Le Nombre 23 – Joel Schumacher
The Number 23. 2007.Origine : États-Unis
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Il y a des cadeaux qui marquent plus que d’autres. Alors que Walter Sparrow (Jim Carrey), son mari, a un peu de retard, Agatha Sparrow (Virginia Madsen) patiente en parcourant les étalages d’une librairie jusqu’à ce que son attention se porte sur un obscur roman titré Le Nombre 23. Elle ne peut alors s’empêcher de l’acheter et l’offre sans plus attendre à son époux, à peine l’a t-il rejointe. Dès qu’il en entame la lecture, Walter est pris d’une étrange sensation. Les situations que le romancier dépeint lui procurent une impression de déjà-vu. Au fil des pages, certaines caractéristiques du personnage principal le renvoient à sa propre existence, ce qui attise sa curiosité pour le roman. Trop aux yeux d’Agatha, qui trouve que sa fascination tourne au délire. Et lorsque leur fils commence à se prendre au jeu, appuyant les élucubrations de Walter, elle tente de mettre le holà. Mais rien n’y fait. Walter veut comprendre et sur la foi de maigres indices, tente de retrouver l’identité de celui qui se cache derrière le pseudonyme Topsy Kretts. Et ce qu’il va découvrir pourrait bien mettre en péril tout ce qu’il avait bâti.
Le cinéma aime à se nourrir de symboles. Si l’on s’amuse à additionner ses travaux pour le grand écran à ceux pour la télévision, Le Nombre 23 est la 23e réalisation de Joel Schumacher. De là à penser qu’il s’est interessé au sujet uniquement pour ce potentiel publicitaire serait mal connaître le bonhomme, plutôt réputé pour son côté éclectique et insaisissable. Le Nombre 23 arrive dans sa carrière après Le Fantôme de l’opéra, adaptation de la comédie musicale d’Andrew Lloyd Weber qui a triomphé à Londres puis à Broadway. Un projet au long cours qu’il aurait dû réaliser dès l’été 1990, mais que des événements indépendants de sa volonté avaient alors empêché. L’idée de cette adaptation n’a pourtant jamais été abandonnée, et si elle fut un temps envisagée sans lui, la faute à un agenda trop chargé, il était écrit que sa réalisation finirait par lui revenir. Ce rêve enfin mené à son terme – et copieusement éreinté par la presse de l’époque -, Joel Schumacher revient aux affaires par la petite porte, comprendre avec un budget plus raisonnable. Il avait fait de même après le gadin monumental de Batman & Robin en se jetant à corps perdu dans 8 millimètres. Outre leur genre – le thriller – 8 millimètres et Le Nombre 23 partagent bon nombre de points communs. Leurs récits respectifs entraînent notamment Tom Welles et Walter Sparrow dans de véritables descentes aux enfers dont ils ne sortiront pas indemnes. Et pour incarner Walter, Joel Schumacher bénéficie du concours d’une star, en l’occurrence Jim Carrey, qui reprend au débotté un rôle d’abord proposé à Robert de Niro. Une différence, néanmoins, et non des moindres, Walter Sparrow sera impliqué de manière nettement plus personnelle puisque sa lecture et ses conséquences auront des répercussions au sein même de son foyer.
Il y a dans l’histoire du cinéma un nombre qui revient souvent, tel un gimmick, le 42. Il aurait donc été facile pour le scénariste Ferley Phillips de baser son récit sur ce nombre évocateur, sans que l’intrigue n’en fusse changée. Seulement il lui fallait un nombre plus parlant, un nombre autour duquel se concentrent plusieurs histoires et croyances. Considéré comme maudit (2 divisé par trois donne 0.666, soit le chiffre du malin !), rattaché à la sorcellerie ou au mystère, le 23 revêt pour certains des significations mystiques. Des auteurs comme Aleister Crowley ou William S. Burroughs se sont épanchés à son sujet, lui consacrant divers écrits qui font encore école. Une pincée de faits avérés assortis d’un soupçon de folklore et de légendes, tout semble donc réuni pour échaffauder un récit prompt à mettre l’imaginaire en ébullition. Premier constat, le film se montre paresseux et finalement assez peu imaginatif sur ce point. Tout ce que ce nombre peut compiler comme réalités, fantasmes et coïncidences historiques se retrouvent concentrés dans le générique en guise d’inventaire. Le reste du film en fera peu de cas, se concentrant sur la psyché de Walter Sparrow, tourneboulé par ses lectures. Ce qu’il vit n’entre jamais en résonnance avec ce que ce nombre a pu ou peut encore représenter. A travers les mésaventures de Walter, le film traite en réalité de l’apophénie, qui peut se résumer à la tendance qu’ont certains à percevoir la vérité n’importe où, alors qu’il s’agit avant tout de simples coïncidences. La manière avec laquelle il investit sa lecture en imaginant sa femme et lui au travers du couple sulfureux composé du détective Petitou (Fingerling dans la version originale) et Fabrizia trahit un profond ennui. 