La Nuit des juges – Peter Hyams
The Star Chamber. 1983.Origine : États-Unis
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La vie de juge n’est pas toujours une sinécure. A deux reprises, le jeune juge Steven Hardin se voit contraint de prononcer le non-lieu dans des affaires criminelles à cause d’un vice de forme dans la procédure. Il le vit d’autant plus mal que tout incriminait les inculpés et que sa réputation en prend un coup, les médias le décrivant presque comme un juge pro criminels. Le deuxième cas concernant des meurtres d’enfants pèse particulièrement lourd sur sa conscience à l’aune de sa rencontre avec le père dévasté de la dernière victime. Rongé par les doutes et les remords, Steven confie son désarroi à Benjamin Caulfield, son ancien professeur et désormais ami, dont le cynisme semble cacher quelques choses. A force d’insister, son mentor finit par le mettre dans la confidence. En compagnie d’autres juges déçus par le système, ils ont constitué un cercle secret afin de revenir sur des affaires mal jugées et en faire exécuter la sentence – la peine de mort – par un tueur à gages. Steven Hardin intègre leur cercle et condamne les deux tueurs présumés d’enfants. Mais lorsqu’il se rend compte qu’il a fait fausse route, il tente d’arrêter le processus, se rendant compte, un peu tard, que les choses ne sont pas aussi simples.
En ce début des années 80, alors que les États-Unis recommencent à bomber le torse à l’international sous l’impulsion de Ronald Reagan, fraîchement élu, la situation intérieure tend à se compliquer. Dans sa volonté de diminuer les dépenses publiques, le 40e président des États-Unis réduit les aides aux plus pauvres, aux personnes âgées et aux handicapés. Le salaire minimum est gelé quand dans le même temps, les plus riches voit leur taux d’imposition ramené de 70 à 50%. Il en résulte une hausse du taux de chômage, des inégalités et de la criminalité. La ville de New York, par exemple, connaît son année la plus violente en 1981, année de la sortie de New York 1997. Cette recrudescence de violence entraîne une angoisse sécuritaire dont le cinéma se fait l’écho à travers toute une vague de films qui crée un sous-genre, le “vigilante movie”. De Un justicier dans la ville à Philadelphia Security en passant par Le Droit de tuer ou encore Vigilante, on ne compte plus les citoyens décidant de prendre à leur compte le nettoyage des rues de tous les malfrats, ne supportant plus l’inaction des autorités. Tout juste sorti de Outland, déclinaison du Le Train sifflera trois fois à la sauce science-fiction, Peter Hyams s’engage à son tour sur le terrain de l’auto-justice. Mais il le fait de manière différente puisque son héros étant un juge, il se trouve au coeur des institutions. En cela, son approche rappelle celle de Magnum Force, deuxième volet des aventures de l’inspecteur Harry Callahan, qui évoquait l’existence d’une police parallèle se chargeant de sentences irrévocables au mépris de la loi. Et elle s’inscrit également dans la continuité de sa propre oeuvre, reconduisant les doutes envers les institutions présents dès Capricorn One puis dans Outland.
Le film de vigilante convoque une imagerie tout droit héritée du western, plaçant des individus meurtris et revanchards comme seuls tenants d’une justice aussi radicale que jugée nécessaire au sein d’une société rongée par la criminalité et le laxisme. Cette manière de répondre à la violence par la violence, selon la fameuse loi du Talion qui trouve son origine dans l’Ancien Testament (“Oeil pour oeil, dent pour dent,…”), est inscrite dans la constitution des États-Unis d’Amérique à travers le deuxième amendement. Non seulement celui-ci permet aux citoyens américains de se balader avec une arme mais tend à les encourager à s’en servir s’ils le jugent nécessaire. En mettant ainsi l’individu au-dessus des institutions, les films de vigilante traitent en creux de la faillite de celles-ci, empêtrées dans les lourdeurs administratives et les choix politiques. La Nuit des juges part du même constat mais en tire des conclusions plus contrastées. La première partie accumule les déboires judiciaires pour un juge Hardin qui, dans sa connaissance parfaite des lois de son pays, se voit contraint de débouter l’accusation alors que la culpabilité des accusés ne semble souffrir aucun doute. Dans le cadre du film, ce IVe amendement qui vise à protéger le droit des citoyens devient plus souvent qu’à son tour un caillou dans la chaussure de la justice tant il impose à ses exécutants d’agir avec moults précautions. Il apparaît comme une entrave à la bonne marche de celle-ci, permettant à la défense de toujours trouver une faille afin de remettre en cause la mise en accusation de ses clients. Sur ce point, le scénario se fait manipulateur. Les cas plaidés sont suffisamment sordides (des personnes âgées volées et tuées après avoir touché l’argent de leur pension, des enfants violés et tués) pour que la remise en liberté des inculpés provoque colère et indignation. On ne peut alors que partager le désarroi du juge Hardin et la détresse et l’incompréhension de ce père endeuillé qui choisira de sacrifier sa liberté en tentant de rendre justice lui-même. Le cas de ce père de famille emprisonné, puis qui mettra fin à ses jours derrière les barreaux, sert de déclic au juge Hardin. Pour ne plus avoir à revivre ça, il est enfin prêt à déroger à ses bons vieux principes pourvu que justice soit rendue et les criminels punis. En acceptant d’intégrer ce tribunal des 9, il consent à s’abroger tous les pouvoirs sans avoir à se salir les mains. Le côté inédit de la chose vient du fait qu’il ne s’agit plus d’une démarche citoyenne mais d’une démarche institutionnelle puisque en faisant partie du système, les membres de ce tribunal exceptionnel justifient le pire. En somme, ils reconnaissent les défaillances du système juridique mais choisissent de se substituer à lui plutôt que de contribuer à le faire évoluer. La moralité de ces membres (une femme, huit hommes) n’est pas questionnée. Ils restent des figures d’autorité qui conspirent dans l’intimité d’un salon privé convaincus de leurs bons droits. Pourtant, le doute s’immisce. Par son geste – il se suicide lors de la remise d’un prix en son honneur – le juge Cullen témoigne d’un mal-être profond, d’un dilemme moral insoluble. Son remplaçant, Steven Hardin, se débat avec les mêmes tourments sauf qu’en bon héros, il choisit de prendre le taureau par les cornes plutôt que se lamenter sur son sort. La reconquête de son innocence en passe par là.
