Martyrs – Pascal Laugier
Martyrs. 2008Origine : France
|
Vendu comme la nouvelle production méga gore française après les particulièrement mauvais A l’intérieur et Frontière(s) et précédé d’une aura sulfureuse causée par un buzz cannois et une interdiction aux moins de 18 ans qui fut un temps imposée au film par la commission de censure, Martyrs est un petit film bizarre qui se démarque nettement dans le paysage cinématographique actuel malgré les apparences. Pourtant au vu de la prétention affichée par le réalisateur de non seulement livrer un film “viscéral” (ce qui est en général synonyme de “surenchère gore débile”) mais aussi un film intelligent qui critique notre société toute grise (la dernière fois qu’un film affichait cette volonté on avait eu droit à un “les flics c’est rien que des nazis” puéril et consternant) on aurait pu légitimement craindre le pire, mais il n’en est finalement rien, et le film surprend sur bien des points et se distingue de ses congénères. L’intrigue de base commençait pourtant de manière très classique, jugez plutôt: en France alors que les années 60 se terminent, une petite fille en chemisette maculée de sang court pieds nus dans une cité industrielle désaffectée. Elle s’appelle Lucie, elle vient de s’échapper de la cave où elle était retenue prisonnière et présente tous les symptômes d’une maltraitance particulièrement cruelle… Traumatisée, elle ne sort de son mutisme que pour parler à Anna, une petite fille avec qui elle se lie d’amitié à l’hôpital. 15 ans plus tard, Lucie tombe par hasard sur la photo d’une famille dans le journal. Elle est persuadée d’y reconnaître ses bourreaux et décide de leur rendre visite armée d’un fusil de chasse…
Le rôle principal tenu par une femme forte, l’intrigue mêlant vengeance et survival, etc. Tous ces ingrédients on ne les a que trop vu dans les films d’horreur récents. Mais déjà Martyrs se distingue par son approche frontale d’une thématique dérangeante, à savoir la maltraitance d’enfants. Le film va même plus loin, puisque ces maltraitances virent rapidement à de vraies tortures, brutales, cruelles et inhumaines. De ces tortures qui choquent, qui nous semblent tellement horrible qu’on arrive pas à comprendre leur but, qu’on arrive pas à s’imaginer pourquoi des gens feraient ça à d’autres.
Mais finalement, la torture, la violence, ce sont des thèmes classiques abordés par toute une flopée de films d’horreur dont les plus récents exemples sont des films comme Saw ou Hostel qui versent dans une surenchère bien inoffensive qui a pour seul but de distraire le spectateur. Or justement Martyrs n’essaie pas de divertir, mais au contraire semble animé par une volonté de livrer un spectacle dérangeant, choquant, insupportable pour le spectateur. Toute la promotion du film a d’ailleurs été basée sur ça, et la presse spécialisée s’est largement faite écho des premiers avis des spectateurs ayant pu voir le film lors des festivals ou des avant-premières, qui mettent tous en avant l’incroyable violence du film et le supplice que c’est de le regarder. Cette campagne promotionnelle s’est par ailleurs soudainement mise à prendre une ampleur inhabituelle après cette fameuse décision du comité de censure, horrifié par le film. En effet l’interdiction au moins de 18 ans, perçue comme une mort commerciale assurée et une forme de censure pernicieuse, a assuré au réalisateur Pascal Laugier une place assez importante dans la presse toujours soucieuse de lutter contre la censure (parce que ça interpelle le français démocrate dans l’âme), et son discours a été assez largement diffusé. Fonctionnant parfois mieux qu’une bande annonce, il a permis en partie au film de se doter de cette réputation sulfureuse d’oeuvre extrême dont la violence excessive malmène le spectateur. Le réalisateur ayant depuis le début revendiqué cette dimension ultra violente pour son film, déjà dans le scénario. Son coté jusqu’au-boutiste lui a d’ailleurs valu des ennuis autrement plus inquiétant q’une classification désavantageuse. En effet le projet Martyrs a eu beaucoup de mal à se faire en raison de cette violence jugée bien trop excessive par des producteurs craignant qu’elle n’agisse comme un répulsif sur les spectateurs et leur argent. Et ce n’est qu’après avoir pas mal bataillé que Laugier parvient à s’assurer le concours de Richard Grandpierre et de sa société Eskwad (qui a entre autres produit Saint Ange le premier film de Pascal Laugier, et Irréversible de Gaspar Noé qui avait aussi fait parler de sa violence…) ainsi qu’un financement de la chaîne Canal+.
