Meurtre au soleil – Guy Hamilton
Evil Under the Sun. 1982Origine : Royaume-Uni
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Daphné Castle (Maggie Smith) tient un hôtel de luxe sur l’Adriatique. Chantre du calme et de la volupté, elle voit d’un mauvais œil l’arrivée d’Hercule Poirot (Peter Ustinov), le fameux détective qui a la fâcheuse tendance d’attirer le crime. Et cela ne rate pas. Au deuxième jour de son séjour, la meneuse de revues Arlena Marshall (Diana Rigg) est retrouvée morte étranglée sur une plage isolée. Comme d’habitude, les suspects ne manquent pas, sauf que tous les pensionnaires de l’hôtel disposent d’un alibi en béton. Mais il en faudrait bien plus pour effrayer Hercule Poirot, qui n’apprécie rien de moins que les affaires a priori inextricables.
Pour commencer, saluons l’originalité des chargés de casting qui ont embauché Maggie Smith et Jane Birkin, toutes deux déjà présentes dans Mort sur le Nil, dans des rôles différents. Sachant que Guy Hamilton avait lui-même déjà tâté de l’univers d’Agatha Christie l’année précédente avec Le Miroir se brisa, où officiait Angela Lansbury sous les traits de Miss Marple et qui était déjà de la croisière en Égypte, et vous comprendrez cette tenace impression d’intégrer un cercle privé. A croire que seule une poignée d’élu(e)s avait le droit de frayer avec cet univers faussement guindé. Cela confère à ces adaptations des airs d’épisodes autonomes à la manière des séries télévisées de l’époque où il n’était pas rare de revoir les mêmes acteurs dans des rôles différents.
Il faut reconnaître qu’il y a un certain confort à suivre les enquêtes du sieur Poirot sous les traits de Peter Ustinov, lesquelles suivent peu ou prou la même trame. Des gens de la haute société sont réunis dans un lieu enchanteur, font preuve de mesquinerie les uns envers les autres, l’un d’entre eux est assassiné et il revient au détective de démêler le vrai du faux avant d’épater la galerie lors de son allocution finale. Car en dépit de toute sa sagacité, il ne prévient jamais le crime. Mais le veut-il vraiment ? Hercule Poirot n’existe que par et pour les mystères qu’il résout. En dehors de ça, point de salut. Il n’est qu’un individu un brin fantasque et grotesque qui a le don d’irriter son entourage par ses manies. En tant que sommité ès-résolution de crimes, il jouit d’un train de vie qu’il n’aurait par ailleurs jamais pu envisager, s’invitant parmi les « grands » de ce monde tel un chien dans un jeu de quilles. Un statut dont il profite allègrement, soutirant une rallonge à son employeur pour pouvoir mieux profiter de son séjour dans le sud de la France. Il adopte une attitude très nouveau riche que sa propension à accabler le bourgeois ne dédouane guère. Il est d’ailleurs assez fréquent que les conclusions de ses enquêtes le conduisent à condamner les moins fortunés des convives. Et peu lui importe, au fond, puisque il n’est pas là pour faire dans le sentimentalisme. Chaque enquête revient pour lui à défendre sa réputation, et ainsi à préserver sa place dans ce microcosme qui l’accepte à contrecœur. Non pas qu’il doute de ses capacités de déduction, l’homme a une trop grande estime de lui-même pour cela (« Avec Hercule Poirot, les mystères ne font jamais de vieux os »), mais celles-ci se heurtent parfois au besoin matériel de détenir des preuves tangibles. Déjà particulièrement moqué tout au long du film, le détective doit en outre encaisser le rire des coupables désignés au terme de sa démonstration. Un camouflet dont Hercule Poirot saura se relever avec panache, mais non sans séquelles.
A l’image de son prédécesseur Mort sur le Nil, Meurtre au soleil se suit essentiellement pour Hercule Poirot et la délectable interprétation de Peter Ustinov. Il faut néanmoins reconnaître que dans le cas présent, cela tourne un peu trop au one-man show, faute de répondant. C’est bien beau d’aligner les noms ronflants au casting mais encore faut-il leur donner matière à jouer. Or, hormis les quelques piques qu’ils peuvent s’adresser les uns les autres, aucun d’eux n’offre une solide opposition au détective lors des interrogatoires. L’enquête, pour brève qu’elle soit, perd alors en intérêt. Il n’y a effectivement pas grand monde à sauver entre le mari passif Kenneth Marshall, la souffreteuse Christine Redfern (ne pas ranger ses valises dès son arrivée lui donne mal à la tête), son époux qui joue les bellâtres de service, le couple Gardener, producteurs d’Arlena Marshall et désireux d’avoir un retour sur investissement, le colérique Sir Horace Blatt, le chroniqueur mondain Rex Brewster ou encore l’ex rivale d’Arlena, Daphné Castle, et accessoirement propriétaire des lieux. Ils se retrouvent tous comme écrasés entre les deux fortes personnalités que sont Hercule Poirot et Arlena Marshall. De fait, tant que cette dernière est vivante, le film trouve son équilibre. La trop rare Diana Rigg excelle à jouer les peaux de vache au charme irrésistible et emporte tout sur son passage. Même le pataud Poirot semble sous le charme. Seule lui résiste la jeune Linda Marshall, qui du haut de ses 15 printemps ne s’en laisse pas compter. Jamais avare en propos acerbes à l’égard de ces adultes veules qui s’écrasent devant la marâtre qui lui tient lieu de mère, elle incarne avec vigueur la franchise que l’on prête aux enfants. Néanmoins, on sent poindre chez elle des aptitudes pour devenir l’égale de sa belle-mère lorsqu’elle sera plus grande. Quoiqu’il en soit, elle reste la grande gagnante de ce macabre séjour, et retrouve toute sa place auprès de son père. A moins que Daphné Castle ne marche une fois encore sur les traces d’Arlena, grande rivale certes, mais aussi modèle inavoué.
Pas désagréable, Meurtre au soleil marque néanmoins les limites de ce type d’adaptation par trop compassé. Finalement, tout cela manque cruellement de perversité. La charge contre les bourgeois demeure légère et bon enfant, encore allégée par les facéties de ce bon vieux Hercule Poirot. On peut y prendre un plaisir certain comme s’y ennuyer copieusement. Tout dépend finalement de l’ordre dans lequel sont vus les films.
Un dimanche soir sur Arte avec une légère gueule de bois, ça se laisse regarder sans effort. C’est déjà pas mal.