M.A.L. : Mutant Aquatique en Liberté – Sean S. Cunningham
DeepStar Six. 1989Origine : Etats-Unis
|
Deux navires se trouvent actuellement au fond des mers afin de préparer l’installation de rampes de missiles pour le compte de l’armée américaine. Un problème se pose à eux : on vient de détecter que le site sur lequel la besogne doit être accomplie repose en fait sur une caverne qu’il conviendrait d’étudier avant de l’exploser. On ne sait jamais ce qui peut se cacher dans ce genre d’endroit où la main de l’homme n’a jamais mis le pied. Pressé par le temps, le commandant décide de passer directement au stade du dynamitage. Il ne le sait pas, mais il vient de libérer un gros monstre aquatique qui va bientôt menacer la survie des deux équipages.
On ne peut pas vraiment dire que Sean S. Cunningham soit l’homme d’un seul film. Son Vendredi 13 est célèbre pour avoir donné vie à une saga sans fin menée par un rude gaillard passé à la postérité, non pour ses qualités artistiques. Sans les incessants retours de Jason Voorhees, ce Vendredi 13 là -comme n’importe laquelle de ses séquelles prises individuellement- serait certainement tombé dans l’oubli en compagnie d’innombrables autres slashers tournés à la même époque, ou en compagnie des autres films mis en boîte par Cunningham entre 1970 et 1990, sa période d’activité (son come back dans les années 2000 -un film, un téléfilm et un sketch sur Trapped Ashes– ressemble davantage à un baroud d’honneur). Cunningham a implicitement reconnu la légèreté de sa filmographie en se concentrant uniquement sur ses travaux de producteur (gestion de la saga Vendredi 13, celle de House…) abandonnant la réalisation après l’échec que fut M.A.L., considéré à l’époque comme un sous-Abyss. Il est vrai qu’entre le sujet subaquatique et la date de sortie rapprochée des deux films, il y a de quoi se poser des questions. Et forcément, la comparaison ne pouvait qu’être fatale à Cunningham, qui n’a eu ni l’ambition ni les moyens de Cameron malgré le soutien de la compagnie de production Carolco, responsable entre autres des Rambo et de Terminator 2. Ayant eu la malchance de sortir quelques mois avant Abyss, M.A.L. ne pouvait ni profiter du sillon tracé par le blockbuster de Cameron ni échapper à l’étiquette de production opportuniste qui a tôt fait de vous catégoriser sa série B. D’autant plus que le film s’est vendu sous une approche horrifique qui lui va plutôt mal, puisque le fameux “mutant aquatique en liberté” du titre français est en fin de compte loin d’être l’élément essentiel d’une intrigue qui aurait plutôt tendance à se rapprocher du film catastrophe. Libéré de sa caverne, le grand monstre est loin de ressembler à celui de Alien, que ce soit physiquement ou même dans ses actes : ses apparitions entraînent certes quelques morts directes, parfois assez gores, mais en aucun cas Cunningham n’organise une traque organisée façon Alien ou façon Un cri dans l’océan. Le monstre est avant tout l’élément déclencheur d’une série de graves avaries à bord des vaisseaux, puis à bord du vaisseau lorsque l’un des deux est abandonné, qui remettent en cause la survie de l’équipage. Ainsi, la bête a la fâcheuse tendance de se pointer lorsque les personnages croient avoir trouvé un moyen de remonter à la surface. Il apporte davantage le suspense que l’effroi, et les personnages ne luttent d’ailleurs pas vraiment contre lui si ce n’est pour le tenir à distance lorsque le besoin s’en fait sentir.
Il n’y a d’ailleurs pas qu’un seul péril à bord : Snyder, le mécanicien, en est un autre. Pris par la panique et le remord, il aligne les bévues et les actes de lâchetés avec un systématisme qui aurait pu faire sourire si la situation n’avait pas été aussi tragique. Il s’attire donc la colère de ses collègues. Sous pression, il perd pieds et nécessite une surveillance constante. Notons que si ce type de personnage est fréquent dans ce genre de film, leur caractérisation se limite souvent à les rendre haïssables. Cameron est d’ailleurs friand de ce type de personnages, y compris dans Abyss avec celui joué par Michael Biehn, ou dans Titanic et celui de Billy Zane. Cunningham marque des points en refusant de rendre le sien si antipathique que ça : véritable boule de nerfs, méprisé dès le départ à tort ou à raison par ses collègues à cause de son attitude désinvolte, Snyder est avant tout affecté d’un point de vue émotionnel. Si l’accumulation de ses torts est bien un peu exagérée -surtout parce qu’il est le seul à commettre des erreurs-, il ne se transforme jamais en second monstre et garde une part d’humanité qui inspire plus la pitié que la haine. Il y a là une certaine subtilité que l’on retrouve dans les autres personnages, lesquels, tout en étant profondément agacés par Snyder, gardent envers lui une certaine retenue, quand ils n’essaient pas de lui venir en aide. Eux aussi restent toujours réalistes et ne concrétisent jamais l’ébauche de caricatures qui pesait au dessus d’eux. Dans le fond, ils correspondent aux clichés du genre : le héros courageux, l’héroïne (enceinte) débrouillarde, le vieux capitaine bon père de famille… Mais Cunningham s’arrange pour ne pas que cela paraisse surfait dans la tradition hollywoodienne.
Plutôt que de mettre en avant les traits d’identité de chacun, il préfère composer un groupe homogène et complémentaire dans les caractéristiques de ses membres, lesquels savent mettre de côté leurs égos face à une adversité qui, en hommes et femmes normaux qu’ils sont, les domine clairement (il y a du courage, mais pas d’héroïsme ronflant). Ce qui a pour premier mérite de rendre les personnages plus attachants, leur unité les rendant moins artificiels, et surtout de mettre l’action avant tout autre considération. Et là encore, Cunningham évite de trop en faire : les déboires rencontrés trouvent un juste milieu entre le spectaculaire nécessaire et le tape à l’œil d’effets spéciaux. Il n’y a pas franchement de scènes gratuites : même les scènes choc, y compris les plus gores, s’inscrivent naturellement dans un récit limpide et plutôt simple : au fur et à mesure des pannes, le nombre de solutions se réduit et la difficulté d’en sortir vivants s’accroit. Petit à petit, la claustrophobie s’impose. Sachant autant jouer de ses décors très industriels que de la montée des eaux (et de la menace qu’elle contient), prenant aussi en compte des éléments comme la décompression ou le manque d’oxygène, Cunningham, rétrécit petit à petit l’horizon de ses personnages, de plus en plus appelés à faire marcher leur matière grise en parallèle à leur endurance physique. Tout ça sans user des gros sabots que l’on aurait pu s’attendre à trouver dans un film de la Carolco. Même le compositeur Harry Manfredini réussit à ne pas nous recycler une énième fois son thème de Vendredi 13. Si rien ne permet de dire qu’il s’agit d’un grand film, M.A.L. est en tous cas un spectacle réussi, évitant aussi bien les écueils de la grosse production tapageuse que ceux de la série B la plus mal fichue. Le côté “film catastrophe” en fait également autre chose qu’un simple film de monstre. Bref, Cunningham se révèle habile et clôt très dignement le gros de sa carrière.