Pulsions cannibales – Antonio Margheriti
Apocalypse domani. 1980Origine : Italie
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En soi, le gore est déjà quelque chose de limité. Alors quand en plus les producteurs se décident à exploiter un même filon à outrance, empiétant sur d’autres genres, les plus ambitieux réalisateurs ne peuvent que se sentir floués. C’est le cas d’Antonio Margheriti, qui avait déjà traversé la décennie 70 en regrettant l’époque du bon vieux gothique, et qui à l’époque de l’écrasante influence de Zombie et des cannibales était en passe de se trouver un nouveau dada : le film de guerre. Héros d’apocalypse, Tiger Joe, L’Ultime combat, Nom de code “oies sauvages”, tels allaient être les distinctions du Margheriti nouveau. Mais avant, il lui fallut passer par Pulsions cannibales, parfois vendu sous le nom Demain l’apocalypse. Roublard, Margheriti rédige lui-même son scénario avec l’aide de l’expérimenté Dardano Sacchetti et s’en va trouver un prétexte pour mélanger cannibales et soldats. Prétexte rappelant étrangement celui du Mort-Vivant de Bob Clark, dans lequel le personnage principal revenait du Vietnam sous la forme d’un zombie.
Norman Hopper (John Saxon) ne va pas bien du tout : il est hanté par ses souvenirs du Vietnam, et notamment par la vision de deux de ses hommes faits prisonniers puis retrouvés en pleine dégustation de chair humaine. Son traumatisme est tel que lorsqu’il se prend à mordre la jeune obsédée vivant à côté de chez lui, il en vient à douter de sa santé mentale. Les choses ne vont pas s’arranger lorsqu’il apprendra que Charles Bukowski (Giovanni Lombardo Radice), l’un des deux hommes qu’il a libérés au Vietnam, a été relâché de l’asile où il vivait et s’est retranché dans un magasin, tuant plusieurs personnes au passage. Il se rend sur place, convainc son ancien troufion de déposer les armes et de retourner à l’asile. Une précaution bien inutile : Bukowski a déjà mordu et mordra à nouveau. Le monde ne le sait pas encore, mais l’épidémie de cannibalisme a commencé… Norman lui-même ressentira de plus en plus l’envie de croquer ses semblables.
Demain l’apocalypse. Le titre est rudement bien choisi, à se demander s’il n’est pas ironique… Margheriti évite en effet soigneusement de décrire l’apocalypse citée pour se contenter de ses prémices, elles-mêmes repoussées durant trois bon quart d’heure. Il préfère de loin se concentrer sur un sujet logiquement bien plus porteur en Amérique qu’en Italie : la solitude des anciens combattants, fortement ébranlés par le massacre vécu au Vietnam. La réintégration à la société civile est loin d’être gagnée, et même si Norman n’est pas lui-même interné, il a recours à un solide traitement médical. Des photos de guerre sont accrochées au mur de sa maison, et même son hobby, le modélisme, fait écho à la guerre. Ce n’est donc pas demain qu’il se libérera de ses démons. Retrouver le bon vieux Bukowski, lui-même obnibulé par la guerre (après avoir proposé un pot à son ancien supérieur, son premier geste d’homme libre est d’aller voir un film de guerre) lui permet de revenir aux sources. Le contexte particulier, le retranchement dans le magasin, le replonge corps et âme dans le conflit, d’où il aura bien de la peine à s’extraire et où il replongera très tôt. Pour sa part, Bukowski la continue sans discontinuer à l’asile, en compagnie de son compagnon d’infortune vietnamienne. Quand les troupes et leur chef seront de nouveau réunis, la guerre pourra reprendre. Totalement immergés par la guerre, confondant même les égouts boueux avec les marécages vietnamiens dans le climax, Norman et les deux ex-soldats se sentent totalement encerclés par le reste de l’humanité, et ils doivent se défendre avec le moyen qui est le leur, à savoir le cannibalisme. Le massacre est donc littéral, et Margheriti ne se prive pas pour montrer les chairs explosées et ingurgitées, du moins dans la version non censurée du film.
Très crues, les scènes de cannibalisme n’ont vraiment rien à envier à celles des films de zombies ou de cannibales amazoniens. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont avant tout utilisées dans le cadre “guerrier” en tant que symboles de la boucherie vietnamienne. La nature même des cannibales ne ressemble ni à celles des traditionnels zombies, ni à celles des cannibales. Norman et ses hommes ont beau être infectés, ils ont beau être psychotiques, ils n’en demeurent pas moins lucides, parviennent à se débrouiller, se souviennent de leur formation militaire et sont toujours largement capables de parler. Ils n’apparaissent pas réellement comme des menaces aux yeux des spectateurs, et inspireraient même plutôt la pitié, aidés en cela par la bonne prestation de John Saxon. Quant à l’épidémie, Margheriti ne s’en soucie guère, et ne s’attarde sur les nouveaux contaminés que pour permettre à ses distributeurs d’inscrire le film dans la lignée des films de zombies ou d’anthropophages.
Avec ses allures de pré-Rambo, Pulsions cannibales est une excellente alternative aux sempiternels films de zombies ou de cannibales italiens. Au même titre que Fulci et ses appropriations lovecraftiennes, Margheriti parvient à replacer le gore à l’écran en fonction de ses propres envies. Non seulement le résultat compte parmi les meilleurs films gores italiens, mais il est également possible de le considérer comme le meilleur film de guerre de Margheriti.