CinémaHorreur

Leatherface – Alexandre Bustillo, Julien Maury

 

Leatherface. 2017.

Origine : États-Unis/France/Bulgarie
Genre : Horreur
Réalisateurs : Alexandre Bustillo et Julien Maury
Avec : Stephen Dorff, Lili Taylor, Sam Strike, Vanessa Grasse…

On l’attendait au tournant, cette nouvelle mouture de la saga cultissime TCM alias Massacre à la tronçonneuse. Après les deux tueries de Tobe Hooper (1974 et 1986), respectivement Massacre à la tronçonneuse et Massacre à la tronçonneuse 2 (jusqu’ici, ça va, c’est pas dur), le très bon et sous-estimé Leatherface (1990), plus communément appelé chez nous Massacre à la tronçonneuse 3 (ça reste tout de même logique), le navet intersidéral The Return of the Texas Chainsaw Massacre, aka The Texas Chainsaw Massacre : The Next Generation, plus faux remake que véritable suite (un remake officiel à la base tellement raté qui ne serait redevenu que simple épisode ? Je me le suis toujours demandé… Il se nomme d’ailleurs simplement Texas Chainsaw en France, voire Massacre à la tronçonneuse : la nouvelle génération), le remake officiel – pour de vrai, cette fois – et sa préquelle Le Commencement en 2003 et 2006, où l’on nous expliquait les origines de notre boucher favori, nous avions eu droit à une “vraie” séquelle directe de l’original en 2013 avec Texas chainsaw 3D. Hélas, si chaque épisode (excepté le quatrième) possédait jusqu’ici son propre charme, ce dernier opus en date enfonçait une saga qui en avait largement dit (et redit) assez. Non seulement la chose se permettait d’occulter totalement le second film de Hooper (la seule véritable suite, finalement) en se prétendant suite réelle et directe, mais cette chose en question en profitait aussi pour faire du n’importe quoi avec une 3D inutile, des personnages insipides et des effets gores infographiques dignes des pires DTV de requins. Bref, un mauvais souvenir.

C’est alors que deux réalisateurs français, dingues de cinéma d’horreur et déjà remarqués par trois films de genre (A l’intérieur, Livide et Aux yeux des vivants), Alexandre Bustillo et Julien Maury, se rendent aux États-Unis, un peu comme Alexandre Aja l’avait fait pour le remake de La Colline a des yeux… mais cette fois-ci, avec le talent et l’originalité en plus. Désolé, je n’aime pas Aja et le trouve extrêmement prétentieux. Déçus de leur voir passer sous le nez plusieurs projets de remakes d’envergure, dont le point culminant demeure une nouvelle version du Hellraiser de Clive Barker que le réalisateur anglais approuvait lui-même, les deux compères finissent par s’atteler à un nouvel opus de Massacre à la tronçonneuse. Cette fois, on oublie les versions de 2003 et de 2006, mais surtout, on ne tente pas de faire la même erreur qu’avec le navet (nanar ? Bon OK, narvnar ou nanvet) de 2013. Le duo va montrer la jeunesse de Leatherface, mais pas de la manière vue dans Le Commencement. Il est décidé d’oublier la nouvelle famille des deux versions des années 2000, les Hewitt, qui différait bien des protagonistes originaux. On reprend donc les fameux Sawyer. Le scénario, signé Seth M. Sherwood, approuvé par les deux metteurs en scène, peut donc enfin être mis en images. Mais, s’ils travaillent pour le compte des Etats-Unis et de la boîte Millenium films, Bustillo et Maury ne désirent pas pour autant tourner leur film là-bas, pas même au Texas. Ils préfèrent l’Europe, plus précisément la Bulgarie. Ainsi, leur liberté sera plus grande et ils pourront travailler à leur façon sans subir les aléas stressants et destructeurs de tournages chaotiques contrôlés par des producteurs peu enclins à la vision artistique des réalisateurs (Tobe Hooper et Jeff Burr en auront hélas connu les frais pour leurs œuvres de 1986 et de 1990).

