Mister Dynamite – Jackie Chan
Longxiong hudi. 1986.Origine : Hong Kong
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Chasseur de trésors des temps modernes, Jackie alias “le faucon asiatique” arpente le monde à la recherche de la moindre babiole revendable. Une activité souvent dangereuse mais hautement rémunératrice. Sa dernière acquisition, l’épée rattachée à “l’armure de dieu” trouve preneur à 400000 £. Tout irait bien dans le meilleur des mondes si le passé – son passé – ne venait pas frapper à sa porte sous les traits d’Alan, son meilleur ami avec lequel il s’est fâché pour une histoire de cœur. De cœur, il en est beaucoup question dans les suppliques d’Alan. Laura, la femme dont ils étaient tous deux amoureux, a été kidnappée et ses ravisseurs exigent en guise de rançon les trois parties de l’armure de dieu sur les cinq qui subsistent. Le fiancé implorant en appelle au bon cœur de Jackie pour qu’il lui vienne en aide. Après une brève hésitation, il accepte. Les deux amis se rendent alors chez le comte Bannon, acheteur de deux des trois éléments que Jackie a retrouvés puis vendus. Sur place, ils découvrent que la femme qui s’est portée acquéreuse de l’épée n’est autre que la fille du comte. Et son envie d’aventures convainc son père d’accéder à la demande de Jackie et Alan, leur prêter les éléments de l’armure en sa possession.
Jusqu’où un artiste peut-il aller pour contenter son public ? A quel moment chercher à impressionner son audience à tout prix devient folie ? Ces questions se posent et trouvent leur parfaite incarnation en la personne de Jackie Chan. Maintenant qu’il a trouvé son créneau – grosso-modo la kung-fu comédie d’action – l’acteur, réalisateur, cascadeur creuse son sillon à un rythme métronomique. Ses projets s’enchaînent – dont une tentative avortée de percer sur le sol nord-américain via quelques coproductions – et avec eux, les cascades deviennent de plus en plus spectaculaires et périlleuses. Sur le tournage du Marin des mers de Chine, un accident l’éloigne 2 mois des plateaux. Un premier avertissement qui n’entame en rien sa détermination. Jackie Chan a un côté tête brûlée qui va dans le sens d’une production locale qui aime tourner vite au détriment de conditions de sécurité pas toujours optimales. Alors que le tournage de Mister Dynamite démarre sous la direction de Eric Tsang, figure multicartes du cinéma hongkongais (entre autres réalisateur de Mad Mission, producteur de 3 extrêmes ou Combats de maître, acteur dans la trilogie Infernal Affairs), Jackie Chan se blesse gravement à la suite d’une chute d’une dizaine de mètres. Par souci de transparence, et aussi parce que cela cultive sa légende, les images le montrant sonné et gravement amoché trouveront une place de choix dans le désormais rituel bêtisier qui accompagne le générique de fin. Passé pas loin de la correctionnelle, et au terme de 6 mois d’arrêt, Jackie Chan retrouve le chemin des plateaux comme si de rien n’était. Eric Tsang parti, il assure lui-même la réalisation du film, sa coupe de cheveu (nuque courte lors du prologue, nuque longue pour le reste du film) restant le seul marqueur visible de sa mésaventure.
Mister Dynamite s’ouvre comme un Indiana Jones mais tient finalement davantage du James Bond. Jackie n’a rien d’un érudit, ni d’un passionné par l’histoire de l’humanité et ses artefacts. Il n’a qu’une connaissance parcellaire des objets qu’il convoite. Leur localisation, principalement. Il ignore tout en revanche de leurs significations, à l’image des éléments de “l’armure de dieu” dont il demande au comte Bannon de narrer les origines. Un folklore guère pris au sérieux sur fond de sempiternel combat du Bien contre le Mal que Jackie perpétue à contre cœur. Homme d’argent – par bravade, il avoue n’être motivé que par ça – Jackie s’impose en individualiste, parfait reflet de son époque. Sauf qu’il y a derrière cette attitude la posture d’un l’homme blessé que les aléas de la vie ont amené à se forger une carapace d’indifférence et de décontraction derrière laquelle il cache son mal-être. Comme à son habitude, Jackie Chan se compose un personnage éminemment sympathique capable de braver mille dangers pour venir en aide à des amis dans le besoin. Car nulle méprise possible, l’amitié demeure le seul et véritable trésor du film. Tout ce qui a trait à l’armure et à la secte qui souhaite sa destruction afin de, selon la légende, répandre de nouveau le Mal sur le monde confine au grotesque. Les gourous de la secte se retrouvent ainsi affublés de grossiers postiches et vivent du commerce de stupéfiants, qu’ils produisent en grande quantité. Preuve que le déferlement du Mal n’a pas besoin de la destruction d’une armure à la symbolique presque oubliée pour s’accomplir.
