The Hit – Stephen Frears
The Hit. 1984.Origine : Royaume-Uni
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Pour recouvrer sa liberté, le truand Willie Parker (Terence Stamp) accepte de dénoncer ses complices lors d’un procès. Le gangster en chef Corrigan écope d’une peine de 10 ans de réclusion. Une parenthèse enchantée que Willie va mettre à profit pour couler des jours paisibles dans un village de la péninsule ibérique. Il sait qu’il jouit d’un sursis et que dès la sortie de prison de son ancien complice, sa tête sera mise à prix. En dépit de la présence d’un agent de police mandaté par la Garde Civile pour rester en permanence à ses côtés, Willie finit par être kidnappé comme il le craignait et remis aux mains de deux tueurs, Braddock (John Hurt) et Myron (Tim Roth). Leur mission consiste à le convoyer jusqu’à Paris où l’attend Corrigan pour une ultime confrontation avant son exécution. Un périple qui connaîtra quelques accrocs.
Au terme de son galop d’essai à l’occasion de Gumshoe en 1971, un hommage amusé aux polars des années 40 avec Albert Finney en comique de cabaret qui s’improvise détective privé, Stephen Frears retourne par la case télévision où il alterne épisodes de séries et téléfilms pendant une douzaine d’années. Un média auquel il doit beaucoup. Son premier film reconnu, My Beautiful Laundrette auréolé d’une nomination aux Oscars 1987 dans la catégorie du meilleur scénario, était au départ une commande d’une chaîne de télévision avant d’être jugé suffisamment intéressant pour une sortie en salles et d’ainsi lancer définitivement sa carrière au cinéma. Au cours de celle-ci, Stephen Frears retournera régulièrement travailler pour le petit écran, même durant sa parenthèse américaine avec Point Limite. Outre le fait d’être la seconde adaptation d’un roman d’Eugene Burdick et Harvey Wheeler après celle qu’en a tirée Sidney Lumet en 1964, ce téléfilm a la particularité d’avoir été diffusé en direct dépourvu de la moindre musique d’accompagnement. Mais revenons à The Hit dont l’accroche française “Le Tueur était presque parfait” est devenu au fil du temps une sorte de titre alternatif du plus mauvais effet. Produit par l’éclectique Jeremy Thomas (Le Cri du sorcier, Furyo, Le Dernier empereur, Un thé au Sahara, Le Festin nu, etc), ce film témoigne déjà, pour son retour au cinéma, d’envies d’ailleurs.
The Hit s’ouvre sur la grisaille londonienne. Du ciel bas aux immeubles sales et sordides, tout concourt à nous plonger dans les turpitudes du quotidien de Willie Parker. Or ce quotidien là, il n’en veut plus. Ou tout du moins les circonstances – son arrestation – ont contribué à ce qu’il s’en détache. S’offre à lui une porte de sortie inespérée à la condition qu’il témoigne contre ses complices d’antan. Un choix délicat, puisqu’il le condamne à plus ou moins court terme, mais qu’il assume non sans panache. Seule à la barre, face aux visages fermés et menaçants des accusés, il balance tout ce qu’il sait avec une étonnante décontraction. Devant nous, il s’allège d’un lourd fardeau et exprime tout son soulagement. L’ellipse temporelle ne change rien au personnage, ou si peu. Le cheveu désormais grisonnant et la tenue vestimentaire plus légère et décontractée, Willie arbore toujours cet air malicieux que la présence envahissante d’un garde du corps n’altère nullement. Il profite de la moindre latitude que lui laisse le destin – une chaîne de vélo qui saute – pour s’octroyer quelques instants de solitude inespérés. Ce calme olympien tranche radicalement avec la fébrilité dont font preuve ses ravisseurs, Myron en tête. Après avoir au début tenté d’échapper à son sort, Willie semble rapidement s’accommoder de la situation, accueillant cela avec fatalisme. Or son flegme désarmant devient source de suspense. On en vient à attendre le moment où il va tenter quelque chose, ou lorsque ses propos incessants commenceront à faire germer une graine de rébellion dans l’esprit de l’impétueux Myron. Mais rien ne se passe. Son comportement tend même à déconcerter le pourtant expérimenté Braddock, incrédule devant tant de passivité. Dans ses grandes lignes, le convoyage du condamné se déroule donc tel qu’il a été envisagé. A ce stade, la police n’incarne qu’une menace lointaine et diffuse. A l’image de l’officier de police en charge de la traque aux propos souvent inaudibles pour le spectateur, la partie policière intéresse peu Stephen Frears. Elle n’est là que pour conférer une résonnance concrète aux actes criminels du duo de tueurs. Un déploiement de force démesuré qui amuse davantage Willie qu’il ne le rassérène. La perspective qu’ils puissent être interceptés ne modifient en rien son attitude. A Maggie, l’otage imprévue qui lui demande son aide, il lui opposera un refus catégorique. Willie n’a décidément pas l’âme d’un héros.