C’est ainsi que Leatherface version 2017 peut débuter avec espoir. Certes, ce n’est pas ce titre commun et minimaliste ne tapant pas vraiment dans l’originalité qui va faire date, surtout que c’est à la base le film de Jeff Burr qui se nomme ainsi. Mais ce n’est pas le titre l’important finalement, c’est le contenu du métrage. Pour l’anecdote, le titre québécois nous propose carrément un Leatherface : le massacre, ce qui soulève toujours un sourire (c’est ça avec les titres québécois, c’est toujours drôle leurs traductions… Ils devraient renommer Robocop en ‘Police métallique’, ça ce serait du titre qui déchire).

Pour la toute première fois, un Massacre à la tronçonneuse n’est pas tourné aux USA. Si les deux premiers restaient ancrés dans la patrie natale de leur géniteur, le Texas, le troisième faisait une entorse à la règle qui allait cependant être plus respectée par la suite. Ici, c’est donc tout autre. Un Massacre à la tronçonneuse qui n’est pas tourné aux USA ? Mais, me direz-vous, c’est comme si vous achetiez votre huitième Ford Mustang et que vous vous aperceviez qu’en ouvrant le capot, vous tombiez sur un moteur Dacia… Sacrilège !!! Bon, au-delà de cette caricature, il ne faut pas avoir trop peur. Certes, la Bulgarie n’est pas le Texas. Cela se sent, cela se voit. Un peu. Car les deux réalisateurs se sont arrangés pour filmer des extérieurs convenables, plaines, champs et forêts les plus proches possibles de ce que l’on peut trouver finalement au Texas. Ils connaissent bien l’endroit, donc, si ça frappe quand même l’œil de l’habitué de la série, ça ne choque pas non plus. Cette appréhension de base s’atténue donc grandement à la vision du film. Ouf. Ensuite, l’histoire. Tout débute au Texas, en 1955, lorsque le futur Leatherface, nommé Jackson ou Jedidiah, encore enfant, vivant au milieu d’une famille cannibale bien atteinte, les Sawyer, doit subir son rite d’initiation devant les yeux excités de maman et papa (et des frères complètement ramassés du ciboulot). Il est encore tout petit, il n’a jamais tué personne, ni même touché une tronçonneuse. Il a peur, c’est un gosse renfermé, pas un tueur. Mais, poussé par l’insistance et la violence naturelle de ses parents, notre petit va commencer à goûter au sang. Sans y prendre plaisir, néanmoins. C’est alors qu’arrive le Texas Ranger Hartman (clin d’œil à Lee Ermey, le sergent instructeur de Full Metal Jacket, qui jouait dans les films de 2003 et 2006 ?), juste après la mort de sa fille, kidnappée et tuée de façon cruelle par la famille dégénérée. Sans preuve réelle, il ne peut hélas coffrer personne. Il peut juste prendre le gosse pour le placer en institut et ainsi lui faire échapper à cette fratrie de cannibales, décidément bien plus malins que l’on pourrait le penser.

