Misery – Stephen King
Misery. 1987Origine : Etats-Unis
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Née d’une anecdote personnelle (la rencontre de King avec Mark Chapman, l’assassin de John Lennon), Misery est l’un des romans les plus révélateurs d’un auteur qui durant tout sa carrière s’est efforcé de parler de son métier d’écrivain. Il y raconte l’histoire de Paul Sheldon, un écrivain qui, victime d’un accident de la route, est recueilli par Annie Wilkes, une femme se disant “son admiratrice numéro un”. En réalité une vraie folle, qui va péter les plombs lorsqu’elle lira le dernier opus de la saga Misery, où le romancier désireux d’en finir avec les romans à l’eau de rose, fait mourir son héroïne. Annie retiendra donc Paul en prisonnier, et le forcera à écrire un nouveau roman de Misery.
Si Misery (le livre de King, pas celui de Sheldon) est probablement le plus intéressant des romans de King traitant du métier d’écrivain, c’est sans conteste parce que King y parle de ses propres peur qu’il transpose dans son récit sous la forme d’un huis-clos très efficace, alternant rebondissements cruels et séquences de tensions psychologiques nées de la menace que représente une Annie Wilkes démente et susceptible de verser dans la sauvagerie à la moindre contrariété. A ce niveau là, le livre de King se lit sans aucune difficulté, et on reste scotchés de la première à la dernière page, les digressions temporelles (les souvenirs de Paul) ne faisant que davantage isoler le personnage dans sa solitude. Seul bémol : les extraits du roman écrit par Paul sous la contrainte, qui si ils ne sont pas désagréables en eux-mêmes servent d’alibis à des envolés métaphoriques plutôt lourdes dans la relation Paul / Annie (“La Reine des abeilles”).
Maintenant, passons au côté autobiographique du livre de King. Comme dans beaucoup de ses autres romans, l’auteur prend donc pour personnage principal un écrivain. A travers lui, King évoque donc ses peurs de se retrouver enfermer dans une seule orientation littéraire, de laquelle la volonté du public ne le laisserait plus sortir. King n’est pas tendre envers son public, et Annie Wilkes n’est qu’une représentation exagérée de ce que les “fans” peuvent-être : obtus, dictatoriaux, oubliant totalement le fait que l’auteur, même renommé (ce que King était en train de devenir au moment de commencer la rédaction du livre en 1984) peut tout de même prétendre à poursuivre sa carrière comme bon l’entend. Si le personnage d’Annie Wilkes représente donc tous les fans intégristes (ce n’est pas pour rien que le livre est né de l’anecdote de Mark Chapman) il peut également dans une moindre mesure représenter les éditeurs en tous genres, qui eux aussi souhaitent imposer leurs attentes à leurs auteurs vedettes. Cette fois pour des raisons commerciales, certes, mais tout de même en prodiguant des conseils d’écriture. Ce que Wilkes fait également, influençant ainsi l’écriture de Paul. C’est là le troisième point abordé par King : le processus créatif. Avec ses contraintes, ses pages blanches, ses période d’intense créativité… Tout ça découlant non seulement de l’environnement social mais aussi de la personnalité même de l’auteur, de sa capacité à encaisser les coups (la critique, le public, les éditeurs) et à les utiliser pour nourrir son œuvre.
Pour tout ceci, Misery, qui avant que le canular ne soit découvert devait être publié sous le pseudonyme occasionnel de Richard Bachman (peut-être justement parce que le livre ne brosse guère les lecteurs dans le sens du poil), est donc l’un des tous meilleurs romans de Stephen King. On y apprend beaucoup sur les idées que se fait King de sa profession et des divers intervenants qui y sont liés. Tout en restant profondément ludique, avec notamment l’un des personnages les plus inquiétant de l’œuvre de King : Annie Wilkes.