CinémaHorreur

Wind Chill – Gregory Jacobs

Wind Chill. 2007

Origine : États-Unis
Genre : Horreur congelée
Réalisation : Gregory Jacobs
Avec : Emily Blunt, Ashton Holmes, Martin Donovan, Ned Bellamy…

Pour se faire plaisir, pour se donner plus de liberté, pour faire des affaires, pour revendiquer une certaine vision… Les raisons pour lesquelles des réalisateurs voire acteurs décident de fonder leur propre boîte de production peuvent être multiples. Le processus n’est pas neuf, il est assez fréquent, et les résultats sont très disparâtes. Issu du cinéma de genre indépendant, Roger Corman fait figure de pionnier et en fondant sa New World il affichait une multitude d’ambitions qui se sont toutes exprimées durant la dizaine d’année pendant laquelle il dirigea sa firme (en revanche il faut bien admettre qu’après l’avoir revendue et recréé une nouvelle boîte -Concorde- il n’a plus guère retrouvé le même allant). Mais il est vrai qu’il abandonna sa propre carrière de réalisateur pour se consacrer à la seule production. Sur un créneau voisin, celui du cinéma de série B ou d’exploitation, des gens commes Brian Yuzna (Fantastic Factory), Charles Band (Empire puis Full Moon) ou Lloyd Kaufman (Troma) brillèrent aussi à leur façon mais en restant constamment sur un créneau de niche, là où Corman expérimentait bien davantage -sans pour autant faire dans le pur hollywoodien. Et ne mentionnons pas les gens comme Sam Raimi ou Peter Jackson, dont les studios respectifs furent surtout créés pour soutenir leurs propres films avant éventuellement de soutenir les essais d’autres réalisateurs. Ce qu’ils ont pu faire grâce à leurs succès personnels, leur assurant un revenu suffisant pour pouvoir porter d’autres (petits) projets. Dans cette même mouvance et pour sortir du cinéma indépendant, mentionnons les firmes Amblin (de Spielberg), Lucasfilms (George Lucas) ou encore Zoetrope (Francis Ford Coppola), qui ont acquis aujourd’hui un certain prestige, commercial et/ou critique et sont devenus des poids lourds de la production (comme en témoigne le rachat de Lucasfilms par la tentaculaire Disney). D’autres fois, si les noms impliqués sont assez ronflants, l’objectif ne semble pas avoir été de dominer le box-office et les couvertures de magazines. Plus modestement, les firmes faisaient plus ou moins office de cour de récréation pour des cinéastes expérimentés désireux de se montrer un peu plus légers qu’à l’accoutumée, ou bien de s’essayer à des genres dans lesquels ils n’étaient pas forcément attendus. Co-fondé par Joel Silver, Robert Zemeckis, et Gilbert Adler dans la droite lignée des Contes de la crypte, Dark Castle Entertainment avait initialement pour objectif de rendre hommage à l’horreur “rétro” (d’où la référence à William Castle dans sa dénomination). Cela fit long feu. Avec Platinum Dunes, le pétaradant Michael Bay visait certes à se montrer tout aussi bourrin que dans ses réalisations, mais dans un style nettement moins grand-public. Cette fois, le succès commercial fut au rendez-vous avec notamment le remake de Massacre à la tronçonneuse, marquant le coup d’envoi d’une mode qui depuis lors ne s’est (hélas) pas essouflée. Mais il n’y a pas beaucoup d’exemples sur ce modèle, les studios finissant soit par péricliter, soit par abandonner leur philosophie d’origine (comme Dark Castle). Au mieux, ils s’accordent ici où là quelques digressions, éventuellement par copinage. Wind Chill appartient clairement à cette dernière catégorie, étant issu (pour partie) du studio Section Eight Productions, co-fondé par Steven Soderbergh et George Clooney. La saga des Ocean’s, quelques films réalisés par Soderbergh, d’autres par Clooney, d’autres encore dans lesquels ce dernier se contente d’occuper le haut de l’affiche. On peut mentionner également le Insomnia de Nolan ou encore A Scanner Darkly. Bref, rien qui ne permette de dire que les deux stars cherchaient à s’encanailler à travers leur boîte essentiellement utilisée par eux-mêmes – et qu’il fermèrent avant son dixième anniversaire. Wind Chill est donc l’exception qui confirme la règle, encore que le nom de son réalisateur, Gregory Jacobs, laisse à penser que davantage qu’une réelle envie d’oeuvrer dans le cinéma d’épouvante, il y avait une bonne dose de copinage là-dedans (il avait été l’assistant de Soderbergh sur King of the Hill et sous la bannière Section Eight il avait déjà réalisé son premier film, Criminal, remake de l’argentin Neuf reines). N’empêche que l’on est en droit de se demander pourquoi l’intérêt de tout ce beau monde est venu se porter sur un projet aussi frustre que Wind Chill

