de Nolan, s’est achevé au moment même où Bruce Wayne est rentré à Gotham pour devenir Batman. Si ce n’est pour quelques répliques au moment du retour de son ex-maître, Batman ne fait alors plus que remonter une filière criminelle, chaque méchant ayant droit à sa propre partie, les unes après les autres, telles une succession de niveaux dans un jeu vidéo où ils seraient les boss de fin. Et très inégalement réparties : Nolan et son scénariste Goyer ont déjà passé tant de temps pour nous montrer la formation de Batman qu’ils se retrouvent à devoir gérer un maximum de choses en un minimum de temps, ce qui se fait au détriment de chaque antagoniste, réduit au rang de méchant mégalomane dans les mauvais James Bond. L’enjeu pour Batman est d’empêcher la propagation d’un gaz hallucinogène capable de rendre les gens fous de terreur. Point. Falcone, l’Épouvantail et Ra’s Al Ghul ont beau jouer des rôles clefs dans cette affaire, ils n’ont pas de personnalités à la mesure du super-héros et sont bien vite déjoués. Ce qui au moins dans le cas de l’Épouvantail est fort dommageable, tant là aussi le personnage disposait d’un potentiel autrement supérieur que de n’être qu’un cinglé revêtant son masque au moment d’intoxiquer les empêcheurs de tourner en rond. Ce personnage représentait la propagation de la peur, autre thème soulevé par Batman Begins, puisque Bruce Wayne est devenu une chauve-souris en maîtrisant sa propre peur freudienne des animaux en question. Il a également appris en Himalaya qu’il devait inspirer la peur chez ses ennemis, d’où la mise en scène dont se parent ses interventions. L’Épouvantail aurait alors pu être son versant sombre, et le personnage aurait très certainement gagné à fusionner avec celui de Ra’s Al Ghul en adoptant sa propre politique nihiliste. Ne serait-ce que pour avoir à éviter à Nolan de s’encombrer avec trop de matière à traiter. Mais non, il n’est en fin de compte qu’un vulgaire fournisseur de gaz dont le masque est davantage une mimique qu’un reflet personnel. Ce qui conduit le frêle Cillian Murphy, son interprète, à frôler dangereusement la limite du ridicule. Et le sujet de la peur se retrouve alors réduit à peau de chagrin, n’exploitant aucune des peurs des personnages les plus significatifs si ce n’est à travers quelques plans dont nous ne savons rien. Par exemple, aucune signification n’est donnée sur la raison pour laquelle l’Épouvantail, après avoir été lui-même intoxiqué, voit Batman tel qu’il le voit… encore une fois, on retombe sur le manque de substance des ennemis. C’est bien beau d’avoir voulu nous montrer la construction d’un être tel que Batman dans les moindres détails, mais ce n’était pas une raison pour en oublier qu’il restait un film à concevoir pour justement illustrer ce qu’est ce super-héros.

Il existe en outre un autre “méchant”, mais qui celui-là n’est pas dans l’action. Il s’agit de Richard Earle, l’administrateur de Wayne Enterprises depuis la mort du père Wayne. Encore un personnage profondément simpliste, qui ne représente en gros que l’appât du gain. Rompant avec les principes de l’entreprise, qui se voulait au service des habitants de Gotham pour faire reculer le crime, il entreprend d’ouvrir le capital aux actionnaires et de se lancer dans la juteuse industrie de l’armement. Quitte pour celui à réduire au silence et au sous-sol du méprisé département de recherches la voix de la raison de Lucius Fox. Bref, c’est le capitaliste véreux par excellence, que quelques mots plein d’ironies réduiront vite au silence… On se demande vraiment si il était bien judicieux de rajouter un tel personnage au milieu de super-vilains qui peinaient déjà à prouver leur utilité au récit. Mais pratiquement tous les personnages sont ainsi, y compris les alliés de Batman. Outre le paternel Alfred et le simili-Q qu’est Lucius Fox, nous trouvons dans cette catégorie l’inspecteur Gordon dans le rôle du flic intègre perdu au milieu d’une institution corrompue. Il ne sera tout juste bon qu’à allumer le signal lumineux appelant Batman, remis par ce dernier à la fin du film. Et nous avons aussi Rachel Dawes, la copine d’enfance devenue une avocate luttant contre la corruption au péril de sa vie (on anticipe donc la scène du sauvetage sitôt sa personnalité appréhendée). Outre les leçons de morale sur le thème de la justice, elle amène en outre un dilemme amoureux mille fois rabâché, notamment les Spider-Man de Raimi : comment forger une relation durable lorsque l’on mène une double vie ? Réponses peut-être apportée par les prochains opus…

Vides ou simplistes, les personnages sont donc loin d’être le fort de Batman Begins. Une faute qui provient autant d’un défaut d’écriture que de la très mauvaise gestion du scénario, voulant beaucoup trop en faire. Car au milieu de ces personnages déjà trop nombreux il y a aussi la nécessité de montrer des scènes d’action à couper le souffle. Gratifié d’un budget pharaonique qu’une pléiade d’acteurs reconnus n’a pas suffit à épuiser, Nolan a eut la bonne idée d’éviter le tout-numérique. Ses scènes d’action sont donc spectaculaires, mais aussi et surtout convaincantes, d’autant plus qu’elles s’immergent dans un cadre de mégalopole très bien reconstituée. C’est vrai pour les scènes à large échelle, comme cette poursuite en Batmobile. Mais pour ce qui est du plus intime, à savoir principalement les batailles au corps à corps, elles s’inscrivent dans le défaut emblématique de la mise en scène des années 2000 : l’esbroufe. On a souvent reproché à Tim Burton -et à tort, m’est avis- d’avoir mal conçu ses scènes d’action. Celles de Nolan sont infiniment pires. Toutes les batailles relèvent de la bouillie indigeste, ce sont des mitraillages de plans où l’on ne voit rien. Même lors d’une scène a priori aussi simple à réaliser et à monter que le meurtre des parents Wayne (deux coups de feu avec une arme de poing), Nolan se sent obligé de faire dans le caviardage. Le résultat est tout bonnement catastrophique. Rayon esbroufe, difficile aussi de ne pas se gausser de Batman lorsque celui-ci cherche à effrayer ses ennemis en prenant une grosse voix… Nolan a poussé un peu trop loin l’idée que la peur est un élément primordial au justicier de Gotham. Mais à tout prendre, ces défauts criant sont moins gênants que le raté global des personnages sur lesquels le film voulait se centrer. On ne peut pas nier que Christopher Nolan ait eu de bonnes idées. Son film est largement moins insupportable qu’un Daredevil, par exemple, ou même que les deux étrons fluorescents de Joel Schumacher. Mais il s’est de toute évidence laissé entraîné par l’ampleur de Batman Begins : trop de moyens, trop d’étalage, volonté de plaire à un trop grand nombre, tout cela l’ayant conduit à se disperser et à ruiner une bonne partie de ce que son film pouvait avoir de bon. Un peu comme si il avait paniqué face à un scénario beaucoup trop exigent pour aboutir à quelque chose de viable.

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