Les Aventures d’un homme invisible – John Carpenter
Memoirs of an Invisible Man. 1992Origine : États-Unis
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Nick Halloway (Chevy Chase), cadre glandouilleur, se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment. Endormi dans un building où se tiennent des expérimentations scientifiques hasardeuses, il va subir de plein fouet les conséquences de l’explosion des machines dudit building : il va devenir invisible. Dès lors, sa vie va être radicalement modifiée et il va tenter d’échapper à Jenkins (Sam Neill), fonctionnaire des services secrets malintentionné, qui va chercher à le capturer pour l’obliger à devenir à son tour un agent secret. A partir de là, Nick n’aura qu’une idée et demie en tête : la fuite, ainsi peut-être que de trouver un moyen de renouer avec Alice (Dary Hannah), la jeune femme qu’il courtisait avant l’accident.
Quatre ans après avoir signé l’excellent Invasion Los Angeles, qui lui-même suivait l’autre excellent film qu’est Prince des ténèbres, John Carpenter, en trève de sujets, repartit une nouvelle fois travailler pour une major hollywoodienne, en l’occurence la Warner, pour y signer ces Aventures d’un homme invisible d’après le roman d’un certain H.F. Saint. Et comme on pouvait s’y attendre, le cinéaste rencontra pas mal de problèmes avec le studio, qui après les projection-tests se mit en tête de remodeler un film tenant au départ davantage du drame que de la comédie, dans le but avoué de plaire au plus grand nombre. Il faut dire que le projet fut confié avant même l’arrivée de Carpenter à Chevy Chase (qui pour le coup, en plus de tenir le rôle-titre tint également le poste de producteur), ancien comique du Saturday Night Live à la popularité sur le déclin, et qui visiblement fut lui-même tiraillé entre son créneau habituel d’humoriste soutenu par la Warner et son envie de prouver ses capacités à tenir des rôles dramatiques, encouragée par le réalisateur, quelques années plus tôt l’auteur d’un Starman, habile mélodrame au scénario assez proche de celui des Aventures d’un homme invisible. Le résultat final de cette lutte d’influence se fait cruellement ressentir, et Les Aventures d’un homme invisible se retrouvent ainsi le cul entre deux chaises : le film ne verse jamais totalement dans la comédie, ni dans la tragédie. Le rire est avant tout présent à travers quelques scènes parfois assez réussies, comme par exemple la peu ragoutante vision des aliments digérés par l’appareil digestif de Nick, et parfois assez ratées, comme celle où le héros baisse le pantalon d’un homme qui venait de le dénigrer en son invisible présence… Mais la plupart des scènes cherchent en général à mélanger humour et tragédie, ce qui dessert franchement les deux côtés. La traque de Nick par le personnage de Sam Neill, ainsi que son isolement social et que sa perte d’identitée sont autant d’éléments liés entre eux qui auraient pu aboutir à un film très noir, retirant au héros tout espoir. Ce qui aurait été digne de Carpenter. Mais comment éprouver quoi que ce soit pour un personnage qui traverse des aventures louchant du côté de La Mort aux trousses tout en assomant un ivrogne pour le manipuler afin de pouvoir prendre un taxi en toute discretion, ou encore en se déguisant en chauffeur de taxi (encore !) au look africain pour passer inaperçu ? Ce genre de choses est monnaie courante dans le film, et tous ces mélanges tendent à rendre le tout plutôt bancal. Même chose pour l’histoire d’amour, qui cherche à la fois à être désespérée et à continuer dans la gaudriole de bas étage (se mettre des cosmétiques pour se reconstituer un visage et aller dîner aux chandelles !). On ne peut même pas parler d’humour noir, puisque le film ne vise pas non plus dans le pince-sans-rire…
Et puis, il y a l’absurdité de ce héros, qui fait vraiment tout pour se faire repérer, puisqu’il continue envers et contre tout à continuer de fréquenter les endroits et les personnes de son ancienne vie, quitte à se faire assez vite localiser. Peut-être était-ce au départ l’illustration de sa volonté de ne pas être oublié et de garder sa fierté, mais toujours est-il que le côté comique aidant, on ne peut pas vraiment prendre cela au sérieux. Pas plus qu’on ne peut considérer comme aboutie la critique de ces services secrets américains et de ces fonctionnaires zélés jusqu’à devenir hors-la-loi : Jenkins et ses hommes sont souvent tournés en ridicule et leur bêtise contrebalance trop leur méchanceté primaire.
Avec tout cela, Les Aventures d’un homme invisible ne pouvaient dès lors pas aller très loin au niveau du propos. De bonnes idées sabotées par de mauvais-partis pris (auxquels on rajoutera la voix-off ainsi que parfois la présence physique d’un Chevy Chase censé être invisible mais rendu visible pour une meilleure compréhension), et c’est ainsi que l’on se retrouve à ne se soucier uniquement que de l’action, il est vrai rondement menée et sans baisse de tension. On notera également une référence bienvenue, Nick se faisant appeler Harvey en hommage au lapin géant que seul James Stewart est capable de voir dans le film éponyme de Henry Koster… Il y a aussi ces effets spéciaux bien foutus, notamment lorsque le building du début se retrouve partiellement invisible et donne ainsi un étrange sens des perspectives à Nick, qui est enfermé dedans. Mais c’est peu, eu égard au talent de Carpenter et à l’orientation première du film qui était riche en thèmes et qui en l’état ne fait qu’effleurer ceux-ci pour ne pas perdre le public en cours de route. Alors oui, la Warner a réussi son coup : elle livre un film grand-public de facture tout juste honnête, à l’encéphalogramme un peu moins plat qu’à l’habitude. Mais John Carpenter a raté le sien, et ne veut plus entendre parler des Aventures d’un homme invisible.