CinémaComédie

Romance à Moscou – Gueorgui Danielia

romanceamoscou

Я шагаю по Москве. 1964

Origine : U.R.S.S. 
Genre : Comédie lyrique 
Réalisation : Gueorgui Danielia 
Avec : Nikita Mikhalkov, Alexeï Loktev, Galina Polskikh, Evgueni Steblov…

En revenant de Minsk et avant de rejoindre sa Sibérie natale, le jeune écrivain Volodia (Alexeï Loktev) s’arrête pour une journée à Moscou, où il doit rencontrer un auteur professionnel. Perdu dans la capitale russe, Volodia a la chance de croiser la route de Kolia (Nikita Mikhalkov), jeune ouvrier enjoué qui va le prendre sous son aile pour lui faire découvrir les charmes de la ville, au nombre desquels on peut ajouter Aliona (Galina Poslkikh), vendeuse de disques courtisée par Kolia… et qui ne laisse pas non plus insensible Volodia.

Film emblématique de la libéralisation khrouchtevienne, Romance à Moscou (également nommé Je me ballade dans Moscou -qui est la traduction littérale du titre original-) se définit comme une “comédie lyrique”. C’est en tout cas ce qui est inscrit à son générique. D’aucuns l’évoquent comme une sorte de représentant de la “nouvelle vague” soviétique, par opposition aux sujets politiquement chargés et quelque peu figés de l’époque stalinienne. C’est que Romance à Moscou mise tout sur la légèreté de son intrigue davantage conduite par son metteur en scène que par ses personnages. Le réalisateur Gueorgui Danielia peut en outre compter sur un scénario écrit par Guennadi Chpalikov, également connu pour ses activités de poète, ainsi que sur la musique d’Andreï Petrov, ancien élève du conservatoire de Leningrad et qui se fit connaître par ses ballets, ses symphonies, ses opéras… Enfin, son casting est composé de jeunes acteurs fraichement sortis des écoles dramatiques ou n’ayant même pas encore achevé leur formation, comme c’est le cas pour la tête d’affiche Nikita Mikhalkov (fils du parolier de l’hymne de l’Union soviétique), appelé à une grande carrière par la suite. Incontestablement, Romance à Moscou fait souffler un vent nouveau sur le cinéma soviétique. Exemple le plus éloquent : la désacralisation de l’Armée rouge, haut lieu du cinéma et de la société soviétique. Loin de provoquer un sursaut de fierté prolétarienne, la perspective des deux ans sous les drapeaux est vue comme une sorte d’étape imposée dans la vie de Sacha, un ami de Kolia, qui s’y soustrairait bien pour servir davantage sous la couette avec la fille qu’il projette d’épouser prochainement. Il demande donc un ajournement. Puis après une engueulade avec sa promise, il y retourne non par sens du devoir mais sur un coup de tête, pour bien montrer sa mauvaise humeur envers la future ou l’ex (c’est l’un des enjeux secondaires du film) madame Sacha… quitte à avouer plus tard qu’il a fait une bêtise. Le point de vue est donc résolument celui des individus et de leurs intérêts personnels. C’est la vie de tous les jours du jeune soviétique que veut nous montrer Danielia. Dans ce Moscou des années 60, la jeunesse n’est ni embrigadée ni enfermée dans un carcan idéologique : elle aspire à vivre sa vie propre, surtout dans une ville aussi active que la capitale soviétique. Bien qu’il ait connu un certain succès d’estime à l’étranger (il fut présenté au festival de Cannes 1964), Romance à Moscou ne s’adresse pourtant pas à un public étranger. Ce n’est pas une œuvre de propagande mais une œuvre que le public attendait, et c’est très certainement pour cette raison qu’il fut aussi bien reçu chez lui. Le cinéma de l’ère khrouchtchevienne, qui sur un sujet plus ou moins comparable est également représenté par La Ballade du soldat, parle du quotidien comme jamais ne l’avait fait le cinéma de l’ère stalinienne. Il ne profite pas uniquement du relatif relâchement de la censure : tout autant que les films produit sous Staline, qui reflétaient la construction idéologique et matérielle d’une société nouvelle, de la lutte contre le fascisme et contre différents ennemis, cette “nouvelle vague” illustre l’apaisement des années Khrouchtchev, lequel considérait la lutte des classes achevée et donnait une place croissante à la production de biens de consommation. Il n’est pas étonnant que dans ce contexte, des films comme celui-ci soient apparus. Ils répondaient aux aspirations d’une société désormais bien développée et inscrite dans la modernité.

