CinémaThriller

Surveillance – Jennifer Lynch

surveillance

Surveillance. 2008

Origine : États-Unis 
Genre : Thriller champêtre 
Réalisation : Jennifer Lynch 
Avec : Bill Pullman, Julia Ormond, Pell James, Ryan Simpkins…

Deux fédéraux (Julia Ormond et Bill Pullman) débarquent dans un commissariat isolé pour y interroger les trois survivants d’un terrible carnage : une enfant, une junkie et un agent de police. Trois témoins pour autant de versions différentes desquelles les deux fédéraux devront distinguer le vrai du faux s’ils veulent parvenir à y voir clair dans cette affaire.

Pour commencer, ôtons d’ores et déjà tout doute éventuel, oui, Jennifer Lynch est bien la fille de David Lynch (Elephant Man, Blue Velvet, Lost Highway), et non, son cinéma n’a pas grand-chose à voir avec les œuvres paternelles. Son premier film, Boxing Helena (1993), narrait l’enivrante passion d’un brillant chirurgien pour une femme fatale qui, pour la garder éternellement près de lui, n’hésitera pas à la mutiler. A la sortie du film, dont la production avait déjà été compliquée, Jennifer Lynch a été copieusement éreintée par la presse de l’époque, lui reprochant tout à la fois son manque de savoir-faire et le grotesque du traitement. Ayant très mal vécu ce lynchage (rires) médiatique, Jennifer Lynch a éprouvé l’impérieux besoin de prendre du recul par rapport au milieu, se concentrant davantage sur sa vie privée. Sous ses dehors de film de genre, Surveillance marque avant tout la renaissance d’une réalisatrice qui, plus mature et donc de son propre aveu moins sensible à la critique, est désormais prête à se consacrer entièrement à son métier.

Un peu à la manière du Rashômon de Akira Kurosawa, modèle en la matière, l’intrigue de Surveillance repose sur un même événement narré selon trois points de vue distincts. Cependant, là où le cinéaste japonais prenait un malin plaisir à faire mentir les images, Jennifer Lynch se contente de dérouler son intrigue de manière logique, le décalage résidant uniquement entre ce que nous voyons à l’écran et les propos tenus par les trois personnages interrogés. De fait, à l’exception de la gamine traduction littérale de l’expression « la vérité sort de la bouche des enfants », tous les personnages travestissent la vérité à leur profit, chacun ayant des choses peu avouables à cacher. Si le mensonge de la junkie s’avère bon enfant, celle-ci prétextant une recherche d’emploi en lieu et place de l’achat de sa dose de cocaïne, celui de l’agent de police prend une dimension plus effrayante. C’est d’ailleurs de son comportement et de celui de son défunt collègue que naît le malaise distillé par le film, davantage que du rebondissement final. A travers ce duo de policiers en mal d’action se lit tout le désœuvrement d’une région désertique qui n’a rien d’autre à proposer que d’immenses prairies comme seul horizon. Les gens ne s’attardent pas ici. Ils ne font que passer, sans même un regard pour les gens du coin. Le petit jeu cruel auquel s’adonnent les deux policiers témoigne d’un profond mal être lié à leur envie d’exister. En arrêtant de manière arbitraire des automobilistes soi-disant coupables d’excès de vitesse, ils se donnent une raison d’être, abusant sans vergogne de l’impunité que leur procure leur insigne. Lors de cette longue scène particulièrement dérangeante d’interpellations infondées, Jennifer Lynch retrouve toute l’ambiguïté et le côté poisseux du Abel Ferrara de Bad Lieutenant. Elle marque l’acmé du film, faisant subitement éclater toute la tension sous-jacente que le récit était parvenu tant bien que mal à contenir jusque là. A tel point qu’elle nous fait oublier les visions cauchemardesques qui entrecoupaient le générique et la raison de la venue des deux fédéraux : l’élucidation d’un massacre particulièrement sanglant.

Lorsque celui-ci intervient, la mise en scène se fait moins limpide. Le montage, plus haché, laisse volontairement des blancs propices à l’interprétation. Pour la réalisatrice, il s’agit non seulement de préparer le rebondissement à venir mais également de rendre compte de manière cohérente de la vision fragmentaire que chaque protagoniste a pu avoir de cet événement. Les ellipses du récit des trois survivants trahissent la soudaineté du drame ainsi que leur incapacité à remettre tous les éléments à leur juste place, logiquement choqués par ce à quoi ils ont assisté. Néanmoins, cela ne va pas sans quelques interrogations de notre part, notamment en ce qui concerne la survie de ces trois personnages là. Mais tout cela fait partie du dessein d’un scénario volontairement retors, cherchant à bousculer nos certitudes lors d’un final gentiment amoral.

Pour son retour à la réalisation, Jennifer Lynch signe un thriller tout ce qu’il y a de plus recommandable. Elle parvient à maintenir une ambiance pesante tout du long, le tout parsemé d’un humour noir de bon aloi et de quelques idées croquignolettes, dont une mise à mort alliant sensualité et cruauté. Quant au rebondissement final, il offre une seconde grille de lecture à ce qui précède, notamment au niveau des dialogues qui se teintent d’un double sens savoureux. Une bonne surprise, justement couronné du grand prix au festival de Sitges.

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