Les Guerriers du Bronx – Enzo G. Castellari
1990 : I guerrieri del Bronx. 1982Origine : Italie
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Bien mal placé que le tout début des années 80. Entre la fin de l’ère punk et le début de l’ère du Heavy Metal à la sauce MTV, ces années accouchèrent d’une mode cinématographique pour le moins spéciale, motivée par le succès coup sur coup des Guerriers de la nuit (Walter Hill, 1979), de New York 1997 (John Carpenter, 1981) et de Mad Max 2 (George Miller, 1981). Des films mettant en scène des sociétés définitivement contaminées par la violence et l’anarchie, dominées par des sauvages en blousons noirs. Grâce à leur talent, et dans une moindre mesure à leur budget (jamais énormes tout de même), Hill, Carpenter et Miller s’en sortirent tellement honorablement que leur influence dépassa les frontières pour arriver en Italie, pays à l’industrie cinématographique déclinante. Malheureusement, le manque de budget de ces repompes allié au look punk propre à l’époque aboutit à des films souvent considérés comme “kitschs”. Difficile en effet de reconstituer un monde en ruine squatté par des armées de punks accoutrés (décorés ?) par les fringues improbables déjà vues dans Mad Max 2 sans tomber dans le ridicule. Quasi systématiquement, le “post-nuke” (ou post-apocalypse, nucléaire de préférence) s’engouffra dans cette exubérance esthétique, donnant ainsi à l’époque une griffe aisément identifiable, aujourd’hui tant moquée. Et pourtant, dois-je l’avouer, ce style m’est très sympathique, tant il sort des sentiers battus. Trève de nostalgie, Les Guerriers du Bronx n’est pas vraiment un post nuke. Son monde de 1990 n’est pas apocalyptique : la société y existe toujours. En revanche, le quartier du Bronx, devenu zone de non-droit laissée à l’abandon par les autorités, est en ruine et les gangs y fleurissent. Parmi eux, notons les gentils Riders, des motards tout en cuirs menés par leur chef Trash (Mark Gregory) ainsi que les Tigres, dirigés d’une main de maître par l’Ogre (Fred Williamson), auto-proclamé roi du Bronx. Un beau jour, Ann, jeune héritière d’une puissante entreprise immobilière, décide d’échapper à son destin de capitaliste sans scrupule et s’en va dans le Bronx. Après avoir été agressée par le gang des Zombies, elle est recueillie par Trash. Le coup de foudre est immédiat, mais la romance sera gâchée par Hammer (Vic Morrow) et son collègue Hot Dog (Christopher Connelly) deux ressortissants solitaires du Bronx chargés par la police de retrouver Ann, laquelle entre-temps se sera fait kidnappée par les Zombies.
Histoire de gangs héritée des Guerriers de la nuit, mission commando piquée à New York 1997, les influences de Castellari (qui n’en est pas à son coup d’essai dans le genre puisqu’il venait tout juste de livrer les très Mad-Maxiens Nouveaux Barbares) sont très claires. Sa principale sympathie va à Trash, noble meneur, et sa haine va à la police et à Hammer, salopard à la solde d’une police fasciste. Pas de Snake Plissken ici et à l’image de Trash essayant de proposer l’union à l’Ogre, la solidarité vaut mieux que l’égoïsme nihiliste. C’est beau, c’est peut-être même un peu trop beau, puisque Mark Gregory nous dépeint un Trash sentimental, qui la larme au groin et le lieu commun aux lèvres déplore que dans le Bronx “Il faut tuer ou être tué“. Son personnage, jamais avare de complaintes poétiques déclamées avec le sérieux d’un pape, affiche en permanence une seule et unique expression : yeux plissées regardant vers l’horizon et mine résolue, histoire bien démontrer que l’homme est un dur, d’accord, mais qu’il est un bon gars avant tout. Tellement bon que lorsque décédera l’un de ses amis, visiblement grand amateur du moustachu en cuir des Village People, le jeune homme que l’on avait déjà constaté effeminé (la faute à sa démarche, et à sa tendance à bomber le torse en toute occasion) affichera tous les atours de l’homosexuel caricatural. Voici un héros bien singulier, le premier personnage d’une galerie qui elle non plus ne manque pas de piquant, et pas seulement concernant les Riders, avec leurs vêtements à clous et leurs insignes nazis (l’un d’entre eux se baladant même dans un sayant uniforme de SS).
Tous les gangs de ce Bronx en ruines se font remarquer par leur look typique, allant généralement de pair avec un comportement adapté aux circonstances. Dans la seconde partie du film, Trash et deux camarades sont amenés à traverser tout le Bronx pour aller rencontre l’Ogre chef des Tigres. Nous assistons donc à leur rencontre avec les Iron Men, des combattants sortis tout droit d’un cabaret, avec leur étrange organisation de bataille (une vraie chorégraphie de danse !) et leurs vêtements à paillettes. Puis nous descendons dans les sous-terrains, où vivent les Scavengers, des hommes en haillons retournés à l’état sauvage. Enfin, nous pénétrerons dans l’antre des Tigres, résolument discos (avec amples chemises en satin de toutes les couleurs), puis dans celui des Zombies, les adeptes du patin à roulettes et des blousons de science-fiction argentés vivant dans un gymnase rouge vif. La confrontation de tous ces styles, aujourd’hui très datés, de même que l’utilisation d’une bande originale composée d’un rock insipide (dont un solo de batterie joué inexplicablement par un musicien en pleine rue) n’y est certainement pas pour rien dans la réputation de “nanar” que se traîne Les Guerriers du Bronx. Il est vrai qu’avec son histoire se prenant fort au sérieux (voir aussi une scène d’enterrement pompeuse, avec grande musique et lancé de cendres), le décalage est énorme. Castellari ne laisse pas le temps de souffler au spectateur, lui envoyant de nouveaux chocs visuels à tour de bras. Le film ne manque certainement pas d’action, et, faible budget ou pas, crédible ou pas, le réalisateur n’hésite pas à parsemer son film de combats aussi réguliers que saugrenus. Passons sur les chaussures à cran d’arrêt, après tout plutôt fréquentes. Mais voir les Zombies combattre en rollers avec des crosses de hockey, voir le funky Fred Williamson se perdre dans une imitation lamentable de Bruce Lee, voir Vic Morrow jusqu’ici très monolithique se lancer dans une soudaine crise d’hystérie expressionniste (“Hahaha, je suis l’exterminateuuuuur !!!“), voir des coups de coudes assénés maladroitement au ralentis, voir George Eastman en barbare barbu barbant, voir plusieurs personnages importants se faire tuer dans l’anonymat le plus total et parfois avec une grande violence (le film se termine quand même au lance-flammes), tout cela est il faut l’avouer très amusant. Le public ne s’y trompa pas, et Les Guerriers du Bronx rencontra un grand succès lors de sa sortie. Ce n’est que justice.