The Hit n’est pas exempt d’éclats de violence. La majorité d’entre eux trouve en Braddock leur meilleur ambassadeur. Plus nerveux, Myron demeure néanmoins encore trop tendre pour ce métier qu’il découvre. C’est une petite frappe à la langue bien pendue, plus adepte du coup de poing que du coup de feu. En somme, une version plus fréquentable de Trevor, première incursion fracassante de Tim Roth au cinéma dans Made in Britain de Alan Clarke. Ces éclats de violence illustrent le plus souvent l’impatience des personnages devant une situation qui leur échappe, ou dans le cas de Myron relèvent de la simple envie de se défouler. Le film ne saurait cependant se résumer à ça. Le cœur de l’intrigue se joue à un niveau plus psychologique. L’ombre de la mort plane partout. Pas seulement sur le plan visuel et les quelques cadavres épars que Braddock laisse derrière lui mais surtout dans les têtes. Myron est un cas à part. Du haut de son insolente jeunesse, il se croit exempt de ce genre d’interrogations comme si cela était une question d’âge. A cela s’ajoute qu’il se trouve du bon côté du flingue et qu’il n’a a priori aucun souci à se faire à ce sujet. Cependant, à soudain côtoyer la mort de près, il se rend finalement compte de la difficulté du passage à l’acte. Tuer n’est pas donné à tout le monde. Braddock n’a pas ce genre de scrupules. Il tue parce que c’est son job et parce qu’il a ça dans le sang. Ce qui ne l’empêche pas de faire preuve de compassion, à sa façon. John Hurt compose un tueur au verbe rare dont l’impassibilité masque mal les tourments intérieurs. Avec son air blafard et son refus de boire et manger quoique ce soit, il a tout du cadavre ambulant. La mort, il vit avec, c’est son quotidien. La redouter s’avère primordial dans le cadre de son métier. Ça incite à la prudence. En ce sens, l’attitude de Willie le déconcerte autant qu’elle le dégoûte. Derrière ses grands discours frappés du sceau des grands auteurs se lit l’orgueil d’un homme qui pense avoir su conjurer la peur ultime. Or tout n’est pas aussi simple. A quelques reprises, l’attitude de Willie trahit sa trouille de mourir. Son visage qui se ferme à l’écoute du chant funeste entonné par les accusés qui accompagne sa sortie du tribunal, sa tentative désespérée d’échapper aux petites frappes espagnoles qui viennent le kidnapper ou son incompréhension lorsqu’il comprend que son heure est venue alors qu’il est persuadé qu’il verrait au moins Paris comptent comme autant d’entorse à sa sagesse autoproclamée. Cette virée à travers les terres arides espagnoles prend des allures de veillées mortuaires, de dernier voyage lors duquel chaque moment compte (un coin de verdure au bord d’une rivière acquiert à ses yeux une dimension élégiaque). Un périple au cours duquel Willie s’éteint peu à peu alors qu’à ses côtés s’anime Maggie, éprise d’une soif inextinguible de vivre. Elle se bat avec ses armes contre cette fichue fatalité qui a mis ces tueurs sur son chemin, s’attirant l’admiration discrète de Braddock. D’abord filmée comme un pur objet sexuel qu’on maltraite, elle finit par incarner cette pulsion de vie sans calcul qui manque cruellement aux autres.
Polar ensoleillé et aride, The Hit charme par son ton désenchanté à l’imprévisible inéluctabilité. Stephen Frears filme avec élégance ce récit funèbre aux personnages opaques d’où s’échappe fugacement une once d’humanité. Film passé quasiment inaperçu à sa sortie, The Hit mérite amplement cette session de rattrapage que nous offre cette réédition en dvd et blu-ray chez ESC. Avec ce film, Stephen Frears pose les jalons d’une filmographie variée dont les polars constituent des marqueurs importants. Ce n’est pas un hasard si sa carrière américaine débutera réellement avec Les Arnaqueurs, adaptation du roman éponyme de Jim Thompson.