Not of this Earth – Roger Corman
Not of this Earth. 1957Origine : Etats-Unis
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A force de vivre au milieu des radiations, les davanniens ont attrapé une déplorable infection sanguine par laquelle leur survie ne tient plus qu’à un fil. Pour y remédier, il leur faut absolument du sang sain. Pourquoi pas celui des terriens ? Dissimulé sous le nom de Paul Johnson et sous de grosses lunettes noires cachant son regard grilleur de cervelle, un émissaire de Davanna est chargé de vérifier la viabilité de ce plan de sauvetage avant de se lancer dans les grandes manœuvres. Devant lui-même bénéficier de transfusion à rythme régulier, il s’invente une rare maladie sanguine pour débaucher l’infirmière Nadine Storey, tandis que l’ex taulard Jeremy Perrin lui sert de domestique. Avec ces deux spécimens humains à son service, et qui font parfois office de complices involontaires, il espère ne pas trop se faire remarquer. Un peu présomptueux de sa part, puisqu’il continue malgré tout à tuer pour son propre usage ou pour faire ses tests.
Après y avoir fait des galops d’essai comme simple producteur pour The Beast with a Million Eyes (sur lequel il avait tout de même fini par remplacer le réalisateur d’origine) et par un biais post apocalyptique dans Day the World Ended, Roger Corman se lance pour de bon dans la science-fiction. Ce mouvement, qui allait durablement impacter son image via quelques monstres pas piqués des vers, vient à part égale d’un attachement personnel, de la suggestion de son fidèle scénariste Charles Griffith, et de Jim Nicholson, le co-patron de l’American International Pictures, souhaitant pouvoir tabler sur la double programmation de films de science-fiction. Notons au passage que ce souhait venait faire évoluer un schéma datant des années 30 voulant que ces doubles programmes réunissent deux films de genres différents, l’un d’entre eux étant une grosse production (la série A) et l’autre une petite (la série B). C’est ainsi que stricto sensu, Corman n’a jamais réalisé de série B puisque ses films n’ont jamais été tournés dans l’optique d’être les compagnons de productions plus huppées. Toujours attaché aux racines historiques de l’expression “série B”, il se défend ainsi d’être un pilier de la série B. Mais laissons là ces considérations annexes pour revenir à Not of this Earth, qui paradoxalement ne fut pas distribué par l’AIP mais par Allied Artists, au contraire de It Conquered the World, tourné dans la foulée pour optimiser les moyens déployés (Corman commençait alors à prendre le pli de ce stratagème). Ce qui explique pourquoi son camarade de drive-in fut L’Attaque des crabes géants, lui aussi refourgué à Allied Artists. Et pourtant, la logique aurait voulu que les deux films produits coup sur coup restent associés, puisque leur création correspond à l’affirmation d’une conception marquante dans la carrière de Corman. Dans l’un comme dans l’autre, ce dernier s’est attaché à l’idée de faire dans le second degré en s’appuyant sur les tares mêmes de ses films, dont il s’avère bien conscient. S’il est tentant de diviser la carrière de réalisateur de Corman en périodes (grossièrement, la phase “exploitation”, la phase “gothique de luxe” et la phase “hippie”), il existe pourtant un dénominateur commun permettant sans conteste de l’unifier : cette autodérision permettant toute sorte d’expérimentation, qui a débuté avec le dyptique Not of this Earth / It Conquered the World.
