Shanghai Joe – Mario Caiano
Il mio nome e’ Shangai Joe. 1973.Origine : Italie
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Tout juste débarqué à San Francisco, Chin Hao nourrit un seul but, partir découvrir le Texas afin de devenir un cow-boy. Rapidement rebaptisé Shangaï Joe, il doit composer avec l’animosité des locaux, lesquels voient d’un mauvais œil qu’un étranger vienne marcher sur leurs plates-bandes. Alors lorsqu’il se révolte contre les agissements de Spencer et ses hommes, lesquels n’hésitent pas à tuer les mexicains qu’ils escomptaient vendre comme esclaves lorsque l’armée est à leur trousse, sa tête est mise à prix. Associé à d’autres notables, Spencer engage les quatre tueurs les plus impitoyables de l’Ouest pour se débarrasser de l’impudent chinois.
Alors que Hollywood en est encore à confier le rôle d’un chinois à un blanc, au grand dam de Bruce Lee à l’origine de la série Kung-Fu qu’il voyait comme un véhicule à sa gloire et dont le rôle titre – Kwai Chang Caine – assurera finalement la popularité de David Carradine, le cinéma italien s’empare d’une réalité historique (l’importante immigration chinoise dès 1849 motivée par la ruée vers l’or) sans faux-fuyants mais pas sans arrières-pensées. En ce début des années 70, et dans le sillage de ce même Bruce Lee, déferle sur les écrans une multitude de film d’arts martiaux pour un public friand de castagnes. Shanghai Joe répond donc à un savant calcul qui en mêlant deux genres populaires escompte remporter le gros lot. Dans le rôle titre, le film propulse un transfuge du cinéma Hong-kongais – Chen Lee – dont la carrière se résume jusqu’alors à un titre rendu mythique par sa version française (Ça branle dans les bambous de Sum Cheung) et à une première excursion dans le cinéma européen (Les Rangers défient les karatékas de Bruno Corbucci), et l’entoure de quelques figures récurrentes du western spaghetti, des transfuges elles aussi pour la plupart, comme Gordon Mitchell, Klaus Kinski et Giacomo Rossi Stuart. Le chevronné Mario Caiano (Ulysse contre Hercule, La Vengeance de Ringo, Les Contes de Viterbury) se charge de mettre en image sa découverte de “l’Ouest américain” suivant un canevas propre aux films de kung-fu, le récit se résumant en une succession d’affrontements, inévitable chemin de croix vers son accomplissement.
Shanghai Joe prend le parti de situer son intrigue en 1882, année particulièrement importante dans l’histoire de l’immigration chinoise aux États-Unis puisque c’est le 6 mai de cette année là que la loi d’exclusion des Chinois a été votée. Cette loi fédérale fait suite aux révisions de 1880 du traité de Burlingame ratifié en 1868 et interdit désormais sur le sol nord américain l’immigration de travailleurs en provenance de la Chine. Chin Hao peut donc être considéré comme un représentant de la dernière vague d’immigration et son parcours chaotique illustre le racisme dont ont été victimes les Chinois à cette époque. Où qu’il aille, Chin Hao ne suscite que railleries et animosité. Il est traité comme un moins que rien auquel on nie son identité propre au profit d’un surnom rabaissant, et il doit s’estimer heureux de voyager sur le toit de la diligence – avec les bagages – alors qu’il a payé sa place en cabine comme tout le monde. L’un de ses contempteurs précisera « qu’ils ne se sont pas débarrassés des Indiens pour se laisser envahir par les Chinois » en une sentence qui laisse peu d’espoir quant à la qualité de l’accueil qui lui sera réservé. Et si certains font mine de l’accepter, en l’invitant notamment à participer à une partie de poker, c’est dans l’unique but de l’escroquer. Bouffis de suffisance, les texans ne peuvent concevoir une seconde que cet homme à l’allure improbable et originaire d’un pays dont ils ignorent tout puisse maîtriser les complexités d’un jeu profondément ancré dans les mœurs américaines. Loin de se concentrer