Montclare : Rendez-vous de l’horreur – Tony Williams
Next of kin. 1982Origine : Australie / Nouvelle-Zélande
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Encore plongée dans ses études, Linda Stevens doit retourner dans sa brousse natale où elle vient d’hériter de sa mère de la vaste demeure familiale de Montclare, transformée en maison de retraite pour permettre de couvrir ses frais. Une fois sur place, elle retrouve de vieilles connaissances, dont son petit ami Barney, mais aussi de pénibles souvenirs d’enfance qui reviennent à sa mémoire dans ses rêves. S’ajoute à cela la désagréable sensation qu’un intrus se ballade dans les lieux. A en juger par ce qu’elle en dit dans ses journaux intimes, la mère de Linda avait éprouvé la même sensation…
Aujourd’hui comptabilisé au rang des petites perles méconnues et approuvées par un Quentin Tarantino qui parvint à trouver un petit rôle dans Django Unchained pour l’un de ses acteurs principaux (John Jarratt), Montclare : Rendez-vous de l’horreur faisait à son époque partie d’une vague, celle de “l’ozploitation”, elle-même inscrite dans un plus grand mouvement, celui de la nouvelle vague du cinéma australien. Plus libre, plus moderne, inspirée par la nouvelle vague hollywoodienne, l’industrie du septième art des antipodes ne pouvait rester plus longtemps sans fantastique, sans horreur, sans science-fiction, sans thriller… D’où l’apparition de l’ozploitation -un nom attribué de manière posthume- initiée par de jeunes réalisateurs trouvant leur inspiration aussi bien dans le cinéma américain que dans le contexte de leur île-continent largement désertique. Attention toutefois à ne pas faire passer l’ozploitation pour de l’exploitation pure et dure telle qu’elle s’affichait alors en Europe et aux États-Unis. Le terme désigne bien des petits budgets, mais pas forcément axés sur le sensationnalisme. Les collectivités australiennes, qui restaient des investisseurs institutionnels incontournables (et impliquées aussi dans Montclare), n’auraient pas forcément considéré les histoires de cannibales boulimiques comme aptes à dynamiser le septième art maison… Il était déjà positif qu’elles se mettent à aider des genres mis de côté, on ne pouvait pas non plus leur demander de mettre des billes là-dedans. Et ce n’était pas plus mal ainsi, car si finalement peu de réalisateurs ont connu des lendemains qui chantent, les films qu’ils nous ont légués font souvent -pas tout le temps quand même- preuve d’inventivité et de savoir-faire.
Montclare est tout à fait représentatif de ce constat. Son réalisateur, le néo-zélandais Tony Williams (qui amena d’ailleurs avec lui des fonds kiwis), n’avait jusqu’ici livré qu’une romance et ne réalisera plus rien avant deux documentaires 30 ans pus tard. Mais il a malgré tout marqué les esprits avec son film qui se fait un malin plaisir de jouer sur le mystère. Non pas le mystère de l’Australie sauvage du Pique-nique à Hanging Rock ou de La Dernière vague de Peter Weir, mais un mystère bien plus personnel, celui de Linda Stevens et du domaine de Montclare. Et quand je dis “mystère” ce n’est pas un vain mot : quitte à perdre ses spectateurs en cours de route, Williams ne donne pratiquement aucune indication sur ce que vit son héroïne. A tel point que le genre du film demeure longtemps indécis : drame psychologique personnel ? Maison hantée ? Thriller ? Rien ne désigne un genre plus qu’un autre, et c’est d’ailleurs à peine s’il se passe quelque chose sortant de l’ordinaire. Une silhouette qui épie Linda, laquelle découvre en même temps dans le journal intime de sa mère que cela s’est déjà produit avant. Un vieillard qui meurt noyé dans son bain. Un cauchemar impliquant Linda lorsqu’elle était enfant et errait dans les couloirs de Montclare. Un autre mettant en scène un vieillard mort venant toquer à la fenêtre. Rien de tout cela n’est ouvertement menaçant, mais cela n’inspire pas un sentiment de sécurité non plus. Ce ne sont que des petites touches fort peu spectaculaires, mais qui suffisent amplement à faire admettre l’idée qu’il peut effectivement se passer des choses étranges à Montclare. De là à pouvoir en dire l’origine, il y a un fossé duquel Williams ne s’approche pas. Il laisse toutes les portes ouvertes au naturel comme au surnaturel, ce qui se révèle un excellent choix. Le coup classique de la suggestion, mais poussé dans ses retranchements.
