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Reds – Warren Beatty

reds

Reds. 1981

Origine : Etats-Unis 
Genre : Biopic historique 
Réalisation : Warren Beatty 
Avec : Warren Beatty, Diane Keaton, Jerzy Kosinski, Jack Nicholson…

Avant de parler de Reds, un petit topo sur Warren Beatty s’impose. Bien qu’aujourd’hui largement oublié par Hollywood et par le grand public (il faut dire qu’il ne tourne pratiquement plus), l’homme fut l’un des acteurs les plus engagé du mouvement social de la fin des années 60. Son film le plus notable, Bonnie and Clyde, sur lequel il officia également en tant que producteur, témoigne de ses penchants progressistes voire romantiques, qu’il concrétisa d’une implication politique jamais démentie aux côtés des démocrates. Démarrant comme soutien de Robert Kennedy aux investitures de 1968, il fut soutien officiel des candidats démocrates jusqu’en 1999, année lors de laquelle il franchit le rubicon et se proposa lui-même en tant que candidat. Il ne fut pas investi par le Parti, ne soutint aucun des autres postulants, mais il ne quitta pas pour autant le navire, malgré les appels du pieds d’autres Partis en mal de publicité. Beatty est donc un homme engagé, et les fréquents échecs de ses luttes politiques ne l’ont pas découragé. Doté également d’une réputation de play-boy avec laquelle il joua bien souvent, il peut en quelque sorte être perçu comme le père spirituel de George Clooney. Sa carrière de réalisateur, très mince, s’amorça en 1978 avec Le Ciel peut attendre, une co-réalisation plutôt bien accueillie. Mais son gros projet, l’œuvre de sa vie peut-on dire, reste Reds, qu’il mit dix ans à monter. Un projet très courageux, car retraçant la vie de John Reed, journaliste communiste américain, fondateur du Parti Communiste des Etats-Unis, témoin puis acteur de la révolution d’Octobre auprès des bolchéviques, observateur du Komintern (la IIIème Internationale) à Moscou, auteur du livre Dix Jours qui ébranlèrent le monde (préfacé en Russie par Lénine lui-même) et unique américain enterré au Kremlin. En somme, Reed est l’icône des communistes américains. En 1981, alors que les deux blocs de la Guerre Froide entamaient un regain d’agressivité sous l’impulsion de la politique néo-conservatrice de Ronald Reagan (l’homme qui désigna l’URSS sous le nom “d’Empire du mal“) et de l’ultime sursaut de fierté de Leonid Brejnev, oser dédier un film de trois heures à la mémoire du plus célèbre communiste américain relevait de la gageure.

Beatty s’acquitte de cette tâche avec un soin tout méticuleux prouvant sa fascination pour John Reed. Ses travaux de recherches l’amenèrent notamment à retrouver la trace des contemporains américains de John Reed, invités à s’exprimer face à la caméra dans des témoignages certainement pas commandés (les propos de plusieurs invités étant contradictoires) et disséminés dans le film en fonction des scènes auxquelles ils se rapportent. Le biopic ne s’attache pas qu’aux implications bolchéviques de John Reed, et l’orientation de Beatty est celle de décrire la progression logique d’un homme de gauche, du début de son activisme jusqu’à sa mort de maladie en 1920, en y incluant sa vie sentimentale, elle-même liée aux implications politiques. John Reed est au départ un rédacteur du journal marxiste The Masses, membre du Parti Socialiste américain. C’est un homme progressiste, un dandy opposé au mariage. Logique que sa route croise celle de Louise Bryant (Diane Keaton), une autre journaliste, marxiste et féministe. Leurs relations constituent le fondement de la vie de Reed. Car bien que les deux soient officiellement opposés à la fidélité charnelle bourgeoise, leurs infidelités seront au coeur de plusieurs brouilles, preuve que le dogmatisme de la morale la plus libertaire qui soit a bien du mal à résister aux réalités sentimentales (John et Louise finiront même par se marier, même si il s’agit officiellement d’un mariage sans contraintes). La politique elle-même est plusieurs fois perçue comme une amante de John, amenant Louise à se questionner sur le bien-fondé de l’implication politique, aidée en cela par l’un de ses anciens prétendants, un cynique incarné par Jack Nicholson (grand ami de Warren Beatty). Il faut bien admettre que ces incursions omniprésentes dans la vie privée du couple Reed plombent quelque peu la pertinence du biopic en y introduisant une série de remous sentimentaux très hollywoodiens. Cependant, Beatty s’en sert comme d’une preuve de l’humanité de John Reed, ce qui le distingue des bolchéviques russes et notamment de Zinoviev (Jerzy Kosinski), le leader du Komintern sous la coupe duquel travaille Reed.