15 ans de mariage, ce n’est pas rien. Et si la passion transparaît toujours des rapports entre Walter et Agatha, il commence néanmoins à s’ennuyer sévère dans son quotidien. Il souffre d’un trop gros cloisonnement. Sorti de ses collègues de travail, il ne fraye qu’avec les amis d’Agatha, faute d’en avoir lui-même. Lire Le Nombre 23 devient alors sa seule bouffée d’oxygène, pas tant par ses qualités d’écriture que par ce que ça déclenche en lui. Cette lecture le stimule au point de s’improviser enquêteur afin d’identifier son auteur. En somme, il joue les détectives privés, sans les à-côtés mortifères et les jeux sexuels de son modèle. Ce jeu du dédoublement sert le basculement qui s’opère insidieusement chez Walter dont les cauchemars le ramènent aux actes violents et sadomasochistes de Petitou. Cependant, cet entre-deux entre réalité et fiction ne dépasse jamais le stade de l’anecdotique. Le récit en use comme d’une fausse piste visant à nous convaincre de la folie latente de Walter. Or Walter n’est pas fou. Il vit simplement une situation destabilisante qui l’amène à douter de la probité de sa femme. S’ajoute à sa fébrilité croissante un soupçon de jalousie qui suggère que tout cela pourrait bien mal se finir, à la manière d’un épisode des Contes de la crypte. Sauf que lorsqu’on connaît l’oeuvre de Joel Schumacher, on ne peut guère s’attendre de sa part à de l’humour noir ou à de l’ironie.
A l’instar de ce qu’il avait fait avec L’Expérience interdite, la finalité de Le Nombre 23 s’inscrit dans la bonne morale judéo-chrétienne. Pour résumer, il convient d’assumer ses actes, sans prescription aucune. Pour Joel Schumacher, la lumière au bout du tunnel n’est pas le monde après la mort mais plutôt l’éveil de la vérité. Et cette dernière prend n’importe quel prétexte pour s’imposer. Narré en voix off par Walter Sparrow après qu’il ait découvert qui il était vraiment, le récit du Nombre 23 tient du mea culpa frappé du sceau du destin. Des propos peu amènes lâchés à une collègue trop entreprenante devant un parterre de gens interdits suffisent à mettre en branle une mécanique du pardon dont un chien errant sera le messager. Cherchant à brouiller les pistes au maximum, le film convoque un fantastique qui tient de la volonté divine. On sent une envie de marcher sur les plates-bandes de Angel Heart, à l’issue voisine, mais sans jamais en retrouver l’ambiance sombre et poisseuse. Déjà, Joel Schumacher peine à rendre passionnantes les investigations de Walter, qui se résument à élucider un fait divers dont le coupable qui croupit en prison ne serait peut-être pas le bon. Le principe reste le même, mettre en parallèle la réalité – supposée – et le contenu du roman, pour tenter de distinguer le vrai du faux. Le film propose alors une mise en abîme, le roman devenant le scénario que Walter retranscrit en images mentales. Toujours aussi peu esthète, Joel Schumacher se complaît dans des scènes à la lumière saturée ou qui accentue les ombres pour figurer le monde de Petitou. Un univers qui dispense toute une imagerie propre au polar jusqu’aux clichés (femme fatale, détective mélomane). Mais il use également d’une symbolique marquée, comme le visage livide et cerné du détective qui semble revenu d’entre les morts. Projection de Walter, Petitou incarne sa face sombre, une version de lui-même plus délurée et libre. Le détective se débat dans un univers sombre et violent, aux antipodes de la petite existence tranquille de Walter. Mais à mesure que ce dernier avance dans sa lecture, le roman agit par contamination, impactant son quotidien. Joel Schumacher filme alors le “réel” comme il filmait l’univers romanesque, la violence de l’un s’immiscant peu à peu dans l’autre avec Walter en guise de passeur. Il flirte même avec l’horreur le temps d’une expédition dans l’antre du Dr Leary, un vrai fou, lui, que son obsession pour le numéro 23 aura conduit à sa perte.
Histoire de rédemption forcée jouant sur la rémanence mémorielle, Le Nombre 23 se pose en film fier de dispenser un message. C’est confondant de bêtise voire un brin faux-cul. Ce qui de la part de Joel Schumacher, expert en la matière, n’a rien d’étonnant. Pour Jim Carrey, l’enjeu est tout autre. Il s’agit pour lui de persévérer dans l’alternance des genres pour ne plus rester prisonnier de son personnage comique. Du moins à l’écran. Il se fond donc ici avec application dans la peau de cet homme effacé dont les quelques bons mots ne suscitent que gêne autour de lui. Sa prestation, loin d’être mémorable, tend à confirmer qu’il lui faut une proposition forte pour exister dans le registre dramatique. Ce que n’est assurément pas Le Nombre 23, aussitôt vu, aussitôt oublié.