Le Cerveau de la famille – Charles Band
Head of the Family. 1996.Origine : États-Unis
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Lance aime vivre dangereusement. Gérant de l’épicerie-restaurant d’une petite bourgade comme les États-Unis en comptent tant, il s’envoie régulièrement en l’air avec Loretta, la femme de Howard, le truand local. Alors que cette relation clandestine lui convient, Loretta aspire à du changement. Elle en a marre de n’être qu’une relation d’arrière-boutique, et encore plus marre de son de mari. Face à ce qui ressemble à un ultimatum, Lance s’en remet au hasard. Un soir qu’il ramène justement Loretta chez elle, il est témoin des agissements répréhensibles des Stackpool, une famille d’originaux qui fraye peu avec la population. Germe alors dans son esprit la folle idée de les faire chanter. Non seulement il ambitionne de leur extorquer de l’argent contre son silence mais il en profite également pour les sommer d’éliminer le mari encombrant. Ce dont ils s’acquittent avec une diligence qui masque mal leur profond ressentiment. Myron, le chef de famille, n’a guère l’intention de servir plus longtemps de vache à lait à ce jeune blanc-bec. Il va donc s’efforcer d’éliminer toute menace afin de pouvoir poursuivre ses sombres agissements en toute quiétude.
Au sein de la fourmillante famille Full Moon, Robert Talbot demeure une énigme. Une énigme savamment entretenue dans le making of qui figure au menu de l’édition dvd du film, dans lequel il apparaît masqué sur le tournage d’un hypothètique La Fiancée du cerveau de la famille qui ne verra jamais le jour. C’est qu’on connaît ses classiques, chez Full Moon ! Et le final du Cerveau de la famille renoue justement avec une imagerie – le monstre emportant la belle dans ses bras – héritée des plus belles heures des films de monstres de la Universal. Et comme un fait exprès, Robert Talbot enchaînera l’année suivante avec Mystery Monsters. A sa brève filmographie s’ajouteront NoAngels.com en 2000, plus porté sur la bagatelle, puis Puppet Master : The Legacy en 2003. Et puis plus rien. En tout cas, plus sous ce nom-là. Car oui, Robert Talbot est un prête-nom, un pseudonyme derrière lequel se cache nul autre que Charles Band lui-même pour des raisons que lui seul connaît. Il avait déjà procédé ainsi à l’époque de son premier film Last Foxtrot in Burbank en 1973 sous le nom de Carlo Bokino et 10 ans plus tard pour L’Alchimiste sous le nom de James Amante. En général, à moins d’être un réalisateur italien désireux que son film se vende mieux à l’international, utiliser un alias tient du désaveu pour le travail accompli. Ce qui paraît peu probable, Charles Band étant son propre producteur. Il faut plutôt voir en Robert Talbot l’expression du caractère facétieux du bonhomme car à l’échelle du studio, Le Cerveau de la famille n’a vraiment rien de honteux. Au contraire, il compte parmi ses grandes réussites par son côté totalement décomplexé mais jamais foutraque qui parvient à dynamiser une intrigue pas franchement trépidante sur le papier.
Par sa situation géographique – un bled paumé d’un coin reculé des États-Unis – Le Cerveau de la famille cultive une certaine filiation avec des films comme Les Banlieusards de Joe Dante ou Coneheads de Steve Barron où les habitants d’un quartier pavillonnaire se retrouvent obnubilés par l’arrivée d’individus nimbés d’un voile de mystère et d’étrangeté. Cependant, le lien demeure ténu dans la mesure où ici, tout le monde se fiche bien de savoir qui sont ces gens et comment ils vivent. Ils ne suscitent aucun fantasme ni interrogation parmi les habitants. Seule Ernestina fait figure d’exception, mais pour des raisons uniquement physiques (elle a d’énormes seins). Ce désintérêt va de pair avec celui de Charles Band pour les personnages secondaires. La bourgade se limite à quelques lieux (le resto-épicerie de Lance, sa chambre à coucher, le bureau de son avocat et la maison des Stackpool) et les quelques habitants qui les traversent se résument pour la plupart à des silhouettes. L’intrigue se tisse autour de Lance, Loretta et la famille Stackpool. Ajoutez leur Howard, le truand cocu, et Susie, l’employée suspicieuse de Lance et vous aurez fait le tour de la question. Et tous ne bénéficient pas du même traitement. Le couple Lance – Loretta tient la vedette sous ses atours de couple de film noir. Il y a un peu de la femme fatale chez Loretta. Son désir de changement, assorti d’un cours de développement personnel dispensé par Howard, pousse Lance sur les chemins du chantage. Jusqu’alors, Lance s’apparentait à un pauvre bougre paresseux et couard qui se contentait aisément de son quotidien. Les Stackpool, il ne les côtoyait que lorsqu’ils venaient se ravitailler à son établissement, et il couchait avec Loretta à chaque fois qu’elle venait y manger avec son mari, autrement dit très souvent. Des coïts réguliers qui se doublent de moments de conversations, une manière de joindre l’utile à l’agréable qui fait basculer le film dans un érotisme débridé et malicieux. De son côté, Myron Stackpool mène une existence plus morne de reclus de la société. Il vit par procuration, contrôlant psychiquement ses frères et soeurs et profitant ainsi des aptitudes de chacun. Mais cette vie d’ermite lui pèse. Il désire ardemment intégrer cette société qui s’ébat de l’autre côté de la porte, et ce quel qu’en soit le prix et les moyens pour y parvenir. Voilà un personnage au haut potentiel tragique que Charles Band se refuse à exploiter. Il ne s’agit pas pour autant de s’en moquer. Fort de ses multiples expériences pour acquérir le corps qui lui permettrait de participer à la marche du monde, Myron porte en lui tout un imaginaire issu du fantastique classique. Il s’inscrit dans la lignée de ces savants fous qui cherchent soit à créer (le baron Frankenstein) soit à recréer (le Dr Génessier dans Les Yeux sans visage) tout en faisant le trait d’union avec l’horreur moderne, les Stackpool pouvant évoquer les familles de dégénérés de Massacre à la tronçonneuse ou La Colline a des yeux. Toutefois, la violence dont ils font preuve ne contient nulle trace de sauvagerie. Myron demeure un hôte courtois qui tue sous l’égide des belles lettres.
