Paranoia – Umberto Lenzi
Paranoia. 1970Origine : Italie / France / Espagne
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Pilote professionnelle, Helen (Carroll Baker) est victime d’un sévère accident, duquel elle sort miraculeusement indemne. Son médecin lui conseille du repos, et ça tombe bien : Helen est invitée par son ancien mari Maurice (Jean Sorel) à passer quelques temps dans sa propriété de Majorque. Bien que ne s’étant pas quittée en très bon termes avec lui -elle tenta de l’assassiner après qu’il ait dilapidé sa fortune-, elle y court. Sur place, elle apprend que Maurice est remarié à Constance (Anna Proclemer), et que l’invitation a en fait été envoyée par cette nouvelle épouse. Tout comme Helen avant elle, Constance n’en peut plus de l’attitude parasitaire de Maurice, qui l’a essentiellement épousé pour son argent. Encore physiquement attirée par le playboy, elle n’ose pourtant l’assassiner elle-même, et c’est pourquoi elle a invité Helen afin de l’aider dans cette tâche. C’est aller un peu vite en raisonnement, car en retrouvant son ancien mari, Helen retrouve également la flamme pour lui, surtout qu’il ne cesse de lui faire des avances.
Troisième giallo pour Umberto Lenzi, et troisième collaboration avec Carroll Baker. Il n’en faudra pas davantage pour que le couple Martino / Fenech trouve ses marques et livre quelques années plus tard un des meilleurs giallo qui soit, L’Alliance invisible. Las, le tandem Lenzi / Baker reste encore loin de s’imposer, retrouvant et amplifiant les mêmes travers que dans leur tentative précédente, Si douces, si perverses. Là où ce dernier pouvait compter sur l’aide des frères Martino, Paranoia repose entièrement sur les épaules de Lenzi, qui a bien du mal à intégrer la notion de giallo, préférant n’en garder que les côtés les plus superficiels et monter de toute pièce une intrigue de thriller classique. Si on ne retrouve dans Paranoia ni notion de “whodunit” ni présence de tueur ganté ni même de scènes “à frisson”, on y voit cependant une bourgeoisie très jet set, sur laquelle repose toute la mise en scène du réalisateur, aussi précieuse que la société sur laquelle il s’étend. Lenzi place sa caméra à des endroits spécifiques (jouant par exemple avec les reflets des miroirs), ce qui n’a d’autre but que d’accentuer l’aspect BCBG de son film. Une habitude du giallo, genre rarement placé en milieu ouvrier, mais qui se fait ici écrasante, au point de prendre le dessus sur tout le reste. La villa luxueuse à Majorque, les garde-robes haute couture, les virées en voitures de sport sur les routes sinueuses surplombant la mer, tout cela constitue le pilier de Paranoia, bien plus que le maigre scénario. L’insistance sur ce contexte bourgeois, qui pourrait aussi bien avoir été employé sur certaines séries des années 60 ou 70 (du style Amicalement Vôtre), n’est finalement que le trompe l’œil permettant au réalisateur de donner un peu de relief à son thriller assez terne, qui souffre du même problème que Si douces, si perverses, à savoir sa séparation en plusieurs parties.
La première, inspirée par Les Diaboliques de Clouzot, s’attarde donc sur Helen et Constance, avec leur projet de meurtre. Les atermoiements d’Helen, hésitante, n’aboutit guère plus qu’à un jeu psychologique entre les trois protagonistes. Maurice essaye d’attirer son ex femme de son côté, Helen tente de combattre ses attirances et Constance met les bouchées doubles pour rallier Helen à son projet. Tout ceci manque d’épaisseur, de rythme, chose que Lenzi cherche à faire oublier par le fameux Bon Chic Bon Genre enrichi de plusieurs séquences sensuelles ou érotiques. Il ne s’étend guère sur les mœurs dissolues et opportunistes de la bourgeoise, préférant prudemment entretenir son petit suspense jusqu’à l’instant fatidique où Helen devra choisir, moment qui nous conduit donc à assister à un autre suspense, assez semblable au premier. La blonde pilote a finalement préféré Jean, et Constance est laissée pour morte au fond de la mer. Tout le monde croit à un accident, à l’exception de Susan (Marina Coffa), la fille de Constance, revenue voir sa mère entre deux semestres estudiantins. On reprend presque les mêmes et on recommence : Constance est remplacée par Susan, en quelque sorte son fantôme. Le suspense est ici de savoir si Helen, qui vit de plus en plus mal le poids de ses actes, supportera les lourdes (trop lourdes) insinuations de Susan. Les enquêteurs sont aux aguets, surtout que Jean est l’ami proche d’un juge qui passe son temps à traînailler autour du couple. Le rythme devient un peu plus dense, du fait de la maigre évolution du personnage de Helen qui flanche petit à petit vers la folie, prête à se trahir. Là non plus le scénario n’est pas bien épais, et le film repose entièrement sur des acteurs qui heureusement assurent pas mal. Il faut attendre tout de même jusqu’au dernier quart d’heure pour voir les choses se décanter et plonger dans le même genre de “giallo machination” qui avait constitué la deuxième moitié de Si douces, si perverses. Trahisons, contre-trahisons, manipulations sont de rigueur, pour un résultat assez classique mais qui se laisse suivre sans défaut particulier.
On ne peut que rester perplexe devant le manque de substance de Paranoia, qui entre deux rebondissements majeurs repose sur des postulats classiques qui ne subissent aucun développement. Tout le contraire des gialli de Martino, qui plongent petit à petit dans les méandres psychologiques de leurs personnages, la mise en scène psychédélique reflétant une situation de confusion extrême. Ici, Lenzi refuse cette forme de confusion et reste désespérément prévisible. Il étale non seulement les différentes parties de son film (trop bien différenciées les unes des autres) mais aussi les points de vue : Helen a l’honneur de démarrer comme point d’attache, avant de laisser sa place à Jean puis à ce maelström de complots qui intervient beaucoup trop tard pour avoir un quelconque impact. Le seul liant entre ces parties est la mise en scène, toujours très classe. Plutôt qu’un mauvais giallo, Paranoia est en fait un thriller hitchcockien au rabais.