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Le Quatrième homme – Paul Verhoeven

quatriemehomme

De Vierde Man. 1983

Origine : Pays-Bas 
Genre : Thriller 
Réalisation : Paul Verhoeven 
Avec : Jeroen Krabbé, Renée Soutendijk, Thom Hoffman, Dolf de Vries…

Gerard Reve est un écrivain alcoolique, catholique et homosexuel dont les livres connaissent un succès grandissant. Alors qu’il est invité à donner une conférence au sein d’un cercle d’amateurs de littérature, il croise la route de Christine Halsslag, une étrange femme qui ne tarde pas à le fasciner.

Le Quatrième homme est un film bien singulier dans la filmographie de son génial auteur. En effet, le cinéma de Paul Verhoeven s’était jusque là distingué de manière remarquable par son réalisme social et par le soin apporté à retranscrire fidèlement la crudité (et la cruauté) de la vie. Tout particulièrement dans les moments les plus sombres et les plus intimes, ce qui a rapidement valu à Verhoeven la réputation de n’être intéressé que par le sexe et la violence. Si Le Quatrième homme ne déroge pas à la règle et se situe en plein dans ces thématiques, l’approche documentaire à laquelle nous avait habitué le réalisateur est ici remplacée par un symbolisme onirique très curieux, qui fait flirter par moments le film avec le genre fantastique.

Ce choix s’explique dans un premier temps par une volonté affichée du réalisateur de faire une sorte de pied de nez aux critiques, qui lui reprochaient alors de faire des films où la psychologie des personnages manquait de profondeur. Il construit alors un scénario où les passages oniriques se succèdent comme autant d’éléments d’interprétations possibles de l’état d’esprit de son personnage principal, dont la psychologie est par ailleurs sacrément tordue. Cela donne lieu à de nombreuses descriptions par l’image du paysage mental du héros, qui relèvent autant des idées freudiennes que du surréalisme de Dali. Il en résulte un métrage étrange, presque expérimental, qui dénote en apparence avec le style auquel nous avait habitué le réalisateur des fresques historiques et sociales qu’étaient Soldier of Orange et Katie Tippel. Mais à y regarder de plus prêt, Le Quatrième homme possède cette ambiguïté si particulière, et finalement si proche de la réalité, qui est chère à Verhoeven. Ainsi le flou qui règne ici entre la réalité et le fantasme, est finalement du même ordre que la forte ambiguïté qui caractérise le personnage principal de La Chair et le sang par exemple et qui nous empêche de trancher entre ses bons et ses mauvais cotés. D’autre part, les touches fantastiques du Quatrième homme annoncent déjà les univers irréels des prochains films de science fiction de Verhoeven, tandis que le scénario et le mystère qui plane autour de Christine n’est pas sans rappeler Basic Instinct. Il y a donc une grande cohérence entre ce film et le reste de l’œuvre de Verhoeven. On retrouve cette même cohérence dans la construction du film. Son aspect onirique et psychologiquement complexe renvoie évidemment à la personnalité complexe et hésitante du héros, faite de culpabilité et de désirs.

En effet Gerard est tiraillé entre ses convictions catholiques très marquées et son désir sexuel puissant pour les hommes. Le personnage est donc assez énigmatique, et Verhoeven illustre cette ambiguïté directement dans la pellicule, à l’image de la scène d’ouverture. Après un générique hautement symbolique où l’on voit une araignée capturer trois mouches dans la toile qu’elle a tissée entre les deux branches d’un crucifix, la caméra recule et l’on découvre Gerard qui se réveille sous ce même crucifix. Le spectateur découvre l’appartement du héros au fur et à mesure que ce dernier le traverse. L’appartement est occupé par une silhouette androgyne qui joue du violon. Verhoeven nous amène à déduire qu’il s’agit d’une femme en nous montrant un soutien gorge accroché à la rampe de l’escalier. Mais alors que Gerard s’en saisit et tente d’étrangler la silhouette avec, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un homme. Immédiatement après cette découverte, on s’aperçoit ensuite que la tentative de strangulation n’était qu’un rêve de Gerard. Et d’emblée le ton est donné, et la réalité apparaît aussi étrange et irréelle que les rêves. Si un tel flou subsiste tout au long de cette histoire, c’est évidemment parce que nous découvrons l’ensemble de ces éléments par le seul biais du regard de Gerard, personnage troublé s’il en est.

Face à ce personnage, référent pour le spectateur et qui semble dicter l’intrigue, celui de Christine n’en est pas moins intéressant. Mais à l’inverse, la figure féminine du film intrigue parce qu’on ne sait rien d’elle, et le spectateur s’intéresse à elle uniquement parce que la passion de Gerard semble contagieuse. Elle constitue en tout cas une figure assez remarquable de la femme fatale au cinéma. Vêtue de rouge elle se montre séductrice et ensorcelante, tandis qu’autour d’elle les symboles abondent (elle tient un établissement de beauté appelé « Sphinx » mais dont les néons défectueux de l’enseigne ne laissent apparaître que les lettres SP I N, signifiants araignée en néerlandais, elle a un point insensible dans le dos comme les sorcières au moyen âge, et enfin sur ses vidéos elle semble être liée à la mort de ses trois maris). Sa relation avec Gerard est elle aussi très ambigüe : l’écrivain ne parviendra à coucher avec elle qu’en masquant sa féminité de ses mains (ce qui est finalement plus subversif que de montrer simplement une scène de sexe), et l’on ne sait finalement pas si c’est Christine qui attire Gerard dans sa toile ou si c’est Gerard qui reste avec elle pour atteindre Hermann, son amant dont il est tombé amoureux. En effet, si les éléments et les symboles semblent se liguer pour désigner Christine comme une veuve noire, il est tout à fait possible que le tout soit imaginé et interprété par un Gerard misogyne et rongé par la culpabilité de désirer l’amant de Christine. Le romancier avoue ainsi au début du film qu’il n’hésite jamais à transformer la réalité dans son esprit pour les besoins de son écriture. Mais cette transformation est telle qu’il parvient à douter de ce qui s’est réellement passé. De la même manière, le spectateur est amené à douter de la réalité de ce qu’il voit dans le film. La force du film étant de laisser planer ce flou tout au long de l’intrigue. Le réalisateur sème le doute et laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations à la fois en semant le trouble dans les images (rêve ou réalité ?) mais aussi au niveau du scénario (paranoïa du personnage principal ou réelle menace ?).

Film très réussi, Le Quatrième homme permet à son auteur de traiter plusieurs thèmes qui lui sont très chers, dont le christianisme et l’homosexualité (déjà traité de manière très crue dans son précédent film Spetters). Il crée aussi l’un de ses personnages de femme forte qu’il aime tant en la personne de Christine. Enfin, cela lui permet aussi de tirer le meilleur parti d’une équipe technique avec laquelle il a ses habitudes. En effet, on retrouve de nombreux acteurs habitués aux films de Verhoeven, notamment Renée Soutendijk (qui tenait le rôle principal de Spetters), mais également Jan de Bont, son chef opérateur attitré, qui signe ici un joli travail sur la lumière, particulièrement important dans la teinte onirique donnée au film. Le Quatrième homme est également le dernier film tourné et financé aux Pays Bas par un Verhoeven fatigué de devoir se battre contre la censure gouvernementale qui a de plus en plus de mal à laisser passer les excès dans le sexe et la violence de ses films.

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