CinémaDocumentaire

Les Seigneurs de la mer – Rob Stewart

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Sharkwater. 2006

Origine : Canada 
Genre : Documentaire 
Réalisation : Rob Stewart 
Avec : Rob Stewart, Patrick Moore, Erich Ritter, Paul Watson…

La première fois que j’ai vu un requin, je devais avoir 8 ans, et je pêchais des crabes avec mon frère au Cap-Ferret. Un bébé requin est passé au-dessus de notre filet, j’ai été cloué. Nous étions sur le bord d’un passage au-dessus de l’eau, à un mètre cinquante de hauteur. Nous avons regardé la bête en silence, c’était assez incroyable. Non pas que nous étions effrayés, mais nous trouvions cela tellement extraordinaire de voir un petit requin nager dans les eaux du Bassin d’Arcachon ! Nous avions déjà vu des marsouins tourner autour du bateau d’un ami de la famille, mais là, c’était encore plus fort peut-être.
Plus fort parce que le poisson que nous regardions était considéré comme dangereux. Je me rappelais alors des après-midi à l’océan où les maîtres nageurs nous faisaient sortir de l’eau parce qu’il y avait des Peaux-Bleus au large.
Avec Les Dents de la mer, le requin est devenu à mes yeux un animal extraordinaire. Si Spielberg en a fait un animal dangereux à travers un film d’une rare qualité, il est intéressant de noter que ledit film fut très préjudiciable aux requins. L’image du squale est devenue celle d’un poisson qu’on doit tuer sans ménagement car étant un danger pour l’homme. Cette vision de la chose m’a toujours dérangé. Certes, le requin est physiquement répulsif. Son regard fait peur, ses dents semblent faites pour arracher tout ce qui passe. Pourtant, j’ai toujours refusé de me ranger derrière cette vision commune. J’ai toujours rêvé de nager à leurs côtés. Nourri par des images de requins attaquant les cages de plongeurs après les avoir bien excités, j’avais toujours gardé en mémoire ces images exceptionnelles d’hommes nageant au milieu de requins, les touchant même, et qui semblaient ne rien risquer. Je voulais être de ces hommes.
J’avais déjà depuis longtemps conscience que les requins étaient massacrés à tout va, soit pour la viande, mais surtout pour leurs ailerons. Mais jusqu’à ce que je regarde Sharkwater de Rob Stewart, je n’avais pas conscience de l’ampleur du désastre.

Rob Stewart est un passionné des requins. Photographe et biologiste marin, il décide de réaliser un documentaire sur les requins afin de changer le regard des gens sur cet animal tant détesté.
Au-delà de ce simple constat que le requin fait horreur au genre humain, Rob Stewart tient à montrer les enjeux du massacre des requins sur la vie aquatique. De plus, il tente de se pencher sur les limites des lois internationales et du manque de moyen mis à la disposition des autorités locales. De plus avec le problème des eaux internationales et l’absence d’autorités, les lois ne sont et ne peuvent être respectées.

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Il ne semble pas très important de faire un topo de l’histoire. L’idée est très simple : notre société fait du requin l’animal le plus dangereux au monde. Le postulat est élémentaire : considéré comme horrible, il ne mérite pas de vivre, il doit être tué avant qu’il ne tue un être humain. Pourtant, les statistiques ne sont pas en sa faveur. Rares sont les attaques de requins qui tuent un être humain. De plus, considéré comme un mangeur d’hommes, voilà encore une idée que Rob Stewart se permet de combattre. En effet, les attaques de requins sont souvent des accidents. Le requin mordille sa proie. Si un requin, blanc de surcroît, le fameux mangeur d’homme, venait à vouloir vraiment mordre un humain, il lui arracherait la jambe! Les blessures infligées s’avèrent finalement relativement superficielles, et les morts dues aux attaques de requins sont la conséquence d’hémorragies. De plus, Rob Stewart rappelle tout simplement quelques chiffres éloquents : il y a plus d’êtres humains tués par des éléphants que par des requins chaque année (5 hommes par an sont tués par des requins, 100 par des éléphants et des tigres). Il va jusqu’à montrer toute l’hypocrisie de notre société en stigmatisant des statistiques aussi bêtes que les accidents de la route ou la drogue qui tuent bien plus…

Tout ça pour dire quoi ? Que 100 millions de requins sont tués par an pour récupérer seulement leurs ailerons, seulement pour garnir des soupes.
Le problème principal avec la disparition de cette espèce, c’est qu’on oublie son rôle sur l’écosystème de la planète. Le requin est le principal prédateur que l’on trouve dans les mers et les océans. Il régule les stocks depuis toujours. En effet, cet animal marin traverse les eaux salées de notre globe depuis des millions d’années. Il est implanté dans la chaîne alimentaire. S’il n’est plus là pour se nourrir, si les poissons ne sont plus mangés, tout le cycle de la vie marine va en être chamboulé. Et lorsque l’on sait qu’on ne pourrait vivre avec des océans défaillants, ça fait froid dans le dos.
Ainsi, intelligemment, Rob Stewart, conscient que les gens pour la plupart, se foutent bien du sort des requins, tente de nous démontrer que sans les requins, nous ne pouvons espérer vivre dans un environnement serein. Car oui, il s’agit là d’écologie. Lorsque l’on sait que les équilibres biologiques sont terriblement fragiles sur notre planète, on ne peut que s’inquiéter du sort des requins. Et bien conscient que les requins fascinent autant qu’ils révulsent, Rob Stewart ne va pas ménager son spectateur. Il va montrer l’homme tel qu’il est dans sa société libérale et capitaliste. On voit des requins se faire massacrer seulement pour leurs ailerons. Bilan de la pêche, les corps de ces « monstres » marins sont rejetés dans l’eau, symbole d’une société qui jette sans ménagement ce dont elle n’a pas besoin.