Ce qui frappe d’emblée dans ce nouvel épisode, c’est que nous n’avons pas vraiment l’impression d’assister à un Massacre à la tronçonneuse. Le ton, pessimiste, sombre, glauque et ultra-violent part dans une autre direction, plus dramatique. Pas une once d’humour noir, contrairement à bien des films de la série (les 2 et 6 en particulier). C’est ce que désiraient les deux auteurs : se démarquer de la saga, y apporter quelque chose de nouveau, une vision personnelle qui respecte la mythologie d’origine tout en se différenciant grandement. Le résultat est plutôt réussi, même si l’on a souvent la désagréable impression qu’il ne s’agit pas d’un épisode de Massacre à la tronçonneuse. Si l’on enlève l’introduction et le final, tous ces personnages pourraient très bien illustrer une intrigue totalement indépendante et originale. Les rattacher à la série ne gâche pas l’histoire, mais l’on se dit qu’un film de ce type aurait été plus efficace s’il n’avait pas été rattaché à la mythologie créée par Tobe Hooper et son scénariste Kim Henkel. Un vrai film indépendant, quoi. Mais c’est le seul reproche véritable que l’on peut finalement faire à cette œuvre, par ailleurs fort bien réalisée, et qui, pour le coup, apporte du sang neuf à cette saga pour la faire évoluer dans une toute nouvelle direction. Si les séquences d’introduction et de conclusion se rapprochent davantage de la série et y recréent un vrai lien, elles restent artistiquement en adéquation avec le reste. Ce qui sauve le tout pour le faire évoluer dans la bonne direction. L’interprétation est par ailleurs formidable. On y retrouve des habitués du cinéma fantastique avec grand plaisir.
Tout d’abord Stephen Dorff, dans le rôle du flic vengeur Hartman, excelle entre comportement compréhensible et détestable, père déchiré par la mort de sa fille et aveuglé par une violence vengeresse extrême. Mine de rien, Dorff est connu depuis déjà trente ans, depuis le jour où il ouvrait par mégarde avec un copain, tout gamin, un passage vers l’Enfer dans le sympathique The Gate (La Fissure) de Tibor Takacs en 1987. Après ce premier rôle remarqué, le comédien passera de temps à autre par la case fantastique (Terreur Point.com, Alone in the Dark, Blade). Même s’il reste dans Leatherface version 2017 en retrait de l’action un bon moment, chacune de ses apparitions marque par une intensité et une brutalité mémorables. Un excellent choix. Pareil pour Lili Taylor, qui campe maman Sawyer. Elle aussi habituée du fantastique (Hantise, The Addiction, The Conjuring, aka Les dossiers Warren), c’est avec talent et conviction qu’elle offre un visage encore joli malgré le poids des années à une inquiétante mère d’une famille de tueurs cannibales. Du coup, on la regarde avec beaucoup plus d’inquiétude, surtout lors de ses accès de violence aussi surprenants que spectaculaires. Même si son visage ne fait pas vraiment type redneck, elle convient très bien au rôle. La troupe de jeunes comédiens parvient à convaincre aussi. Cette virée hors-la-loi avec un groupe de jeunes peut rappeler par moments certaines œuvres telles que Tueurs nés, mais en beaucoup plus radical encore. Une approche qui demeure donc intéressante autant que surprenante et franchement dépaysante (comme le changement de pays pour le tournage).

En terme d’horreur, de violence et de gore, le film n’y va pas par quatre chemins. Il écrase littéralement les précédents épisodes de la série. Malsain, glauque, pervers, il nous offre une véritable escalade dans le meurtre barbare sans nous laisser de répit. Pas le moindre. L’absence totale de recul humoristique accentue encore le choc. Bustillo et Maury ne sont pas là pour rigoler, et nous font bien vite oublier les effets spéciaux gores infographiques pitoyables du précédent opus. Ici, la très grande majorité des moments gores est illustrée par des effets de plateau, impressionnants, spectaculaires, horribles, aussi furieux que ceux que Tom Savini nous concoctait en 1986 pour la première suite. Ça coupe, ça tranche, ça charcle et, même si la tronçonneuse n’est que très peu présente (au début et à la fin), le film n’hésite pas à jouer de l’arme à feu, de l’arme blanche, des coups de marteau, des coups à mains nues de toutes sortes. Autant dire que le spectateur lambda ne s’en remettra pas. Cette violence extrême, efficacement mise en scène, se permet néanmoins quelques élans un peu trop gratuits à mon goût (même si, oui, comme on dit, “It’s only a movie…”). Cela concerne les agissements du couple assassin, tellement détestable dès le début du film que l’on a qu’une seule envie : qu’ils crèvent le plus vite possible! Si, lors de la séquence de la mutinerie de l’hôpital psychiatrique, leur séance de sexe passe encore dans l’environnement et la folie ambiante (encore que la fellation, hors champ évidemment, n’était pas spécialement utile pour prouver leur démence perverse face au spectateur), c’est lors de la nuit dans la vieille caravane que cela devient plus problématique. La fille, dont le corps est horriblement brûlé (dû à un incendie qu’elle avait provoqué elle-même étant gamine), s’adonne avec son gars à une séance de nécrophilie avec le cadavre pas très frais du propriétaire. Une scène que les deux auteurs voulaient absolument filmer, en se doutant qu’elle partirait irrémédiablement au montage. Surprise, si plusieurs moments disparaissent (ou changent), cette séquence, elle, est restée. Un trip des deux compères français qu’ils justifient non pas par le désir de choquer à tout prix, mais plutôt pour démontrer à nouveau le passé extrêmement trouble de cette tueuse démente. Un peu insuffisant pour placer cette scène inutile au reste du récit, qui ne fait qu’ajouter un moment malsain supplémentaire. Et franchement dispensable…