A force de se garder de tout effet démonstratif, Tony Williams courrait toutefois le risque de faire plonger son spectateur dans l’ennui le plus profond, mystère ou pas. Les moins sensibles à la virtuosité technique le ressentiront d’ailleurs sûrement. Mais pour les autres, ils se laisseront aisément prendre au jeu auquel joue le réalisateur, qui s’emploie à faire vivre l’étrangeté des lieux (avec ce que cela suppose comme questionnements quant à son origine) sans rien nous montrer mais en ayant par contre recours à une mise en scène très typée et volontiers manipulatrice faisant parfois songer à La Maison du diable de Robert Wise, au Shining de Kubrick ou au Rosemary’s Baby de Polanski. Parfois mobile et parfois statique, en fonction de ce que le réalisateur juge plus adapté et le plus apte à tromper son monde, indiquant tantôt une menace diffuse, tantôt une menace immédiate, mais laissant toujours le spectateur dans l’expectative d’un drame imminent. Mais rien ne survient, et l’attente demeure sans que Williams ne fasse baisser la tension, qui reste palpable et -paradoxalement pour un film aussi vierge d’action- sans temps mort. Au nombre de ses stratagèmes pour faire vivre cette audacieuse orientation, il n’hésite pas à miser sur le silence plutôt que sur la musique, ni à avoir recours à des plans en travelling dans lesquels ni l’héroïne ni personne d’autre ne figurent, laissant croire que quelqu’un ou quelque chose parcourt les couloirs de Montclare, cette demeure vieillotte, très sombre, mal éclairée et dont les habitants, quand ils ne contribuent pas à rajouter du stress professionnel aux troubles de Linda (le vieux Lance, patient sympathique mais fragile et imprévisible) semblent tramer des choses louches (le médecin, l’assistante de Linda, la silhouette aperçue dans le jardin). Outre la fonction purement esthétique de cette mise en scène et de la photographie qui l’accompagne, il y a aussi une idée sous-jacente au style macabre et au rythme posé adoptés par Tony Williams : isoler totalement son héroïne afin de la rendre particulièrement vulnérable. Ne pouvant compter sur l’aide de personne -son petit ami ne vit pas à Montclare-, entourée par les recoins sombres, poussée à la paranoïa par le journal de sa mère, torturée par ses cauchemars, elle est bien seule au fond de son trou. Cet isolement, autant physique que mental, est lui aussi une donnée exploitée par Tony Williams dans sa volonté de faire naître l’angoisse à partir de pas grand chose. Et quand tout finit par se décanter, le réalisateur y met autant de conviction qu’il n’avait mis de retenue précédemment. On peut alors juger qu’il cède au grand-guignol, et que la profondeur du mystère jusqu’ici subtilement développé aurait mérité une meilleure révélation, mais il y a dans ce soudain passage à un rythme effréné une fort louable volonté de faire dans l’inattendu et de décontenancer un public qui ne s’y attendait guère.
On ne va pas non plus crier au chef d’œuvre : Montclare ne fait que reprendre ce qui a déjà été fait avant. Mais quand même, Tony Williams prouve qu’il a parfaitement digéré ses influences. A tel point qu’il s’y sent suffisamment à l’aise pour y apposer sa griffe personnelle en esquivant ce qui était dans l’air du temps. Le résultat, cette épouvante épurée, constitue un indéniable succès artistique de l’ozploitation.