La banalité est donc le sujet même de Romance à Moscou. Tout simplement parce que c’était quelque chose d’à peu près inédit dans le cinéma soviétique. En choisissant de faire simple et de se baser sur des sujets universels, Danielia touche un très large public. C’est pourquoi la romance triangulaire entre Kolia, Volodia et Aliona n’a rien de très d’élaboré. Ce n’est que le conflit que se livrent deux jeunes hommes pour les yeux d’une jeune femme, sans que les sentiments profonds ne soient réellement étudiés. Le choix d’Aliona est très tôt apparent, et il est de toute façon prévisible du fait de la proximité de son caractère avec celui de son élu, à savoir Volodia. Tous deux sont d’une grande timidité, avec une sensibilité romantique affirmée (et confirmée par la profession de Volodia ainsi que son statut de sibérien plus habitué à la nature qu’au bitume), tandis que Kolia est au contraire un extraverti blagueur voire impertinent, tout en étant extrêmement serviable. On ne s’intéresse donc pas trop aux deux tourtereaux, plutôt transparents. En revanche, par son insouciance, Kolia incarne toute la philosophie du film. Tour à tour il fascine, agace et révolte les moscovites de la vieille génération, peu habitués à de tels comportements. Plus qu’à la rivalité qu’il entretient avec Volodia, qui de toute façon est devenu son ami quoi qu’il adviendra, c’est bien son comportement dans les rues de Moscou qui doit être pris en compte. Danielia le confronte à tout un tas de soviétiques plutôt impassibles, et qui sous son influence sortent de leur torpeur habituelle. Sans lui, gageons que Volodia et Aliona n’auraient jamais osé s’aborder et s’afficher ensemble, sans même parler de leur implication dans une aventure qui les conduira au poste de police. Quel que soit le sentiment qu’il inspire, sa présence fait réagir, et c’est par ce procédé qu’il contribue à faire “bouger” la ville. Au point il faut bien l’admettre d’être parfois irritant aux yeux d’un spectateur du XXIe siècle… Son insouciance constante fait de Kolia un vrai échappé d’une comédie musicale, et c’est sans surprise qu’il conclut le film en chanson, ajoutant les paroles à une mélodie utilisée très régulièrement au cours du film, principalement lors des fameuses ballades à Moscou (la chanson donne son titre VO au film). Ce sont d’ailleurs elles qui permettent d’incorporer l’adjectif “lyrique” au générique, non seulement parce qu’elles permettent de flâner à peu de frais au cœur de la ville, magnifiée jusqu’à parfois ressembler à une brochure de tourisme (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de lieux plus “typiques” comme une fête foraine), mais aussi parce que le réalisateur les met en images de façon très fluide, très vivante, et par conséquent très en phase avec l’ambition de son œuvre.

Se déroulant sur une seule journée, Romance à Moscou fait de la venue de Volodia en ville un séjour intense où il connaîtra l’amitié, l’amour, l’enrichissement professionnel (auprès de l’écrivain qu’il est venu voir), et l’âme d’une ville en mouvement. Une telle journée ne peut que l’inciter à l’optimisme, et à une philosophie très “carpe diem” véhiculée avant tout par Kolia -et par le réalisateur- qui s’impose comme symptomatique d’une époque. Danielia a réalisé un film dont la postérité doit autant à ses qualités qu’au fort potentiel de sentiment nostalgique qu’il doit très certainement inspirer au public de son époque. En outre, il n’est pas interdit de le voir comme une sorte d’hommage à Moscou, un peu à l’image de ce que sera en son temps un Amélie Poulain à Paris. Par conséquent, faute de vraie nostalgie, les plus jeunes pourront aussi se sentir attirés par une vision aussi idéalisée (pour tout dire “lyrique”) d’une ville dont les modifications ont depuis lors été conséquentes, ne serait-ce parce qu’elle se trouvait alors au cœur d’une nation et d’un système qui n’existent plus.

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