Le tournage peut ainsi commencer, et le film se fera au Canada. Il se fera tout de même dans l’urgence et avec des restrictions budgétaires. Mais cela garantit à Pascal Laugier une totale liberté sur son projet et lui permet d’obtenir le film qu’il veut. Un film ultra violent et dérangeant, mais pas seulement.
Les plus brillantes qualités de Martyrs se situent en effet ailleurs que dans la barbaque et la violence. Certes le film enchaîne bien les scènes de sévices et de tortures avec une régularité effrayante, et la plupart de ces scènes sont vraiment très graphiques et parfois infiniment brutales. Le sang coule beaucoup et le film est bien animé par cette volonté de déranger le spectateur en lui montrant souvent avec complaisance les pires images possibles conformément à la volonté de Pascal Laugier de faire apparaître la violence dans son film comme vraiment pénible et douloureuse. Mais pour ce faire, le film ne suit pas une structure classique de crescendo, où chaque horreur infligée est pire que la précédente jusqu’à finalement arriver à un paroxysme qui risque souvent de paraître ridicule par ses excès. Au contraire il adopte une structure qui nous étonne à chaque instant, prenant le contre-pied de ce à quoi on aurait pu s’attendre. La forme du film semble évoluer et le faire passer chaque fois dans un genre nouveau. Ce film qui commençait comme une histoire de vengeance se mue alors soudainement en une sordide affaire de tueuse hantée par son passé, avant de prendre la forme d’un huis clos à suspense, et d’emprunter encore une nouvelle voie étonnante, et ainsi de suite. Ce faisant, Martyrs en devient quasi expérimental, constamment surprenant et dont la logique échappe au spectateur. Il apparaît comme totalement antinomique avec n’importe quel autre film d’horreur classique qui obéit toujours à une structure basée sur le suspense et les effets de surprise. Or jamais Martyrs n’essaye d’effrayer le spectateur, et ce qu’il propose n’est certes pas révolutionnaire (avant lui il y a eu Salò de Pasolini, Aftermath de Nacho Cerdà ou même Irréversible de Gaspar Noé) mais pour une fois tout à fait novateur.
En plus de proposer quelque chose de moderne et de novateur, Laugier utilise la structure de son film pour désorienter le spectateur. Et dans la même optique, il utilise vraiment très habilement le point de vue de chacun des personnages pour nous troubler et livrer un film assez manipulateur. En jouant ainsi avec les points de vue, en superposant le présent et les flash-back, la réalité et l’imaginaire et en entremêlant habilement plusieurs temporalités dans la bande son, il donne a certaines scènes un caractère irréel et fantastique, qui annonce déjà en quelque sorte les virages que prendra l’intrigue jusqu’à l’intrigante scène finale. Martyrs ne ressemble finalement à rien d’autre et sa singularité en fait assurément une œuvre passionnante et intéressante, et ce bien que le film ne soit pas non plus complètement exempt de défauts.