Mais n’anticipons pas et revenons au commencement et à la politique. En même temps que l’histoire de Reed, c’est l’histoire des mouvements socialistes américains que Beatty développe avec Reds. Faire démarrer son film en 1916 n’est pas uniquement dû à la volonté de présenter John Reed à l’orée de sa vie d’activiste. Celle-ci découle d’un processus politique fondateur, non seulement pour les États-Unis mais aussi pour le monde en général. A cette époque, le socialisme ne représente qu’une seule et même branche, regroupant ceux qui devinrent les socialistes et les communistes. Alliés ensemble dans la Seconde Internationale Ouvrière, les socialistes se sont jurés de faire passer les intérêts de classes au-dessus des intérêts nationaux. La Première Guerre Mondiale est l’évènement qui fera voler en éclat cette Internationale : les socialistes rejoindront leur gouvernement et soutiendront l’effort de guerre tandis que les communistes resteront pacifistes, jugeant cette guerre comme une guerre impérialiste dans laquelle la bourgeoisie règle ses comptes monétaires en envoyant le prolétariat se faire massacrer au nom du patriotisme. Le cas du socialisme américain à cette époque apparaît en trompe l’oeil : Woodrow Wilson, président, est réélu avec le soutien de tous les socialistes sur le slogan “nous ne sommes pas en guerre, grâce à moi“. Une bravade démentie dans l’année suivant sa réélection, faisant ainsi naître deux tendances : le socialisme et le communisme. Ce qui nous amène donc en 1917, année des Révolutions Russes. Celle de février, qui destitue le tsar pour le remplacer par un gouvernement bourgeois continuant la guerre au mépris de la volonté du peuple, qui sous l’influence bolchévique se rebellera finalement en octobre. Lénine et les bolchéviques feront alors sortir la Russie de la guerre et le pouvoir sera confié aux soviets (assemblées d’ouvriers). Un véritable séisme dans le monde du socialisme, définitivement scindé. John Reed, pacifiste reporter, aura préalablement opté pour le communisme et se sera retrouvé à Petrograd au moment de la prise du Palais d’Hiver. Il sera amené, presque malgré lui, à devenir une figure publique de cette nouvelle Russie, assurant aux ouvriers russes le soutien du prolétarien américain. Il sera aussi une figure de propagande naviguant entre Russie et États-Unis, propageant les idées révolutionnaires. Et c’est précisément à cet instant que Beatty se montre plus particulièrement courageux : plutôt que de décrire une Révolution bolchévique sanglante, un soi-disant coup d’État victorieux (comme aiment à la décrire les historiens bourgeois), il illustre l’immense espoir né de la prise du pouvoir par les bolchéviques. Reed, épousant le point de vue des masses, n’est finalement qu’un propagateur de l’optimisme se basant sur ses propres espérances, les mêmes que celles du prolétariat. L’accueil bienveillant réservé par les masses à la Révolution Russe n’est pas simulé et Reed se retrouve à la tête du communisme américain en ayant de ses yeux constaté le climat de libération ayant gagné la Russie. Ce n’est pas un politicien né : c’est un journaliste devenu politicien. Il n’est pas manipulateur : il ne fait que confronter la réalité de la Russie, espérée libertaire, face à la réalité de l’Amérique, qui au contraire est extrêmement oppressive. Les réactions de la bourgeoisie ne se sont pas faites attendre : les communistes sont arrêtés, et la Russie bolchévique est attaquée par les principales puissances capitalistes. Largement de quoi justifier l’engouement pour la défense de la Russie des soviets, par-delà même ses difficultés. Une vérité historique qui est certes vue par les yeux d’un personnage principal communiste, mais qui ne saurait pourtant être remise en question. Là où le prolétariat retrouvait l’optimisme et l’espoir, les pays occidentaux ont frappé. L’histoire de l’Union Soviétique, avec toutes ses polémiques, ne doit pas biaiser cette véracité historique. Beatty n’est pas communiste, mais au moins reconnaît-il la légitimité de l’engouement né en 1917 et la scandaleuse réplique belliqueuse de l’occident. Un fait largement oublié par la suite, que le réalisateur se fait un malin plaisir de rappeler au monde alors que l’administration Reagan se permettait de donner des leçons aux soviétiques et à leurs sympathisants. Ces scènes de Révolution dans lesquelles le prolétariat russe s’empare du Palais d’Hiver sont incontestablement les plus belles du film et justifient à elles seules l’implication de John Reed dans le système communiste. Son engagement est vu tout simplement comme un acte d’humanité, et non comme une quelconque manœuvre politique personnelle.