Le titre revêt cependant une dimension ironique qui n’échappera à personne. De cerveau, il n’en est guère question tant tous les personnages brillent par leur bêtise à des degrès divers. Certains chez les Stackpool ont des circonstances atténuantes, lésés qu’ils sont par une nature facétieuse. Myron, le cerveau du titre, ne montre pourtant pas davantage de clairvoyance lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts. Il se montre naïf, même si le jeu de séduction de Loretta n’a guère d’emprise sur lui. Il n’y est pas complètement insensible, mais ses limites physiques du moment ne lui permettraient pas d’en profiter de manière satisfaisante. Éprouver des sensations par procuration a ses limites. Il masque son désappointement derrière une suffisance de bon aloi, suffisance qu’il partage avec son adversaire du jour, Lance. Débarrassé du principal obstacle à son bonheur, Lance se sent pousser des ailes. Il n’en prolonge pas moins sa crise d’adolescence. Le pauvre type qui soignait ses complexes en réclamant à sa partenaire de dénigrer les performances sexuelles de son mari à son profit se mue en gars imbu de lui-même, se sentant aussi irrésistible en affaire qu’au plumard. En réalité, il n’est qu’un fat qui transforme cette lutte de cerveaux supposée entre Myron et lui en un vulgaire affrontement d’ego. Dès lors, Loretta ne compte plus. Elle était d’ailleurs déjà sortie de son esprit lorsque Ernestina, jouant servilement son rôle, s’était offerte à lui. Il n’y a aucun personnage à sauver dans Le Cerveau de la famille. Ils sont des rats de laboratoire entre les mains d’un Charles Band qui s’en donne à coeur joie. Le procès en phallocratie qu’on pourrait lui intenter pour son traitement des personnages féminins devient dès lors caduc. Certes, Loretta n’est montrée que sous l’angle du jouet sexuel qu’on exhibe dans le plus simple appareil à la moindre occasion. Cela répond au cahier des charges de ces films d’exploitation qui mariaient allégrement la violence à l’érotisme pour attirer le public. En bon chef d’entreprise, Charles Band ne fait qu’employer les bonnes vieilles recettes. En fonction des évolutions sociétales, cela pourra paraître dégradant ou plaisant. Si on y regarde de plus près, Loretta ne fait que jouer de ses atouts. C’est une femme à la sexualité débridée qui place son plaisir avant tout. Elle joue son rôle de femme fatale à la perfection, sachant pertinemment où se cache la faiblesse des hommes, derrière leur braguette. A l’inverse de ses comparses, elle garde les pieds sur terre ne se voyant pas meilleure qu’elle n’est mais démontre un talent certain lorsqu’il s’agit de tirer profit de la situation. Elle n’en sort pas pour autant gagnante, se retrouvant de nouveau prisonnière des saints sacrements. Une femme moderne qui décide d’être maîtresse de son corps et de ses actes soudain rattrapée par le romantisme suranné d’un être issu d’un autre temps. Otis, c’est un peu la créature de Frankenstein confrontée pour la première fois au monde extérieur. Un être un peu frustre, touchant lorsqu’il s’extasie devant la beauté de Loretta au point de s’opposer à son maître, mais désespérant lorsqu’il reconduit le vieux schéma patriarcal en épousant sa belle pour mieux la tenir sous sa coupe.
Pour qui n’est pas un habitué des productions Full Moon, Le Cerveau de la famille aura de quoi décontenancer. Le film d’horreur attendu n’en sera jamais vraiment un en dépit d’éléments tout droit sortis du genre (la séquestration et les expériences sur humains non consentant, notamment). Nous ne sommes pas non plus dans la franche comédie en dépit de répliques aussi irrésisitibles que tombant comme un cheveu sur la soupe (l’inoubliable “Je me sens comme une grosse merde dans un chiotte trop petit.”). Le film navigue constamment entre ces deux pôles avec une belle énergie. Charles Band sait trousser de bons divertissements sans toujours chercher à regarder sur la copie du voisin. Cela n’en rend son film que plus plaisant