Lovely Bones – Peter Jackson
Ce 6 décembre 1973 aurait du être pour Susie Salmon une journée inoubliable. Éprise de Ray, un élève de son école, elle a la surprise de voir ce dernier venir l’accoster à la sortie de la séance du ciné-club, et de lui proposer un rendez-vous le samedi suivant. Tout à son bonheur adolescent, elle suit naïvement l’un de ses voisins rencontré sur le chemin du retour jusqu’à une cachette réalisée par ses soins dans les profondeurs d’un champ de maïs. Décrit comme un endroit réservé aux jeunes, cette cavité secrète sera en réalité le dernier endroit qu’elle verra de son vivant…
Que de chemin parcouru depuis Bad Taste et son tournage à rallonge, prototype du film fait de bric et de broc mais qui au gré des festivals dédiés au genre fantastique à su se forger une aura culte, dans son acceptation la plus galvaudée. Un peu à la manière d’un Sam Raimi, Peter Jackson a progressivement délaissé ses oripeaux de réalisateur déjanté pour s’acheter une respectabilité au sortir de Braindead (1992), désigné à l’époque comme le film le plus gore de l’histoire du cinéma. C’est que derrière ses premiers films à l’humour potache se cachait une véritable ambition : adapter pour le cinéma Le Seigneur des anneaux, la grande œuvre de J.R.R. Tolkien. Présentée abusivement comme le nouveau Star Wars en terme d’impact et de longévité (alors qu’à peine 10 ans après, le grand public a déjà oublié les films de Peter Jackson), la trilogie du Seigneur des anneaux a néanmoins permis de consacrer son instigateur, le couronnant « roi du monde » à l’occasion du dernier volet, Le Retour du roi. Un Oscar pour le film, un pour sa pomme. Une distinction qui vaut davantage pour l’ensemble de la trilogie que pour ce seul troisième volet, interminable conclusion d’une saga qui par ailleurs, n’en finira plus d’accroître sa durée totale au gré des rééditions. Désormais à la tête de grosses machineries hollywoodiennes (le fait qu’il tourne toujours dans sa Nouvelle-Zélande natale ne change rien à l’affaire), Peter Jackson démontre une incapacité chronique à faire dans la concision, à l’image de son King Kong qui a besoin de plus de 3 heures pour dire la même chose que Merian Cooper et Ernest Schoedsack en 1h40. De retour à un cinéma plus intimiste –sur le fond– le réalisateur néo-zélandais ne déroge pas à sa nouvelle marotte avec Lovely Bones, trop long d’une demi-heure. Enfin ça, c’est la version consensuelle. Au regard du calvaire infligé, c’est d’une bonne heure que le film aurait dû être raccourci.
Adapté du best-seller La Nostalgie de l’ange d’Alice Sebold, Lovely Bones traite d’un sujet délicat, le deuil et la difficulté à s’en remettre pour ceux qui restent. Un sujet prompt au larmoyant qui requiert une certaine subtilité dont on pourrait penser le réalisateur néo-zélandais dépourvu à l’aune de ses films récents. Ce serait omettre un peu vite Créatures célestes, Lion d’argent au festival de Venise et grand prix au festival du film fantastique de Gérardmer 1995. Tiré d’un fait divers, ce film sensible sur une amitié trop fusionnelle et décriée dans la Nouvelle-Zélande des années 50 entre deux jeunes filles, et qui se termine dans le sang, avait cueilli tous ceux qui pensaient Peter Jackson seulement capable d’œuvrer dans le grivois et le trop plein d’hémoglobine. Sans renier son style, il avait su faire preuve de retenue et d’une grande sensibilité pour dépeindre cette plongée dans la folie meurtrière. Et atout non négligeable, il savait alors aller à l’essentiel, sans se perdre en vaines circonvolutions qui nuisent à l’émotion recherchée. Cette finesse de ton et de regard, on ne la retrouve jamais dans Lovely Bones.
