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The Ugly – Scott Reynolds

The Ugly. 1997

Origine : Nouvelle-Zélande
Genre : Thriller de compet’
Réalisation : Scott Reynolds
Avec : Paolo Rotondo, Rebecca Hobbes, Roy Ward, Paul Glover…

Avec trois long-métrages au compteur, dont le dernier en 2001, on ne peut pas dire que Scott Reynolds se soit imposé sur la scène du cinéma néo-zélandais. Il avait pourtant des cartes en main, puisque bénéficiant du soutien de l’influent Peter Jackson et d’un accueil élogieux pour son premier film, The Ugly, qui reçut des critiques élogieuses et qui fit du bruit dans les festivals par lesquels il est passé : meilleur réalisateur et meilleure actrice à Fantasporto, meilleur réalisateur à Sitges, meilleur acteur au Fantafestival de Rome, prix du public au Festival international du film fantastique de Puchon (en Corée du sud…)… Alors que s’est-il passé ? Difficile de le savoir, mais il semblerait que les frères Weinstein aient joué un rôle dans ce coup d’arrêt prématuré. Heaven, le second film de Reynolds, bien que tourné au pays, fut en effet financé en partie par leur Miramax qui devait aussi en assurer la distribution à l’international. Sauf qu’ils s’en soucièrent comme d’une guigne, et le film passa inaperçu en dépit de sa qualité (du moins si l’on en croit les critiques trouvables en ligne) et d’un prix du meilleur film international glané au Fantasia Film Festival alors basé à Toronto (il partirait par la suite à Montréal). Sans les Weinstein, Poursuite fatale, à ce jour le dernier film de Reynolds, ne sera pas mieux distribué et cette fois ne finira même pas dans des festivals. Si ce n’est pour deux épisodes d’une série télévisée, Reynolds semble depuis s’être retiré des affaires. On peut le déplorer puisque The Ugly, s’il paraît effectivement comme une bête de festivals toute désignée, affichait de belles promesses.

Auréolée du succès dans un précédent dossier très médiatisé, la psychiatre Karen Schumaker est fermement décidée à percer le mystère que constitue le serial killer Simon Cartwright, bouclé présentement dans l’asile tenu par le sinistre Dr. Marlowe. Faisant fi du peu de coopération de celui-ci et de la franche hostilité de ses deux gardes, elle entreprend de commencer très vite les entretiens avec Simon. Son objectif : décrypter l’esprit de celui-ci en le faisant parler de sa vie, de ses pensées, quitte à le pousser dans ses retranchements. Un jeu dangereux !

A vue de nez, cette intrigue semble tout droit calquée sur la rencontre entre Clarice Starling et Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux. Les premières minutes du film nous induisent clairement en erreur : l’asile décrépit aux lumières froides, les lents travelings dans les couloirs, les personnages inquiétants (Marlowe, les gardes, la vieille folle qui se promène), l’arrivée par une nuit pluvieuse de l’héroïne, la lugubre salle qui abritera l’interrogatoire… Tout semble fait pour développer une image quasi-mythique de ce Simon Cartwright qui se présente d’abord à nous muré dans le silence, la tête baissée et cachée derrière ses cheveux longs. Puis il relève la tête et se met à parler : au lieu du psychopathe hors normes que l’on imaginait, c’est en fait un jeune homme aux propos censés, encore que sa façon de s’intéresser à son interlocutrice puisse paraître suspecte (ce en quoi il n’est pas complément différent de Hannibal Lecter). Mais le film part alors dans une autre direction, bien moins prévisible : celle d’explorer l’esprit de ce serial killer se remémorant sa trajectoire vers le crime depuis l’enfance jusqu’au moment présent. Mémoires qui sont mises en scène à travers trois époques : l’enfance, l’adolescence et le Simon tel qu’il était juste avant de se faire prendre. C’est en grande partie par ce truchement mémoriel que The Ugly s’impose comme une œuvre expérimentale : en entrant dans les souvenirs du tueur, Reynolds entreprend un exercice de narration dans lequel il se plait à bafouer la linéarité. Profitant autant de la confusion régnant dans l’esprit de celui qui parle que des retours en arrière demandés par la psychiatre qui l’interroge, il se lance alors dans un montage de flashbacks voire de séquences fantasmées retraçant les étapes cruciales dans la vie matérielle ou mentale de Simon. Il jongle entre rythme contemplatif et montage syncopé pour souligner les états d’esprits par lequel est passé le tueur aux moments clefs de son existence, faisant alors partager son ressenti et ses pulsions. S’il subsiste malgré toute une évolution globale, celle-ci est hachée, la psychiatre essayant de rassembler ces morceaux. Nous ne sommes toutefois pas dans du David Lynch : si la mise en scène joue d’abord sur le sensoriel, il n’est toutefois pas bien difficile d’interpréter ce parcours vers le crime : une mère névrosée possessive alternant entre débordement affectif et franche violence, brimades scolaires, première amourette contrariée, absence de la figure paternelle (copieusement salie par la mère)… Rien que de très classique, ce qui n’est d’ailleurs pas sans donner l’impression que The Ugly n’a que peu de substance.