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Nous voilà voyageant aux Galapagos et au Costa Rica. Des réserves naturelles, sensées être protégées mais qui sont victimes de pêcheurs, de braconniers. Les autorités, incapables de surmonter le problème, et même ne le voulant pas, laissent faire de tels agissements.

C’est ainsi que Rob Stewart fait appel à Green Peace, et plus particulièrement à un capitaine un peu spécial. Capitaine de l’Ocean Warrior, Paul Watson s’est fait un nom en chassant les baleiniers dans l’Atlantique nord. Sa méthode est très simple, il gêne les pêcheurs jusqu’à parfois utiliser la manière forte, des « ouvre-boîtes » (des lames hydrauliques attachées sur le flan des bateaux en cas d’affrontement, pour trouer les coques des bateaux braconniers.
Au Costa Rica, ils tombent sur des pêcheurs refusant d’arrêter leur pêche. On les voit découper à coups de machettes les ailerons de requins tout juste sortis de l’eau. C’est avec une lance à incendie que les pêcheurs sont attaqués par l’embarcation, et les braconniers sont obligés de se laisser remorquer. Sauf que les autorités locales du Costa Rica ne voient pas les choses de la même manière et protègent ces braconniers. Au port, le bateau de Green Peace doit rester à quai et l’ensemble de l’équipage doit rester sur le territoire afin de passer en jugement.
Rob Stewart prend donc sa caméra et file dans quelques quartiers du port pour vérifier certaines choses arrivées à ses oreilles. Il découvre que la mafia taïwanaise graisse la patte aux autorités et qu’elle peut tranquillement faire son trafique d’ailerons de requin dans des quais privés où ils sont à l’abris des regards.
Finalement, face au risque de se retrouver en prison, le bateau quitte le port, suivi par les gardes côtes qui leurs sommes de rentrer. Une fois dans les eaux internationales, l’embarcation et son équipage sont sauvés.

Retour aux Galapagos. Là encore, les autorités, sous la pression des pêcheurs, ont autorisé la pêche à la palangre, des lignes tendues sur plusieurs kilomètres, remplies d’hameçons et qui attrapent toutes sortes de poissons, un véritable massacre.
Il ne reste qu’à Rob Stewart de revenir au Costa Rica pour essayer de sauver le dernier endroit sur terre où les requins sont sensés être protégés.
Mais au préalable, il doit soigner une infection qui risque de lui faire perdre sa jambe.

Retour au Costa Rica où Rob Stewart est obligé d’y entrer par de petits ports pour ne pas se faire remarquer par les autorités. Il découvre une fois sur place que son histoire a fait grand bruit et que des manifestations pour protéger les requins ont été organisées.

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L’espoir fait vivre un homme tel que Rob Stewart. Il est de ces hommes qui ne mettent pas la vie humaine au-dessus de celle des autres formes de vie. Avoir conscience que notre petite existence dépend de l’ensemble des sommes de petites existences de la vie terrestre. Le requin n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais un exemple rempli de symboles. De par notre peur, nous massacrons impunément des millions de requins de toutes sortes. De par notre façon de consommer, nous nous faisons les complices de trafiques dégueulasses qui privent les mers et océans de ces animaux considérés à tort comme un danger pour l’homme.

A vrai dire, ce film est rempli de défauts, cinématographiquement parlant. C’est surtout la force du message qui est ici important et efficace. Le discours écologique, car c’en est un, sensibilise et démontre combien l’homme peut et sait être cruel.
Cependant, on regrettera que Rob Stewart se mette autant en valeur, se montrant ainsi au centre de ce combat, se glorifiant, montrant qu’il est prêt à aller en prison voire même à mourir pour sa cause. C’est très bien, mais on frise l’autoculte. Néanmoins, ce défaut n’enlève rien aux qualités essentielles de ce documentaire, il nous écœure, sensibilise, mais fera-t-il changer les choses ? Son documentaire finit sur une petite note d’espoir, alors pourquoi pas ?
Avec Sharkwater, Rob Stewart n’évite pas évidemment de tomber dans le passionnel. Mais peut-on lui reprocher de vouer sa vie à cette cause qu’est celle de la survie des requins ? Par passion, il risque même d’y perdre une jambe, comme si sa petite existence n’était rien en regard de sa cause.
Reste que les images sont belles, le sujet pertinent et traité de façon intelligente, montrant les enjeux écologiques, la bêtise humaine, les dérives de notre système économique.
Un documentaire réussi qui nous pousse à réfléchir, et qui encore une fois ne nous rend pas fiers d’être humains.

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