Premier mauvais point, l’intrigue perd grandement de son intérêt au bout de seulement 10 minutes lorsque la voix de Susie Salmon se présente et annonce qu’elle avait 14 ans quand on l’a assassinée. Dès lors, l’intrigue orchestre un suspense un peu vain autour de son assassinat et de son meurtrier, dans le but avoué de nous faire toucher du doigt l’horreur d’une existence brisée à un si jeune âge, et d’une manière aussi ignoble. Et le film de s’attarder sur les souvenirs d’enfance de Susie, sa passion pour la photographie, le lien particulier qui l’unit à son père (tous deux s’évadent du quotidien via leur hobby respectif), et enfin, sur son amour naissant pour Ray. Peter Jackson cherche par tous les moyens à nous rendre la petite Susie à la fois proche et sympathique afin que l’on se prenne de plein fouet sa brutale disparition. Le procédé est d’autant plus maladroit qu’il ne va pas au bout de sa logique. Il nous laisse croire qu’il montrera l’insoutenable pour s’en tirer par une pirouette au moment fatidique, preuve d’une frilosité qu’on ne lui connaissait pas. Ainsi, après avoir tenté de nous duper en orchestrant l’évasion fictive de Susie du piège tendu par son meurtrier (en réalité, c’est du monde des vivants qu’elle s’échappe), sa mort ne nous sera dévoilée que par une succession de plans aussi symboliques qu’esthétiquement douteux. Et encore, ceux-ci ne sont rien à côté de ce qui va suivre, l’illustration d’un entre-deux mondes, sorte d’antichambre du paradis, dans une succession de chromos tous plus hideux les uns que les autres. Nous en arrivons au second mauvais point du film : cette propension du récit à vouloir coûte que coûte s’articuler autour de Susie et cet entre-deux mondes au détriment du deuil familial. Omniprésente, au point d’influer sur certains événements (elle convainc son père de la culpabilité de George, ce voisin faussement aimable qui habite en face de chez eux), l’adolescente joue les narratrices post-mortem, nous décrivant autant les états d’âmes des membres de sa famille que les pulsions inavouables de son meurtrier. Et tout ça parce qu’elle ne saurait goûter au repos éternel tant que les circonstances de sa mort ne seront pas clairement élucidées aux yeux de tous. Le drame initial prend alors les atours d’un thriller, avec tout ce que cela présuppose en suspense et scènes chocs. Et sur ce point, Peter Jackson se plante dans les grandes largeurs, se vautrant allégrement dans le ridicule avec le plus grand sérieux. Peter Jackson se montre incapable d’insuffler un semblant de suspense à son récit autrement que de manière factice. En l’espace de deux scènes, George passe ainsi du grand méchant loup à l’ouïe super fine et à l’instinct de survie aiguisé au pauvre benêt pas fichu de se garer devant le trou qui fait office de décharge publique alors qu’il doit se débarrasser du corps de Susie, prisonnier d’un lourd et énorme coffre-fort, au plus vite. Peter Jackson use de grosses ficelles avec un aplomb qui confine au foutage de gueule. Une impression renforcée lorsqu’il nous montre Susie se substituer à une camarade d’école pour pouvoir bénéficier du baiser dont la mort prématurée l’a privée. Tout concourt à édulcorer à outrance un sujet pourtant peu propice à ce type d’approche. Il est tout de même question d’un tueur d’enfants, probablement à tendance pédophile, même si le récit se garde bien de se montrer explicite sur ce point. Mais non, Peter Jackson préfère noyer le poisson, accumuler les scènes oniriques de piètre qualité, et servies par des effets spéciaux plus que douteux, plutôt que d’aborder son thème de manière frontale. Il en résulte un film agaçant par ses partis pris à force de vouloir jouer au plus malin, et surtout jamais émouvant.
Si Peter Jackson escomptait rééditer le petit miracle de Créatures célestes, c’est raté, et en beauté. Lovely Bones échoue à peu près partout où son illustre modèle réussissait, notamment dans ce savant mélange entre onirisme et réalité. Au box office non plus, il n’y a pas eu de miracle, le film ne rentrant pas dans ses frais sur le sol nord américain. Depuis, Peter Jackson court deux fronts à la fois, participant à l’aventure Tintin en compagnie de Steven Spielberg (il est crédité en tant que producteur sur Le Secret de la licorne, avant d’éventuellement réaliser le deuxième segment), et reprenant les rênes de l’adaptation de Bilbo le Hobbit, dont le premier volet –Bilbo le Hobbit : un voyage inattendu– est prévu pour la fin de l’année. Il flotte dans l’air comme une impression de déjà-vu pour un réalisateur qui apparaît en sérieux manque d’inspiration.