Le Continent des hommes poissons – Sergio Martino
L’Isola degli uomini pesce. 1979Origine : Italie
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A la fin du XIXème siècle, une galère française à destination de Cayenne fait naufrage en plein océan Atlantique. Quelques forçats et un officier, le Lieutenant Claude de Ross (Claudio Cassinelli), parviennent à se sauver à bord d’une barque très vite en dérive. Ils échouent finalement sur une île inconnue plutôt hostile : plusieurs d’entre eux trouvent la mort, principalement sous les griffes et les crocs d’étranges poissons humanoïdes. Les naufragés ne sont plus que trois, dont le Lieutenant de Ross. Ils rencontrent alors Edmond Rackham (Richard Johnson), qui a investi l’île dans un but obscur en compagnie de sa jeune épouse Amanda (Barbara Bach) et avec l’aval de quelques autochtones adeptes de la magie noire.
Se pourrait-il que L’Île du docteur Moreau version 1977, avec Burt Lancaster, ait influencé Sergio Martino ? Après avoir atteint son apogée créative avec ses gialli du début des années 70, le réalisateur romain s’était mis à piocher un peu partout, donnant à sa carrière une orientation hétérogène. La sexy comédie (Sexycon), le western tardif (Mannaja, l’homme à la hache), le film de cannibales (La Montagne du dieu cannibale), et maintenant l’aventure fantastique. Profiter du sillon laissé par le film de Don Taylor, seconde adaptation du classique de H.G. Wells, apparaît comme une initiative assez surprenante et ce même si Martino se garde bien de repiquer intégralement son intrigue. Devenant généralement plus cru, comme en témoignaient par exemple les films de cannibales, le cinéma bis italien ne laissait pas présager d’un film tel que Le Continent des hommes-poissons, disposant d’un côté rétro louchant vers les films américains des années 50 que l’on ne retrouvait pratiquement jamais dans les productions transalpines des années 70. Commencer à regarder le film de Martino en espérant y trouver un quota de déviance n’est pas franchement l’idéal, le gore y étant absent (si ce n’est pour quelques plans, parfois subaquatiques façon Les Dents de la mer) et l’érotisme se limitant à une Barbara Bach en chemise mouillée. L’ère des gialli est bel et bien terminée. Martino joue à fond la carte de l’aventure, et il dote son film de cet indécrottable sérieux propre aux films à l’ancienne, faisant volontairement mine de ne pas savoir que son ouvrage reste très prévisible. Il maintient longtemps le mystère entourant Edmond Rackham, donnant à ses protagonistes principaux des raisons de se sentir concernés par les évènements. L’aura de mystère qui pèse sur l’île s’adapte très bien au cadre impénétrable des multiples galeries souterraines et de la forêt qui recouvre les lieux. Ce qui est encore la chose la plus proche du livre de H.G. Wells (avec les hommes-poissons évidement). Et puis ce faisant, Martino ne lésine pas sur les sous-intrigues dérivant de l’opacité du personnage de Rackham. Sa relation avec Amanda, la magie noire pratiquée par les indigènes, le lien entre ces rituels et les hommes-poissons, autant d’éléments intriguants qui préservent toute l’attention du spectateur et qui, en trouvant des explications, amèneront encore plus de piment.
A défaut d’effets choc, Le Continent des hommes-poissons recèle une large part de merveilleux, usant de thèmes chers à l’imaginaire tels que l’Altantide, son trésor et ses habitants. La présence des hommes-poissons est elle aussi bien sûr une captivante source d’aventure. Qui sont-ils ? D’où viennent ils ? Des questions existentielles se posent sur ces créatures au look de Créature du lac noir, en un peu peu plus “boueux”. A la fois fascinantes et menaçantes, conçues avec les moyens du bord pas forcément très réalistes et fleurant le latex à des lieues à la ronde (ce qui contribue à leur charme), elles ne sont pourtant pas sur-exploitées par un Martino qui a bien compris qu’il ne pourrait mieux les servir qu’en limitant leurs apparitions à l’écran. L’habileté du scénario est de savoir les placer avec délicatesse dans une intrigue riche en rebondissements et de ne pas les considérer comme des fins en soit. On pourra toujours émettre quelques reproches, comme par exemple la platitude des relations entre le Lt. De Ross et les deux forçats qui l’accompagnent (ces derniers passant au second plan dès que Rackham fait son apparition), mais les défauts sont noyés dans l’inventivité dont fait preuve le film jusque dans sa mise en scène (ces grandes contre-plongées au pied des arbres). Ce film à l’ancienne, disposant de personnages aux intentions primaires très années 50 (le chef qui doit sauver la dame en péril, le mégalomane dont la prétention le conduit à sa perte, le scientifique) est un petit régal. Comme cela lui arrive quelques fois, Roger Corman eut une mauvaise idée : en en faisant l’acquisition pour une distribution américaine, il fit retourner des scènes à effet spéciaux et retira un quart d’heure au film de Martino. Un jeu dangereux mettant en péril la très bonne composition de ce Continent des hommes-poissons et qui heureusement ne parvint pas à franchir l’Océan Atlantique jusqu’à nos contrées, où la version originale est loin d’être rare.