Le côté James Bond du film se retrouve quant à lui dans l’aspect “tour opérateur” de l’intrigue. Celle-ci multiplie les destinations, européennes dans leur majorité, sans s’appesantir outre-mesure sur leurs localisations précises. Mister Dynamite donne à voyager mais évite soigneusement les lieux trop connus et fréquentés. En dépit de l’argent brassé, Jackie demeure un homme simple à l’image de ses deux faiblesses d’ordre culinaire, le soja germé et le chewing-gum. Le premier lui rappelle le pays quand le second, absorbé à raison de deux dragées à la fois, lui donne du courage. Il n’est pas du genre à frayer avec le gratin mondain, fuit les réceptions ou les casinos et n’arbore donc jamais de smoking. Le confort avant tout. Il évite le tape-à-l’œil, à l’exception de sa voiture, un prototype de chez Mitsubishi. Une décapotable qui l’encourage à jouer les kékés, sans succès. Difficile d’impressionner une fille de bonne famille avec une automobile dépourvue d’une banquette arrière digne de ce nom. Néanmoins, le principal lien de Mister Dynamite avec la saga au long cours tient justement à ce partenariat avec la firme japonaise. Cette dernière équipe aussi bien le héros que ses opposants dans un souci évident d’équité… et d’une plus grande visibilité. Elle dote en outre son prototype de quelques gadgets dont il fait l’usage au cours d’une spectaculaire poursuite automobile réglée par Rémy Julienne et son équipe, figure incontournable des James Bond des années 80.
L’action représente la raison d’être du film. Jackie Chan se ménage de longues séquences pour faire étalage de ses talents, dispensant un héroïsme décontracté. Il n’incarne pas la brute épaisse qui fonce dans le tas, sûre de sa force. Quand il le peut, il évite le conflit. Mais quand il n’a plus le choix, il fait front, quand bien même la situation apparaisse largement en sa défaveur. Dans le final, il combat seul contre pas moins d’une cinquantaine d’adversaires, et sans armes à feu. Un défi relevé haut la main au prix de quelques gags disséminés ici et là. Par sa maladresse alliée à une haute estime de lui-même – il est une vedette de la pop hongkongaise – Alan nourrit la plupart d’entre eux. Il est le pendant clownesque de Jackie, le caillou dans sa chaussure de star de l’action. Leur relation se teinte d’une compétition amicale et bon enfant sur laquelle se greffent des scènes qui en appellent au vaudeville dès que May et Lorelei (Laura en VF) entrent dans la partie. Par le jeu excessif des comédiens (Jackie et Alan en premier lieu) et par sa manière de dramatiser des passages anodins à l’aide d’une musique qui tient davantage du jingle que d’une bande originale, Mister Dynamite s’apparente à des séries animées telles Lamu ou Le Collège fou, fou, fou. Le film partage cette même approche infantile de la sexualité. Il abonde en sous-entendus grivois mais les personnages demeurent toujours empêchés au moment de passer à l’acte, soit à cause de leur maladresse, soit à cause d’une péripétie. Le seul baiser du film est ainsi un baiser forcé (que les ligues de vertu féministes leur pardonnent), Jackie se montrant particulièrement gauche lorsqu’il se retrouve seul avec May. Partagé entre ses sentiments et sa posture du type à l’assurance feinte, il s’emmêle les pinceaux et gaffe au moindre mot sortant de sa bouche. Jackie Chan maîtrise mieux les scènes d’action que les scènes romantiques. Il s’y sent plus à l’aise et cela rejaillit sur l’intrigue qui laisse l’idylle possible entre May et Jackie en suspens. Il simplifie l’histoire au maximum pour que celle-ci se résume à la libération de Lorelei du camp des méchants (par deux fois !), laissant les acrobaties du final prendre petit à petit le pas sur les relations entre les divers protagonistes. Tout au plus peut on voir dans l’affrontement entre Jackie et ce quatuor de femmes noires dominatrices tout droit sorties d’un film de Blaxploitation la libération des frustrations du héros. Incapable de parler à cœur ouvert à May dont la simple proximité et l’évidente attirance suffisent à le troubler, il ne souffre d’aucune timidité au moment d’affronter les quatre furies tout de cuir vêtues. Il les affronte au corps-à-corps, quitte à mettre les mains où il ne faut pas, et sait se montrer magnanime lorsqu’il finit par prendre le dessus. Il lui est plus facile de jouer les grands seigneurs au combat que dans une banale scène du quotidien. Reste que le saut dans le vide final peut prendre une dimension métaphorique. En agissant ainsi, l’aventureux Jackie semble se jeter bien volontiers dans les bras de sa bienaimée en vue d’un grand saut d’une toute autre nature. Signe d’une maturité nouvelle, ou tout du moins de la volonté de changer quelque chose dans sa vie de héros solitaire.
Mister Dynamite souffre des maux habituels des films de Jackie Chan. Un récit un peu lâche au rythme défaillant soutenu par un humour lourdingue. Tout est affaire de tempo et ce film-ci en manque cruellement. Pourtant d’une courte durée, il semble s’éterniser en palabres inutiles, lesquelles servent de bouche-trous entre deux morceaux de bravoure. C’est parfait pour nourrir une bande-annonce, plus problématique pour dynamiser un récit. A noter que le personnage reviendra dans Opération Condor, lequel connaîtra une exploitation dans les salles nord-américaines, au contraire de son prédécesseur. Ce qui fait que lorsque Mister Dynamite sortira en vidéo sur le marché nord-américain, il se verra accoler le titre de Operation Condor 2 : The Armor of the Gods. Un changement de chronologie finalement anodin tant les deux films ne cherchent pas la continuité si ce n’est par un prologue exotique où le héros se moque ouvertement des peuplades indigènes qu’il dépouille.