Ce 23 décembre sonne le jour des vacances ! Youpi ! Mais retourner au bercail pour les fêtes est assez compliqué pour cette étudiante non véhiculée et qui doit se résigner à prendre le bus. A moins qu’elle ne se trouve un covoitureur sur le panneau des petites annonces de l’université ? Bingo ! Le bienfaiteur l’attend donc à la sortie des cours. S’il n’a rien d’un prince charmant et que son véhicule tient plus du tacot déglingué que du carrosse étincelant, il fera bien l’affaire. A ceci près qu’en cours de route, cet étudiant en philosophie affiche une inquiétante connaissance de la vie que mène sa camarade de virée. Celle-ci n’a de cesse de se méfier, et cela ne fait qu’empirer lorsque le type s’éloigne de l’autoroute pour s’aventurer dans un pseudo raccourci sur une route cheminant à travers le massif forestier. Ceci alors que la nuit tombe, que ladite route est enneigée et qu’un blizzard costaud est annoncé pour cette nuit. Faisant une embardée pour éviter un véhicule qui roulait en plein milieu de la voie, le “stalker” présumé plante sa voiture dans le fossé. Voilà donc l’équipage bloqué ici, à l’orée de la tempête, au-milieu d’un nulle part dépourvu de réseau téléphonique et qui, bientôt, sera également le théâtre de quelques apparitions inquiétantes…

Si avec le recul du temps la présence d’Emily Blunt dans l’un de ses premiers rôles peut apparaître à certains comme l’argument de vente principal de Wind Chill, l’amateur de cinéma de genre trouvera que le point de départ de son intrigue présente davantage d’intérêt. Cela tient aux bons souvenirs qu’ont laissés quelques films d’épouvante se déroulant dans le grand froid : Black Christmas, The Thing, Shining, Misery voire Le Redoutable homme des neiges pour remonter plus loin… Un bon froid bien rude est en lui-même une menace pas moins indigne que celle représentée par un sadique patenté, et dans les exemples mentionnés cette rudesse météorologique vient encadrer et servir la menace au premier plan. Ajoutons qu’une neige drue, d’autant plus la nuit, instaure une sensation d’isolement qui se marie fort bien à un sujet horrifique. Bien sûr, il y a des ratés flagrants (Dreamcatcher) ou des choses très quelconques (The Last Winter), mais avec un minimum de soin, cela peut sauver les meubles. Un peu comme un film d’horreur misant sur la chaleur d’un désert peut s’en tirer à bon compte s’il sait se faire étouffant en dépit d’un scénario brinquebalant. Gregory Jacobs en a pleinement conscience et ne lésine pas sur le moyen de retranscrire le froid. Les teintes du film sont dictées par cette volonté et s’orne de bleu profond, de noir et de volutes blanches ou bleutées qui viennent faire écho à la neige, au vent glacial et aux ténèbres de cette route impraticable en plein milieu d’une haute forêt. Les artifices comme la condensation, la peau blafarde des personnages ou encore le gel viennent eux aussi renforcer cette sensation de fraicheur, tandis que la mise en scène fait la part belle soit aux plans larges (histoire de montrer l’insignifiance des personnages au milieu des éléments naturels) soit au contraire à la claustrophobie (l’exiguité de cette guimbarde, seul et fragile refuge). Tant pis si Wind Chill se fait parfois trop sombre et qu’il faille plisser les yeux pour y voir quelque chose : au moins l’atmosphère y est palpable et communicative. D’autant que le film se pose en anti-film “de fêtes” : son argument narratif originel -le départ pour les fêtes de fin d’années- n’attend même pas que les choses sérieuses soient commencées pour s’écrouler. Rien que le campus, point de départ de cette équipée maudite, apparaît sinistre. Le tacot du pilote, le pilote lui-même (pour schématiser, un geek), sa comparse (une pépée “fashion”) et la route désolée annihilent tout esprit de Noël. De quoi se concentrer sur l’aspect le plus sinistre de cette période de l’année par trop polluée par des poncifs dégoulinants.