A cette époque, Michael Douglas n’est encore qu’un acteur de second plan qui peine à se débarrasser de l’étiquette “acteur de série télé” (il a incarné le rôle de l’inspecteur Steve Keller dans Les Rues de San Francisco durant 4 saisons de 1972 à 1976). Et si La Nuit des juges ne contribuera pas encore à en faire une star (il lui faudra patienter jusqu’à A la poursuite du diamant vert pour cela), il lui offre néanmoins la première occurrence du personnage bien sous tout rapport qui s’encanaille avant de faire amende honorable. L’ambiguïté du film tient en grande partie à la personnalité du juge Hardin. Finalement, il ne remet en question les agissements du tribunal secret uniquement parce que l’un de ses jugements à l’emporte-pièce le place dans une situation moralement intenable. Cela révèle chez lui une forme de naïveté (il pense surseoir à la sentence condamnant Monk et Cooms simplement en se ravisant) et d’égoïsme. Il n’est pas certain qu’il ait agi de la même façon en faveur de l’un de ses condisciples. Parfait fruit de son époque, il porte une attention maniaque à l’image qu’il renvoie au public. Ainsi, il s’offusque davantage que l’avocat de l’accusation dans l’affaire des assassinats de personnes âgées le pointe du doigt comme un juge laxiste à la télévision que de la libération de l’inculpé. A l’intérieur de sa cour de justice, il garde à peu près le contrôle des événements. Il lui revient de gérer les débats et de statuer en son âme et conscience sans risquer de remise en cause. Il vit un peu dans une tour d’ivoire, loin de la réalité du terrain, à l’inverse de l’inspecteur Harry Lowes, qui lui y baigne nuit et jour. Pis, il semble se désintéresser des affaires dès qu’il les a jugées, passant rapidement à autre chose. Hors du tribunal, sa vie se résume en garden party chez les notables, sorties en famille ou restaurants avec un collègue. Il vit véritablement dans un autre monde. Au-delà du conflit moral qui s’impose à lui, l’intrigue du film l’entraîne dans une sorte de descente aux enfers. Pour laver ses pêchés, il est contraint de s’aventurer dans un cul de basse fosse, de frayer avec cette populace qu’il ne croise d’ordinaire qu’au sein de son tribunal, là où les différences sont très marquées. Au fond, il n’y a pas beaucoup de noblesse dans l’attitude de Steven Hardin. Pur fruit de son époque, il prône l’individualisme, n’hésitant pas à condamner le collectif (le tribunal secret) à condition de pouvoir sauver la face. Peter Hyams ne cherche pas à magnifier sa quête rédemptrice. Si Steven Hardin reste in fine fidèle à ses idéaux, il ne devient pas un héros pour autant. Il agit en homme aux abois, de manière irréfléchie et quelque peu kamikaze, manquant d’y passer plus d’une fois. Il vit en quelque sorte son chemin de croix. Et ironiquement, le film se clôt sur lui en train de faire son Judas.
Pour Peter Hyams, La Nuit des juges marque définitivement la fin d’une époque. Si le film contient encore des bribes du cinéma des années 70, notamment dans sa dénonciation des disfonctionnements des institutions, il se laisse peu à peu gagner par une imagerie très typée années 80. Il y a une recherche esthétique constante jusque dans les déambulations du juge dans un immense entrepôt désaffecté. Néanmoins, cet entre-deux va dans le sens du propos du film qui joue sur le basculement d’un monde à l’autre par l’entremise du juge Hardin, désireux de se racheter une conscience. Si on ne peut nier l’efficacité du film – Peter Hyams savait encore dynamiser un récit – il manque cependant de cohérence, s’en remettant à de grosses ficelles pour parvenir à ses fins. Il en résulte un film parfois trop didactique dans ce qu’il énonce qui n’est finalement jamais meilleur que lorsqu’il s’en tient à la partie enquête de terrain.