Le Dernier train de la nuit (aka La Bête tue de sang froid) – Aldo Lado
L’Ultimo treno della notte. 1975Origine : Italie
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Maggy et Lisa, deux copines étudiantes à Munich, décident d’aller passer les fêtes de Noël à Turin dans la famille de Lisa. De l’autre côté, le film nous présente deux lascars tout droit sortis des Valseuses de Blier, et qui semblent se balader à travers la ville et la vie en général comme dans un self-service. Ainsi pour le fun dépouilleront-ils un pauvre travailleur faisant le père Noël devant la façade d’un magasin. Les voici, on ne sait trop pourquoi (mais eux non plus !) qui prennent le même train que les deux étudiantes précitées. Bientôt le chemin des jeunes filles croisera celui des deux minables voyous (Blacky et Curly), en partageant leur compartiment. Ceux-ci ne manqueront pas maladroitement et sous l’emprise de la drogue de les draguer tout d’abord puis de devenir réellement emmerdants par la suite. Ils seraient finalement bien bénins si une cinquième personne, une grande femme bourgeoise, n’en venait pas à partager leur compartiment. Derrière une façade BCBG on découvrira tout d’abord une nymphomane, puisque celle-ci excitera et attirera Blacky dans les toilettes afin d’assouvir un besoin semble t-il urgent. Plus tard dans le compartiment, elle commencera à utiliser la crétinerie naïve des deux jeunes branleurs à des fins beaucoup plus perverses à l’égard des deux étudiantes. Tout ceci dérapera dans un jeu dangereux et finira dans le sang. Des deux jeunes femmes d’abord, mais pas seulement…plus tard les parents rencontreront fortuitement toute cette bande et la vengeance sera sans merci.
Si j’ai tenu à raconter toute la trame du film, une fois n’est pas coutume, c’est que vous l’aurez certainement compris, il s’agit quoiqu’en ai dit ou en dise son réalisateur Aldo Lado, une presque copie du film du classique de Wes Craven La Dernière maison sur la gauche. Même histoire, même scènes, mêmes évènements, le tout transposé dans un autre cadre voilà tout. Du reste le film fut à l’époque distribué aux États-Unis sous le titre très évocateur de New House on the left. Pour une fois que les distributeurs ne s’y sont pas trompés, on ne va pas ergoter sur ce titre et les six ou sept autres qui traînent, dont trois titres français différents, le plus connu étant La Bête tue de sang-froid, utilisé alors dans une édition vidéo relativement facile à trouver. Nombreux sont les détails du film de Craven que l’on retrouve maquillés ici. Exemple : Les parents des victimes dans Last House on the left démasquaient les agresseurs grâce à un pendentif Peace and Love, ici la scène sera identique, mais l’objet aura été substitué par Lado par une cravate bleue que Lisa s’apprêtait à offrir à son père. Rien de nouveau donc à priori à se mettre sous la dent et c’est semble t-il à un plagiat éhonté auquel on assiste là. Mais a-t-on vraiment tout dit ? J’ai ma foi, pour le coup envie de pousser un coup de gueule monumental lorsque je lis ici et là que Le Dernier train de la nuit n’est ni plus ni moins que le film de Wes Craven nivelé par le bas, POINT !
Je peux comprendre que les fans du hit de Craven, agacés par tant de similitudes, finissent par exécrer la chose tant la copie est flagrante. Mais enfin il serait peut-être temps de relativiser la chose, d’ouvrir un peu les yeux et regarder si ce train de la nuit (en retard donc) ne recèle pas tout de même quelques qualités qui lui sont propres. Il conviendra également pour cela de ne pas oublier de dire que l’incontournable Last House… fut fortement inspiré par La Source de Bergman, si l’on veut bien revenir à la source des choses et mieux relativiser encore (et désolé pour ce mauvais jeu de mots). N’y a-t-il aucune once de personnalité dans ce film ? Et puis que sont-ce ces jugements à l’emporte pièce alors que nous sommes dans le domaine de l’exploitation, et que les mêmes personnes iront crier ailleurs que 2019, après la chute de New-York est meilleur que Mad Max 2, crieront au chef d’œuvre original à la vision de Open Season qui n’est après tout qu’un mixe évident des Chiens de paille et de Délivrance, iront idolâtrer à tout va des gialli convoquant Hitchcock et des scènes entières de ses films. Mais peut-être Hitchcock est-il moins bon cinéaste que Wes Craven après tout…
Essayons de regarder les choses posément et succinctement : que vaut le film de Aldo Lado ?