Wind Chill se présente de prime abord comme un thriller. Le contraste élevé entre les deux personnages est en soit la première pierre de ce qui constitue une montée en tension profitant de la tempête, de cette histoire de raccourci et d’accident (douteux s’il en est) pour se muer en un récit faisant de la demoiselle la proie putative de son conducteur. Tous les détails pointent en ce sens, notamment la connaissance affichée par le bonhomme sur la vie de sa passagère, ses mensonges éhontés ou encore quelques ingrédients de mise en scène tels que les flash backs montrant le gus en train d’épier la donzelle et d’en concevoir ce piège qui la contraindra à faire appel à lui pour quitter le campus. Toutefois, si le réalisateur fait tout pour mener son spectateur dans une certaine direction -celle du “stalker”- (annonciatrice du mouvement “MeToo”), on ne peut malgré tout s’empêcher de penser que les choses ne seront pas aussi simples que ce vers quoi elles semblent s’orienter. D’une part parce que le gus n’est pas foncièrement menaçant : il semble plus souffrir d’un manque de savoir-vivre, adoptant une stratégie de drague pour le moins maladroite. Et d’autre part parce le réalisateur ne rend pas la jeune femme particulièrement sympathique, ni même particulièrement vulnérable. Avant même que le type ne lui ait exprimé ses vues sur elle, elle se comporte déjà en vérirable pimbêche méprisante, avant d’adopter très tôt des stratégies de défense agressives. Tant et si bien qu’au-delà d’un certain point, il devient évident que tout cela ne relevait que du préambule et que les personnages devront à terme collaborer au-delà de leurs divergences, voire révéler leur véritable nature face à l’adversité. A noter que le réalisateur ne prend pas la peine de leur donner des noms, ce qui il faut bien le dire ne rime pas à grand chose… Au final, les deux personnages évolueront tout au cours du film dans un cheminement qui les rendra bien plus sympathiques qu’ils ne l’étaient au démarrage. Les performances des deux acteurs sont plutôt convaincantes, même s’il faut bien avouer qu’ils ne font qu’évoluer d’un stéréotype à l’autre…

Mais à vrai dire, le point principal de Wind Chill ne réside pas dans ses personnages. Il découle du parti-pris atmosphérique et des promesses de l’arrivée du fantastique (le film étant vendu sur cela, difficile de ne pas attendre cette incursion de pied ferme). Celui-ci se veut de prime abord assez subtil : le premier élément “externe” à la relation entre les deux personnages est l’arrivée inattendue d’une silhouette encapuchonnée en plein milieu de la tempête. Un être visiblement aveugle, sourd et difforme, inquiétant mais pas menaçant, auquel succéderont d’autres individus du même accabit. C’est encore le meilleur ingrédient fantastique du film : l’absence de la moindre justification ainsi que l’arrivée inoppinée des ces choses préservent le sentiment d’inconnu et fait de cette nuit de blizard le refuge d’êtres fantastiques donnant vaguement l’impression que les deux protagonistes sont perdus en pleine “quatrième dimension”. En un sens, depuis l’habitacle de leur voiture et au milieu du déchaînement des éléments, ils sont les spectateurs impuissants de manifestations surnaturelles qui les dépassent. Il y a là un peu de Vij, la trop méconnue adaptation de Nikolaï Gogol dans laquelle un curé veillait la dépouille d’une sorcière et se retrouvait confiné de diverses manifestations démoniaques par un frêle cercle tracé à la craie. Malheureusement, cette vision du fantastique ne dure pas et Gregory Jacobs finit par céder aux travers du cinéma de son époque en finissant par expliquer le pourquoi du comment. Pas en une scène clé hélas (en intervenant en fin de film elle aurait eu le mérite de ne nuire qu’au dénouement), mais en diluant ses explications à travers diverses scènes qui ne laissent alors que peu de place au doute et font paraître les premiers éléments menaçants comme de simples points de détail d’une histoire de fantômes bien trop basique pour séduire. Sans aller jusqu’à dire qu’elle annihile tous les bons effets de mise en scène -la première partie du film reste très convenable et l’atmosphère générale demeure toujours méritante- elle se montre bien trop insipide pour entretenir le mystère qui rôdait de prime abord. Car à grands coups de cauchemars de la part des protagonistes, d’interventions de fantômes qui cette fois interagissent directement avec les protagonistes ou encore de flash-backs racontant une histoire (l’origine de tout ce bordel) par à-coups, Jacobs offre un récit qui avait le potentiel pour rester nimbé d’un climat fantastique à l’ancienne mais qui finit par céder aux explications intégrales quelque peu scoobydesques.

S’il finit par devenir décevant justement car il fut un moment prometteur, Wind Chill ne laisse toutefois pas un mauvais souvenir. Tout simplement car lorsqu’il se met à donner des justifications et à aplanir les relations entre ses personnages, il devient très aisement oubliable : ses défauts sont plus teintés de fadeur que de ridicule (à l’inverse, disons au hasard, d’un film de Shyamalan, ou encore de la plupart des remakes / reboots qui se pignolent en singeant leurs références). A brève échéance ne reste alors plus en mémoire que cette ambiance frisquette et ces quelques visions lovecraftiennes alors décousues. Voilà le genre de film au sujet duquel on finit par se dire qu’il mériterait bien un revisionnage un de ces jours… Pour être déçu sur le moment, très certainement, mais enfin bon. Pour assouvir une envie soudaine d’épouvante au grand froid, cela peut passer.

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