sur l’unique figure de l’immigré chinois, le film élargit son propos aux Mexicains, exploités sans vergogne par un odieux salopard – Stanley Spencer, pour ne pas le nommer – qui s’arroge le droit de vie et de mort sur leurs personnes. Mario Caiano oppose ainsi l’ignominie des cow-boys et des propriétaires fonciers à la profonde humanité des paysans mexicains lesquels, en dépit de leurs difficiles conditions de vie, savent considérer l’étranger avec respect. Néanmoins, et en dépit de cette lutte des déclassés que le film illustre, Mario Caiano n’œuvre pas dans cette branche plus politisée du western italien à tendance gauche révolutionnaire comme El Chuncho ou encore Colorado. Les paysans mexicains restent à leur place, acceptant leur sort avec résignation sans qu’aucun d’eux ne veuille s’élever contre le joug de Stanley Spencer. Seul Chin Hao mène le combat, et encore agit-il davantage pour défendre sa peau – sa tête est mise à prix – que suivant une volonté farouche de changer les choses. Il ne comprendra la portée et l’importance de son combat qu’au moment de l’épilogue, où il décidera alors de mettre ses aptitudes martiales au service d’une noble cause, reléguant son aspiration à devenir cow-boy aux oubliettes au profit de celle de justicier.
Shanghai Joe se construit sur le mode de la confrontation, celle de deux mondes et celle de deux genres. La violence et le sadisme propres au western spaghetti s’accompagnent ici d’une certaine complaisance liée pour la plupart aux aptitudes martiales de Chin Hao. Œil arraché, main tranchée, corps empalé, constituent quelques exemples parmi d’autres des écarts gores que s’autorise Mario Caiano. Paradoxalement, Chin Hao n’aura pas trop à souffrir de cette violence. S’il se prend deux balles de winchester dans les jambes, le laissant un cours instant à la merci du sadisme du bien nommé Scalper Jack (Klaus Kinski pour une apparition éclair), il aura tôt fait de s’en remettre grâce à des onguents miracles rapportés de Chine. Tout entier dévoué aux cabrioles de sa vedette martiale (littéralement, Chin Hao effectuant des bonds prodigieux pour contrer l’adversité, qu’elle soit animale – un taureau – ou humaine), Mario Caiano fait de son héros un être d’exception. Pourvu d’aptitudes physiques exceptionnelles, fruit d’un long entraînement qu’un bref flash-back nous fera partager, Chin Hao se révèle à l’aise dans tous les domaines. Il n’a aucune faille, aucun vice, bref, il véhicule l’image du héros parfait. Trop même, à tel point que ça le rend fadasse et inintéressant. Il n’y a rien non plus à tirer de la romance platonique qu’il noue avec Cristina, cette dernière n’étant vouée qu’à jouer les demoiselles en détresse à des moments précis du récit. A cela s’ajoute le côté répétitif de l’intrigue laquelle se limite à lui opposer des adversaires plus forts les uns que les autres jusqu’à Mikuja, transfuge tout comme lui de la même confrérie. Sorte de pendant négatif de Chin Hao, il délaisse les belles valeurs apprises pour un appât du gain plus conforme au pays hôte. S’ensuit un duel, sabres à l’appui, propice au basculement du western initial au wu xia pian sans pour autant que cette adversité prétendument plus relevée ne fournisse le final en fanfare espéré.
Ce qui sur le papier promettait de donner une plus-value au film contribue au final à son échec. Pour amusant que soit au départ l’intrusion du kung-fu dans l’univers stéréotypé du western, celle-ci tourne court, faute d’un véritable propos à défendre. Shanghai Joe n’est qu’un film opportuniste, confirmant la perte de vitesse du western transalpin, de plus en plus phagocyté par l’humour et les alliances improbables. Le film de Mario Caiano connaîtra néanmoins une suite – Che botte ragazzi ! de Bitto Albertini – que Klaus Kinski couronnera de sa présence au contraire de Chen Lee, remplacé par Cheen Lie au nom qui fleure bon le clone.