Messaline – Vittorio Cottafavi
Messalina, Venere imperatrice. 1960.Origine : Italie
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A la mort du tyran Caligula en l’an de grâce 41 après Jésus Christ, les diverses factions politiques de Rome, moins les patriciens, s’accordent temporairement pour sacrer Claude nouvel empereur. Homme au tempérament calme, presque effacé, il se laisse convaincre par Suplicius, un intriguant, d’épouser Messaline, une jeune vestale aussi belle qu’ambitieuse. Une fois Messaline sur le trône, Suplicius souhaite régner dans l’ombre. Or la jeune femme ne l’entend pas de cette oreille et l’empoisonne. Enivrée du pouvoir que lui procure sa position, elle prend bien soin de cultiver sa popularité par la corruption et d’éliminer un à un tous ses ennemis. Elle règne sans partage en despote intraitable. Néanmoins, il existe une fêlure à sa cuirasse : l’amour qu’elle porte à Lucius Massimus, un légionnaire rencontré peu avant son sacre. Lui-même fou amoureux d’elle, c’est la mort dans l’âme qu’il a dû se résoudre à partir en campagne en Arménie durant deux longues années. A son retour, il retrouve avec bonheur sa chère Valeria, sans savoir qu’elle n’est autre que Messaline, l’intraitable impératrice dont les actes créent des dissensions au sein de son propre cercle d’amis.
Deux courants se distinguent au sein du péplum, aussi bien transalpin qu’américain, les récits historiques et les récits mythologiques. Depuis qu’il a mis un pied dans le genre, Vittorio Cottafavi s’en tient – pour le moment – à sa dimension historique avec La Révolte des gladiateurs en 1958 puis Les Légions de Cléopâtre en 1959. Suivant cette logique, il en vient fatalement à traiter de Messaline, sorte de pendant féminin à Caligula, et qui a déjà fourni la matière à deux films, Messaline de Enrico Guazzoni en 1924 et Les Affaires de Messaline de Carmine Gallone en 1951. De manière très scolaire, le film s’ouvre sur un texte déroulant dans le but de replacer l’intrigue dans son contexte historique. Et pour bien enfoncer le clou, une voix-off en rajoute une couche à deux reprises. Elle accompagne le sacre de Claude avec force détail concernant le consensus qui a abouti à sa nomination puis se refait entendre, en soutien d’un autre texte, lorsque Lucius Massimus rentre de campagne au prix d’une erreur temporelle. Alors que le texte précise que la campagne a duré deux ans, la voix-off, en bonne commerçante, en offre deux de plus. Une approximation propre au doublage français puisqu’elle sera reconduite dans le dialogue un peu plus tard. Une touche de fantaisie involontaire qui tranche avec le sérieux qui préside à l’ensemble. Pour les familiers de cette période, le récit colle d’assez près aux faits historiques et n’offre guère de surprise en la matière.
Dans l’océan des idées reçues qui déferle sur le monde, il en est une – persistante – qui laisse entendre qu’il y aurait moins de conflits si on confiait plus souvent les rênes du pouvoir à des femmes. Une hypothèse qui se base essentiellement sur les stéréotypes qu’on prête aux hommes et aux femmes, à savoir que les premiers seraient plus agressifs lorsque les secondes se caractériseraient davantage par leur côté plus maternant et calme. Une vision pour le moins simplificatrice qui tend à enfermer les genres dans des cases et confirme que la société n’évolue guère sur ces questions. Avec un peu de recul, les choses se révèlent nettement plus complexes et répondent à des critères qui vont bien au-delà des tendances comportementales individuelles. Continuer à véhiculer ces stéréotypes revient à s’abandonner aux préjugés en omettant une donnée importante : l’habit ne fait pas le moine. Ou plutôt, dans le contexte du film, le sexe ne fait pas l’empereur. Claude en possède le titre mais pas les aptitudes. Il n’est que l’homme du consensus, justement parce que son peu d’appétence pour les jeux de pouvoirs offre toutes latitudes aux ambitieux. Dès lors, Vittorio Cottafavi ne s’intéresse à lui qu’en sa qualité de symbole, celui d’un Empire vacillant sous les coups de boutoirs des intrigants. On le voit de manière sporadique, à l’image de sa femme avec laquelle il ne partage guère de temps. Le sacre se joue hors champ, tout comme leur nuit de noces. Ce n’est que lorsqu’il devient un enjeu de l’intrigue, et qu’il convient de lui sauver la vie, qu’il apparaît un peu plus. Et encore, sans réellement comprendre les tenants et les aboutissants de ce qui se trame. Claude et Messaline forme un couple d’apparat dont chacun des membres occupe son temps comme il l’entend. Et Messaline entend bien se faire respecter et imposer sa loi. Elle mène tout son monde par le bout du nez. Ou devrais-je dire par le bout de la quéquette. C’est un fait avéré, la demoiselle aimait le sexe et multipliait à loisir les conquêtes. Sur ce point, Vittorio Cottafavi prend ses distances avec le personnage historique en l’édulcorant quelque peu. Dans le film, Messaline ne couche qu’à dessein, ici pour amadouer un patricien chargé de la tuer, là pour s’attirer les faveurs du chef de la garde prétorienne. Et tout cela de manière assez chaste. Pour les amateurs de détails croustillants et de corps dénudés, prière de vous tourner du côté de Messaline, impératrice et putain que Bruno Corbucci signe en 1977. Vittorio Cottafavi suggère plus qu’il ne montre, sachant s’arrêter au bon moment ou cadrant la tunique tombant au pied de Messaline plutôt que Messaline elle-même. En revanche, il ne cache rien de son goût pour le pouvoir. Elle se débarrasse sans ciller de Suplicius, le patricien grâce auquel elle a obtenu les faveurs de Claude. Son empressement à lui rappeler qu’elle n’est que l’exécutante et lui l’empereur de l’ombre qui dirigera en réalité le pays précipite sa perte. Messaline n’est pas femme à qui on dicte sa conduite. Elle agit selon son bon vouloir, s’attaquant notamment aux chrétiens qu’elle spolie de leurs terres. La dame est habile et mène sa barque de main de maître. Malgré cela, Vittorio Cottafavi et ses scénaristes, parmi lesquels on retrouve Duccio Tessari (Les Titans, Un pistolet pour Ringo, Et viva la révolution !), lui refusent le premier rôle. Elle est le personnage central autour duquel tourne toute l’intrigue mais le beau rôle revient in fine au soldat Lucius Massimus, un homme.