Laugier à certes de très bonnes idées qui sortent vraiment du lot, mais il les exploite parfois un peu maladroitement. On sent que son œuvre est très spontanée, et qu’elle manque parfois de cohérence ou de précision. Le script ayant été écrit très rapidement, en 5 mois seulement, il reste très instinctif et de fait parfois un peu bancal. En outre, malgré son coté assez peu travaillé, il demeure quand même assez prétentieux. Laugier est bien conscient qu’il ne réalise pas une simple série B horrifique, et il vise plus que l’efficacité directe. Chacun jugera si le film est à la hauteur de cette prétention, mais cette note d’intention risque fort de déplaire à une large part du public, qui recherche des émotions plus directes et qui apprécie peu en général d’y voir associer un baratin intellectuel, d’autant plus s’il est comme ici assez sommaire et un peu maladroit. Enfin au niveau de la mise en scène, le film souffre peut-être d’une réalisation bien trop discrète, Laugier ayant sans doute pensé que la simple force de ses images suffirait à faire passer les émotions qu’il souhaitait voir sur le visage des spectateurs. De même le cadrage est souvent trop serré, et l’échelle des plans aurait assurément gagné à être plus étendue. Mais ceci est contrebalancé par un réel talent de mise en images. Secondé par un directeur de la photo qui connaît assurément bien son métier et qui est parvenu à donner à la lumière du Canada une teinte métallique et froide du plus bel effet. Le film est vraiment très beau visuellement et le soin qui est porté aux images contraste de manière saisissante avec les atrocités qui nous sont montrées. Ce qui contribue à donner à la violence du film un caractère fascinant et troublant, un peu à la manière de Salò ou les 120 journées de Sodome. Le réalisateur a très bien su mettre en valeur les splendides effets spéciaux du regretté Benoît Lestang. Le maquilleur français ayant su réaliser un nombre impressionnant d’effets spéciaux à la fois très gores et tout à fait réalistes. Signalons aussi l’excellent travail sonore. Plus que la musique originale, ce sont surtout tous les bruits de la bande son qui impressionnent, les bruits mous de la créature des cauchemars de Lucie, les grincements, les bruitages liquides du sang, et surtout ces insupportables crissements du métal dans la chair qui donnent aux tortures un aspect sensoriel et organique vraiment très efficace !
Enfin, il faut saluer les excellentes interprétations de tous le casting féminin. Évidemment dans les rôles de Lucie et de Anna, Mylène Jampanoï (la nouvelle égérie de Dior apparaît dans le film comme une jeune femme véritablement sauvage et inquiétante!) et surtout la très jolie Morjana Alaoui crèvent l’écran en livrant toutes les deux d’impressionnantes performances d’actrices et en parvenant avec aisance à rendre leurs deux personnages réellement touchants, ce qui n’était pas une mince affaire pour un film montrant presque exclusivement des tortures assez ignobles. Mais il faut aussi signaler l’interprétation glaçante de Catherine Bégin et celle de Isabelle Chasse, troublante dans le rôle d’une créature imaginaire grotesque et déformée. En fin de compte c’est le talent de ces actrices qui, bien plus que les effets spéciaux même s’ils jouent un rôle important, rend réellement toutes les scènes violentes particulièrement crédibles et douloureuses. C’est en parvenant à rendre leurs personnages attachants que Morjana Alaoui et Mylène Jampanoï permettent au film de Laugier de pouvoir être aussi sensitif qu’il l’a voulu et de ne jamais tomber dans le ridicule même si le réalisateur se montre vraiment cruel avec ses personnages, leur faisant vivre un réel supplice tout au long de son film.
Mais cette fois encore, la violence n’obéit pas à la même logique que dans les films d’horreurs les plus classiques, puisque Laugier fait de la souffrance le sujet réel de son film, allant même jusqu’à lui trouver des justifications immorales assez saisissantes. Le film est d’une noirceur très particulière et rarement vue au cinéma. Et le caractère expérimental repose moins sur les scènes les plus “mystiques” que sur cette volonté de faire de la douleur le vrai sujet, avant même l’évolution bizarre de l’histoire, l’amitié touchante entre les deux héroïnes ou encore la simple volonté de dégoûter le spectateur. Et c’est finalement cela qui fait de Martyrs une œuvre si singulière, qui se rapproche beaucoup plus de films étranges et originaux par leur thème et leur traitement comme Nekromantik ou Guinea Pig: Flowers of flesh and blood que des autres films d’horreurs français auxquels on aurait pu penser au premier abord.