Scott Reynolds ne semble en fait jamais avoir eu l’objectif de pondre une véritable analyse psychanalytique de son serial killer. Son but est entièrement de faire du style, et en tant que réalisateur il n’est pas loin de se faire plus présent que ne l’est Simon lui-même, dont le traumatisme basique peine à justifier la forme complexe par laquelle il se révèle. Du moins lorsqu’il navigue dans son passé. Car par contre, lorsqu’il revient au temps présent, à la salle d’interrogatoire et à l’asile en général, le réalisateur laisse l’occasion à son tueur de s’affirmer comme le psychopathe qu’il est. La contextualisation du début du film y est pour beaucoup, d’autant que le climat infernal qui règne en ces lieux est entretenu par Marlowe, au physique méphistophélique, et aux deux cerbères servant de gardes attitrés à Simon. Guettant la moindre occasion de sévir, n’hésitant pas non plus à mettre la pression sur leur invitée, ils font régner une ambiance délétère faisant du “patient” un martyr, comme il le fut dans sa jeunesse. De là l’impression que les mêmes causes vont entraîner les mêmes effets, avec comme première victime désignée son interrogatrice. D’autant que la carapace de la psychiatre finit par se craqueler, autant sous les coups de boutoirs de la bande à Marlowe que sous la menace induite par l’apparente gentillesse de Simon à son égard, qui demeure toujours ambiguë. C’est l’occasion pour Reynolds de mettre en scène d’autres effets de style, à commencer par des hallucinations venant cette fois de l’esprit d’une héroïne qui n’en est en fait pas réellement une, puisque plus le film avance, moins elle arbore l’assurance qui la caractérisait au début et plus elle cède à la peur (ainsi cette scène où elle se voit détacher Simon, lequel se jette alors sur elle). Finissant par opérer une jonction entre les flashbacks -qui en sont alors aux premiers meurtres- et le temps présent, Reynolds intensifie ces effets, qui prennent alors une tournure clairement horrifique sous-entendant même le fantastique : alors que Simon décrit ses premiers meurtres, il évoque alors la présence à ses côtés de ses victimes le poussant au meurtre. Et lesdites victimes d’apparaître épisodiquement au milieu de la salle d’interrogatoire sous forme de flashs : dans des plans furtifs et flous, couvertes d’un sang noir -tout le film donne au sang celle couleur entretenant un certain onirisme cauchemardesque-, leur présence se fait de plus en plus pressante et concrète, jusqu’à ce que ces victimes apparaissent à la psychiatre elle-même. Preuve que Karen est effectivement entrée dans l’enfer mental qui est celui de Simon, et même bien plus qu’elle ne l’aurait dû. De là l’impression que l’asile, que Marlowe et que ses gardiens, ne sont que les incarnations au présent de cet esprit torturé luttant entre maîtrise de soi et folie criminelle.

S’il est ostensiblement conçu pour sortir des sentiers battus, The Ugly présente le grand mérite de ne pas oublier en cours de route qu’il est aussi un film horrifique. Scott Reynolds entretient savamment le malsain, et ses expérimentations narratives et formelles restent toujours liées à cet objectif. La prétention qui aurait pu résulter de cette mise en scène si stylisée est dans une large mesure évitée, malgré un scénario qui reste chiche en terme d’histoire. Il privilégie donc la tension, et effectivement le film est très noir, plein de menaces qui viennent s’accumuler jusqu’à ce que les deux protagonistes principaux finissent au bord du précipice. The Ugly s’impose donc comme un film effectivement très original, pas vraiment rattaché à un quelconque mouvement ou sous-genre. Un véritable film horrifique d’auteur, qui faisait une bien jolie carte de visite pour son réalisateur qui a intégré la petite horde de réalisateurs dont la réussite est restée sans lendemain. Encore un qui s’est brûlé les ailes en se rapprochant d’Hollywood.

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