Il y a bien évidemment derrière ce choix le poids de l’Histoire mais aussi la volonté très nette d’épouser la trajectoire d’un personnage qui va vers la lumière plutôt que s’enfoncer dans l’obscurité. Lucius Massimus s’impose comme le prototype du bon gars, loyal envers ses amis et sa patrie. Sa seule erreur tient aux caprices du destin. Un banquet arrosé, une errance nocturne et la rencontre avec une belle et mystérieuse jeune femme dont il s’éprend sur le champ d’un amour sincère et exclusif. Un amour réciproque qui fait dire à Messaline à l’attention de son aimé : “Toute ma vie, j’ai rêvé d’un homme qui m’aimerait réellement”. Vittorio Cottafavi ne rechigne pas à parfumer son intrigue à l’eau de roses quand bien même ladite romance repose sur des bases fragiles. Si cet amour sonne comme une évidence pour Messaline et Lucius, il n’en va pas de même pour nous. Cela tient en partie à l’absence de construction dramatique (ils s’aiment au premier regard, se font de grandes déclarations dès le second rendez-vous et s’aiment toujours autant deux ans plus tard alors qu’ils ne savent rien l’un de l’autre) mais également à la froideur du jeu des acteurs. Ni Belinda Lee, ni Spyro Fokas ne parviennent à donner chair à cette passion, à illustrer le feu qui les anime. A cela s’ajoute d’autres tourments pour ce pauvre Lucius, tiraillé entre ses deux amis, l’un ardent défenseur de Messaline lorsque l’autre ose remettre en cause sa politique, sans que le personnage ne change de dimension pour autant. Il demeure égal à lui-même, d’une exaspérante probité. Et comme si cela ne suffisait pas, les scénaristes lui mettent dans les pattes une jeune chrétienne de 17 ans qui le dévore des yeux dès leur première rencontre (encore une !) et dans les bras de laquelle il pourra guérir son chagrin. A condition néanmoins de l’épouser. A choisir de focaliser son récit sur Lucius Massimus, Vittorio Cottafavi perd de vue l’essentiel, Messaline elle-même. Il ne tire rien de plus du personnage que ce qu’il en montre au début du film. Tout au plus la jalousie vient-elle s’ajouter à sa soif de pouvoir. Quant aux alliances qu’elle noue avec d’infâmes opportunistes, elles ne servent qu’à doter le dernier acte de quelques scènes de bataille dont on sera bien en peine de distinguer qui est qui. Il en va ainsi de ces luttes fratricides. Reste cette image de Messaline, accrochée à son trône, incrédule devant l’inéluctabilité de sa défaite. Elle observe comme tétanisée l’effondrement de son empire contre lequel elle ne peut rien, attendant son heure avec résignation.
Coincé entre l’envie de coller à la vérité historique et celle de dépeindre une tragique histoire d’amour, Vittorio Cottafavi s’est pris les pieds dans la toge. Rien ne retient l’attention dans cette intrigue trop sage où les manigances des uns et des autres ne mènent finalement pas à grand chose. Au milieu de ces intrigues de cour, le peuple demeure le grand absent. Il subit la politique de ses dirigeants, courbant l’échine sans broncher. La raison en est simple, à en croire un haut dignitaire un brin cynique : “Les pauvres aiment avoir une belle impératrice. Ça leur fait oublier leur vie misérable”. Et voilà comment un film qui aurait pu préfigurer les mouvements de libération de la femme réduit son rôle-titre à sa plastique. Son interprète, Belinda Lee, n’aura plus guère l’occasion de briller puisqu’elle mourra dans un accident de voiture l’année suivante.