Dans les deux ans suivant la Révolution, la pression retombe quelque peu, mais pas la ferveur de John Reed. Contraint de rester en Russie à la fois par Zinoviev et par l’occident, il fait face, tête haute, aux polémiques qui secouent les diverses tendances du Parti. C’est ici que Beatty prouve que son attachement va plus dans le sens de Reed que dans celui de la Russie prolétarienne. Zinoviev, fieffé révolutionnaire, ne laisse pas de place aux aspects humains, refusant à Reed le droit de retourner voir sa femme. Pis encore : étant le chef de Reed au sein du Komintern (dont Reed est chargé de la propagande), il se permet de trahir les traductions en russe des discours rédigés par l’américain. Ceci participe à un contexte répressif, quelque peu désenchanteur pour certains soutiens de la Révolution, telle Emma Goldman, aux tendances anarchistes. Mais chez John Reed, l’élan révolutionnaire dure toujours, et sa foi bolchévique va au-delà de ces répressions pour analyser le contexte de cette Russie que l’occident cherche à étrangler. Beatty n’excuse pas la sévérité de la Russie de Lénine : il l’explique, puisant ses racines non pas dans une quelconque criminalisation génétique du communisme, mais comme le produit de circonstances politiques précises. De même, le manque d’égards face aux sentiments individuels de la part de bolchéviques est à mettre en relation non pas avec une quelconque soif de pouvoir, mais bien avec la volonté de fer de faire triompher la Révolution. Le sentiment que celle-ci finit donc par inspirer est donc à la fois un sentiment d’attraction et de répulsion. John Reed, acteur de la Révolution, n’est au fond resté que le journaliste engagé et humaniste qu’il était au début. Son point de vue est celui de l’observateur étranger, bienveillant au point d’être manipulé (il n’obtiendra pas la permission de rentrer aux États-Unis s’occuper de son propre Parti, pourtant en charge du prolétariat américain). L’espoir de revoir Louise, restée au pays, contribue à lui faire laisser les pieds sur Terre. Et au bout du compte, l’histoire d’amour prendra le pas sur l’histoire politique. La grosse erreur de Beatty réside ici, dans cette tendance à théâtraliser la destinée d’un homme pour lui rendre hommage, défendant davantage son idéalisme que son apport concret à l’Histoire.

Je ne sais pas vraiment si la biographie de John Reed (et de sa femme Louise) est fidèle aux faits véritables. Beatty semble avoir essentiellement oeuvré non pas pour réhabiliter les origines du communisme, mais pour défendre le combat d’un homme qu’il considère comme un véritable humaniste dont les nobles idéaux n’ont jamais fini par prendre le pas sur ses sentiments, perçus comme primordiaux. La décriminalisation de la Révolution d’octobre semble ainsi avoir été conçue dans le but essentiel de défendre la mémoire de cet homme. Pour preuve, tous les communistes s’opposant à Reed le font dans un but que le réalisateur réprouve. Reds est un film américain, et même dans le monde du communisme, le héros américain s’y montre sous un meilleur jour que les leaders russes. Pour autant, reconnaissons à Beatty de ne pas avoir décrit ces derniers comme des monstres sanguinaires. Le réalisateur garde toujours à l’esprit l’origine louable de leurs intentions premières et l’ignominie de l’occident va-t-en guerre. La violence soviétique n’a fait que répondre à la violence occidentale. Une escalade dont la Guerre Froide n’est que l’aboutissement.

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