Et bien, il n’est pas si mauvais pour plusieurs raisons et si procès je ferai à Aldo Lado, ce ne serait certainement pas celui d’exploiter un filon, mais plutôt d’être un cinéaste de talent, conscient de celui-ci, et qui offre ici un spectacle putassier. Si je me réfère à ses déclarations, ce dernier (un peu comme Deodato – mon cul !) a voulu dégoûter le public de la violence en la déclinant de façon logique jusqu’à ses extrémités. Soit, mais alors que vient faire ce personnage voyeur qui regarde à la fenêtre du compartiment (et que personne ne remarque sauf nous – scène grotesque en passant -), puis entre comme dans un moulin et s’offre l’une des jeunes filles qu’on lui propose de baiser ? Ca n’a aucune raison d’être dans l’intrigue, hormis de venir flatter nos plus bas instincts. Il y a de la malhonnêteté chez Aldo Lado. Soit, ce dernier expurge son film de toute morale pour plus d’efficacité (et nous laisser juge), mais la scène en elle-même ne fait avancer ni l’intrigue, ni le film, ni ce train. C’est totalement parallèle, gratuit. Pareil, en plus du personnage de voyeur, on se tape un compartiment entier de neonazis partant en congrès que nos deux jeunes loubards salueront le bras levé comme des trolls hitlériens. Bref, est-ce le dernier train des cons tout simplement ? A moins que Lado veuille nous dévoiler sa vision extrêmement pessimiste du monde, ce dont vous l’avez compris, je doute fortement. Non définitivement, pour ma part c’est un spectacle putassier. Mais talentueux…
Il y a également une ou deux scènes absolument grotesques comme celle où Curly se met à jouer à l’harmonica la partition du film (due à Morricone et qui est excellente malgré ce qu’en pensent certains) dans le couloir du train. On ne voit ni lui ni personne de terrestre jouer cela (hormis Morricone pour un film!), ce n’est pas crédible un instant, et comme nous ne sommes pas dans Il était une fois dans l’Ouest, à l’écran cela donne un résultat franchement risible.
En revanche, car vous l’avez également compris, il y a un « en revanche », Aldo Lado réussit deux choses à mon sens assez épatantes. D’abord, ce cinéaste est décidément très doué pour décrire les villes et les rendre menaçantes, et ici Turin comme Munich sont formidablement filmées. De même l’ambiance claustrophobe qu’il parvient à instaurer via une esthétique (absente du film de Craven), dès lors que le trio infernal se fera menaçant, au point que les choses basculeront dans l’horreur, les éclairages se feront alors tout le contraire de ce qu’ils étaient le moment d’avant et le compartiment sera gorgé de bleus et de jaunes saturés. Ca y est la tragédie est en marche et Aldo Lado parvient grâce à ce choix de photographie (remarquable d’ailleurs) à mettre en place un théâtre de la mort. Ce n’est pas gratuit, loin s’en faut, tout cela contribue avec la partition stridente de Ennio Morricone à un climat glacial, tétanisant, mettant en exergue un malaise colossal et qui culminera lors d’une pénétration au couteau, synonyme de perte d’innocence, de petite mort, puis de mort. L’autre jeune femme se jettera par la fenêtre des toilettes du train, préférant tenter sa chance. Aucun doute cette partie est très réussie.
L’autre chose qui fait que La Bête tue de sang-froid se démarque de son modèle (après tout on pourrait aussi dire que c’en est un remake), c’est d’avoir concentré son film sur un personnage féminin qui incarnera à elle seule le mal tandis celui-ci était partagé dans The Last house on the left. Les détracteurs primaires du film argueront sans doute que c’est un subterfuge pour masquer les traces de copiage, ce que j ai vu pour ma part, c’est que le film prenait dès lors une dimension différente, d’abord parce que ce personnage est superbement campé par une Macha Meril au top et qui a parfaitement compris dans quoi elle jouait, ensuite parce qu’il me paraît évident qu’étant la personne dirigeante, elle incarne à elle seule tout le mal et la perversité du film. Sans elle, rien de tout ceci n’en doutons pas, ne serait arrivé. C’est un film engagé à gauche toute auquel nous avons à faire (un peu comme La Maison près du parc, qui viendra plus tard), et s’il est trop lourdement signifié par Aldo Lado lors d’une des dernière scène où le père l’épargnera, l’ayant reconnu comme faisant parti de la même caste que lui, passant même l’éponge ou se mentant à lui-même, la composition de Enrico Maria Salerno tout comme celle de Macha Meril sauve le film du pesant. D’ailleurs le plus intéressant tout compte fait, c’est la psyché de ce personnage totalement diabolique, perverse, cruel, uniquement voué au mal, comme si elle en faisait l’étude, et c’est à la Justine de Sade à laquelle on pense. Je ne pense pas que ce soit un choix fortuit. En cela, Le Dernier train de la nuit est un film à voir. Chacun s’en fera son propre avis, mais on ne saurait le réduire à une simple copie. Ce ne serait que pure mauvaise foi. Oubliez le film de Craven cinq minutes et plongez vous 90 minutes durant dans ce dernier train de Justine de Sade, vous serez peut-être surpris.
Quant à la chanson de Demis Roussos tant décriée avec ses paroles Peace & Love, “love il all, sing a song, etc…”, est-elle plus ridicule que la balade “Over the rainbow” chantée par David Hess, et qui chacune à sa manière, contraste finalement avec la violence sociale représentée en plus d’épouser le caractère des jeunes victimes ?