Bon, ne nous plaignons tout de même pas, car le rendu final de l’œuvre tourne dans la bonne direction. Même si la photographie peut sembler trop sombre (le jour aveuglant sous le soleil du Texas fait cruellement sentir son absence), altérant quelque peu certaines séquences nocturnes (surtout dans la grange à la fin), l’ensemble se tient plutôt bien. L’ajout de chouettes voitures d’époque permet aussi de faire davantage passer la pilule. Pas de mouvements de caméra inutiles, pas d’effets de montage stroboscopique, ça reste du classique, bien emballé. On regrette juste aussi la présence d’une bande originale commune, qui s’oublie même lorsqu’elle se joue (c’est le mal d’aujourd’hui dans le film d’horreur). Passé ces détails, qui ont leur importance, on souffle tout de même, car cette nouvelle mouture n’est pas un ratage, c’est même une réussite dans son genre.

Mais il faut bien dire que l’on préfère regarder ce film indépendamment du reste de la saga, ce qui n’est pas un mal en soi, car l’on a tout de même du mal à imaginer un prélude comme celui-ci aux origines du Leatherface incarné par Gunnar Hansen dans le premier film de 1974. On préfère savoir son visage difforme caché sous son masque sans vouloir vraiment en connaître l’origine (oui, ici, bon, le coup de la balle, bof…). Le point de vue décrit dans cette version 2017 est différent, intelligent, mais peut-être trop ancré dans une vision particulière pour assurer la filiation avec l’œuvre de Tobe Hooper et, par extension, sa première suite. Un métrage bien indépendant qui pourrait , qui sait, donner lieu à une nouvelle franchise ? Tant qu’à faire, pourquoi pas, au lieu de bassiner le spectateur de remakes et de reboots inutiles.
On sent néanmoins que Bustillo et Maury reprennent (inconsciemment ?) certaines influences modernes. Il est délicat de ne pas penser à un moment donné à Rob Zombie et son The Devil’s Rejects, déjà très inspiré par l’univers de Tobe Hooper, en particulier de Massacre à la tronçonneuse 2 (Bill Moseley rempilant pour le coup). A travers cette escapade sanglante d’un groupe assassin, l’ombre de Zombie plane sur le métrage, mais le style visuel fait toute la différence. Là où Zombie se rapproche beaucoup de Hooper, Bustillo et Maury s’en démarquent nettement plus.

A noter que le montage original était donc plus long, les américains de Millenium films préférant non pas édulcorer la violence mais accélérer le rythme en supprimant ici et là certaines plages dialoguées, trop dramatiques à leur goût (“French drama”, comme ils diront aux réalisateurs). Les deux français s’en doutaient mais s’en sont accommodés. De toute manière, le résultat final est bien à “sang pour sang” leur film ! Ceci dit, une version longue n’aurait pas été de refus (pourquoi ne pas faire un accord entre les États-Unis et l’Europe pour l’exploitation de deux montages différents, un peu comme pour le Dawn of the dead / Zombie de George Romero ?). Car les scènes coupées, présentes sur le DVD et le Blu-Ray français, proposent des variations intéressantes, avec notamment deux moments plus intimes avec Stephen Dorff, qui apparait du coup plus humain, ainsi qu’un début et une fin alternative, plus en adéquation avec les désirs des auteurs, ainsi qu’avec la franchise elle-même.

 

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