Spider – David Cronenberg
Spider. 2002Origine : France / Canada / Royaume-Uni
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Spider (Fiennes) est un attardé mental arrivant à Londres pour être logé dans une pension à proximité des lieux de son enfance, époque à laquelle son traumatisme est apparu, au sein de sa famille de prolétaires, avec un père assez alcoolique et violent et une mère… ben la source de ses problèmes, en fait… Donc Spider adulte va essayer, malgré sa déficience mentale prononcée, de reconstituer son passé, les mécanismes de sa folie. Le tout à l’aide de flash-backs.
Pour beaucoup, Cronenberg s’est depuis pas mal de temps renié. Depuis au bas mot 1996, avec Crash. Et pour les plus durs depuis 1993 et le pourtant génial M Butterfly. Quoi qu’il en soit, ce sont pour moi des conneries et Cronenberg est un des seuls réalisateurs à avoir gardé constamment ses thématiques (interaction chair-esprit) depuis son début de carrière, il y a 30 ans. Mieux, il les a développées, lui évitant ainsi de tourner en rond. Mais visiblement, certains n’aiment pas le changement et préféreraient voir les mêmes personnalités de talents refaire inlassablement les mêmes films. Certains n’aiment pas l’esprit d’initiative. On voit aussi le même raisonnement qui est appliqué à Tim Burton. Voilà, voilà, je tenais à mettre les choses au clair selon mon point de vue…
Spider fait donc partie intégrante de la filmographie de Cronenberg. Ici, le génie canadien se propose d’analyser la folie. Ses raisons et ses répercussion. Parlons de ses raisons, tout d’abord. Et bien il faut admettre que c’est ici le point faible du film. Il s’agit en fait d’un raisonnement que certains pourraient qualifier d’auteurisant, mais qui au contraire est traité un peu grossièrement à mon goût. C’est-à-dire que Cronenberg délivre une explication freudienne de base, assez rudimentaire, façon première année de fac, presque. La mère et la sexualité est à la base du traumatisme de Spider…Un twist final, plutôt grossier, viendra tout expliquer. Bon. Passons sur cet aspect qui, si il est grossièrement traité, n’est pas pour autant débile non plus. C’est en effet assez rare à ma connaissance qu’un cinéaste illustre une telle théorie psychologique. Et de plus, c’est très loin d’être le seul atout du film. Spider est en effet un modèle de mise en scène. Le personnage de Spider, incarné par un hallucinant Ralph Fiennes, est en effet au centre de tout. Ou plus exactement sa folie, vue comme une toile d’araignée. Elle part dans toutes les directions, liées entre elles, sans que le personnage ne sache exactement où il est. Il est perdu dans sa propre toile d’araignée mentale, c’est-à-dire sa propre folie. Il va essayer avec ses moyens limités de reconstituer son passé. Un passé éminemment sombre, mélancolique et déprimant. Spider a été seul toute sa vie, et il le reste.
Tout ça dans le milieu du Londres le plus prolétaire, le plus sale qui soit, au sein duquel Spider va reproduire physiquement son état mental. Via les espèces de fils qu’il assemblait en toiles d’araignée étant enfant, et au-delà même de ces fils, via tous les décors et la photographie. Du reste on peut se demander si c’est Spider qui imagine son environnement d’une façon aussi noire ou si c’est l’environnement qui conditionne l’esprit de Spider. La première solution semble être la bonne, si l’on voit que les rues sont assez irréalistes. Spider y déambule toujours seul. La noirceur et le malaise qui s’installent dans ces rues transpirent à l’écran. Trop pour être réaliste : cela doit être le fruit de l’imagination de Spider. Sa folie lui fait percevoir le monde ainsi, sans non plus verser dans un absurde hallucinatoire. Non, il s’agit plus de la reproduction physique d’un monde mental fait de désolation, d’incompréhension et de désespoir. La photographie de Peter Suschitzky est ainsi un chef d’oeuvre du genre. Elle est complétée par la partition de Howard Shore (compositeur habituel de Cronenberg), à base de violon et de piano, et du rythme très lent de la réalisation (chiant pour certains) extrêmement triste également.
Bref, avant d’être un film freudien, Spider est avant tout un film de mise en scène. Un exercice de style rare, reposant sur la collaboration entre le metteur en scène et son chef-opérateur. Et un exercice réussi brillamment par Cronenberg, qui étale son génie et qui permet à Peter Suschitzky d’en faire autant.
Un film très mélancolique (il n’y a qu’à voir Spider chantant “Silent Night Holy Night”), dont les consonances freudiennes ne sauraient dissimuler le talent des techniciens et des acteurs, tout entier consacré au climat de mélancolie ambiant. Et en prime, Cronenberg continue à illustrer son thème privilégié de la chair et de l’esprit, ici dans un film minimaliste… Alors bien sûr, ce n’est plus du fantastique, ce n’est plus un film d’horreur, et ce n’est pas non plus un film mené à 100 à l’heure avec un montage épileptique.
J’ai jamais été fan de David Cronenberg, me sentant toujours largué face a ses films, avec cette critique j’en apprends plus sur le film que si je ne l’avais vu. Si je devais le voir, j’aurai grace à cette critique, les clés de compréhension, qui m’évitera de déchiffrer ce que je vois.