Et pourtant, que ce soit dans l’un ou dans l’autre, il n’est pas aisé d’y déceler la marque de fabrique qui caractérisera non seulement le Corman réalisateur, mais aussi le Corman producteur ainsi que certains de ses poulains (dont Joe Dante est certainement le plus fidèle à cet enseignement). A première vue, encore plus que It Conquered the World dans lequel Corman pouvait jouer sur l’absurdité de son monstre pilotant une invasion à coup de chauve-souris depuis une grotte, Not of this Earth a l’air d’un produit de science-fiction sans relief. A une exception près, une espèce de pieuvre volante surgie de nulle part, pas de monstre croustillant à se mettre sous les yeux. En lieu et place, nous avons Paul Birch, énigmatique au point qu’avec ses grosses lunettes noires il puisse passer pour une mauvaise caricature de barbouze. Du moins aux yeux des autres personnages, car le spectateur sait d’emblée de quoi il en retourne puisque l’introduction nous le montre en train de recevoir ses ordres de la planète-mère, avec laquelle il est en contact grâce au système de visiophone installé dans le placard. Scène qui sera répétée et rallongée plus tard et qui ne fut copiée collée en début de film qu’à la faveur d’un remontage venant du distributeur… Ceci dit, difficile de se scandaliser contre un effet de surprise saccagé alors que le film se nomme Not of this Earth. Si l’ennemi du film apparaît minimaliste, il en est de même pour son mode d’action. Boire du sang humain est la caractéristique des vampires, et ils le font généralement avec un minimum de panache. Le davannien quant à lui ne saute pas au cou du premier venu : il le tue par son regard vierge de tout iris, ce qui nous vaut bien sûr quelques hurlements à l’ancienne mais ne donne rien de vraiment spectaculaire. Tout le film en est dépourvu, ce qui avec son scénario branlant avait de fortes chances de déboucher sur un ennui profond. Ce que Corman parvient malgré tout à éviter, par le biais de l’importance donnée à certains détails qui, profitant justement des trous scénaristiques, permettent de donner cette coloration humoristique à l’ensemble. Bien sûr, cela ne vaut pas It Conquered the World, mais malgré tout, la bonhommie finit par l’emporter, entraînant même le personnage de Paul Birch avec elle. Sans pour autant le faire lui aussi tourner à la vaste farce, ces détails replacent l’austère envahisseur au rang de minable extra-terrestre dont le plan fumeux sera mis à mal sans que cela ne nécessite le concours de l’artillerie lourde. Comme dans It Conquered the World, en fait, mais de façon plus diffuse (et moins drôle).
Parmi les éléments permettant d’aboutir à ce résultat, signalons en priorité l’incontournable Dick Miller. En se basant sur sa propre expérience professionnelle, il incarne un représentant en porte à porte venu proposer un aspirateur dernier cri à l’alien reclus. Sa prestation ne dure qu’une ou deux minutes, mais c’est assez pour qu’il se livre à un torrent de données grotesques sur les qualités de son produit, ponctuées de mépris pour son interlocuteur silencieux. Une scène à la limite du sketch, dont la force réside autant dans son incongruité que dans sa fugacité. Elle permet en outre de souligner le regard détaché que Corman et son scénariste portent à leur film. S’il en était encore besoin arrivé à ce stade. Car d’autres éléments et acteurs, ceux-là plus aux avants-postes de l’intrigue, étaient déjà venu le prouver. Par exemple Jonathan Haze, autre fidèle de Corman (et parfois binôme de Dick Miller), le domestique anciennement taulard qui trouve fort amusant le caractère énigmatique de son employeur. L’arrivée de l’infirmière n’est pas pour lui déplaire, surtout que ladite infirmière, jouée par Beverly Garland, fait ce qui est en son pouvoir en ces temps de Code Hayes pour insuffler une touche sexy qui sera poussée plus avant lors d’un remake dans les années 80 (Le Vampire de l’espace, avec Traci Lords). A eux s’ajoute un docteur qui pour avoir procédé à un test sanguin sur le soi-disant Paul Johnson connait sa véritable nature mais se révèle incapable d’en parler à quiconque. Non pas par secret professionnel, mais bien parce que l’ordre mental lui a été donné par son client, et qu’il fait blocage dès qu’il essaie de mentionner ce qu’il sait. Particulièrement risibles sont ces scènes où la vérité lui reste sur le bout de la langue aux moments décisifs. Bref, tout est fait pour tourner en ridicule l’envahisseur -rejoint un moment par une assistante davannienne qui ne fera pas long feu- prétendant mettre à genoux le genre humain. Y compris ses victimes, parmi lesquelles on compte Dick Miller mais aussi un trio de clochards s’adonnant sans retenue à la bouteille et aux chansons festives. Même les victimes semblent mourir en se moquant de lui. Et Corman de dédramatiser leurs morts, s’exerçant au genre de l’humour noir dans lequel il s’imposera en maître avec La Petite boutique des horreurs et Bucket of Blood.
Pas assez primesautier pour être pris pour une parodie de science-fiction en bonne et due forme, Not of this Earth est néanmoins une auto-parodie. Il se construit avec l’idée que son scénario relevant de l’exploitation n’a aucune chance d’être pris au sérieux, et il exploite donc cette idée jusqu’au bout en enquillant les entorses aux ressorts dramatiques qu’on attend de lui : envahisseur dépassé, héros insouciants, figurants clownesques… Du vite fait bien fait typique du Roger Corman des années 50.