CinémaScience-Fiction

La Nuit des fous vivants – George A. Romero

The Crazies. 1973.

Origine : États-Unis
Genre : Anticipation
Réalisation : George A. Romero
Avec : Will MacMillan, Lane Carroll, Lloyd Hollar, Richard France…

Plutôt que de surfer sur la vague qu’il avait lui-même lancé avec La Nuit des morts-vivants, George Romero se fit quelque peu oublier au début des années 70 en signant deux films, There’s Always Vanilla et Season of the witch, qui passèrent relativement inaperçus (le second sortant même deux ans après son tournage et un mois après The Crazies). Il est vrai que l’ombre de son premier film planait encore sur sa carrière, et que réaliser deux films plus ou moins éloignés du radicalisme de La Nuit des morts-vivants était un pari risqué. Mais puisque l’heure était aux remous politiques (le Watergate au milieu de l’année 1972), Romero revint à ses premières amours et réalisa un prolongement logique de La Nuit des morts-vivants qui, on s’en rendrait compte plus tard, ferait également office de transition entre celui-ci et Zombie. The Crazies (La Nuit des fous vivants en français…) ne met pourtant pas en scène une invasion de morts-vivants et reste à un niveau de probabilité plus élevé en prétextant une épidémie de folie, due à la pollution accidentelle de l’eau d’un patelin de Pensylvannie par une arme bactériologique. Une façon pour Romero de livrer un véritable brûlot, perdant la subtilité métaphorique des morts-vivants pour mieux fustiger directement l’armée et le gouvernement des Etats-Unis. Certains pourront reprocher au réalisateur ces dénonciations trop évidentes, mais que voulez-vous, l’homme devait en avoir gros sur la patate. Car ce ne sont pas les “fous” qui constituent le coeur du film, mais bien l’armée qui débarque sans crier gare dans la petite ville de Evans City. Par un beau matin, le pompier David (Will MacMillan) et l’infirmière Judy (Lane Carroll), un couple sans histoire, se réveillent au son des sirènes pour trouver la ville envahie de militaires en combinaisons blanches et masques à gaz. La loi martiale a été décrétée, les libertés sont niées et les habitants sont maintenus dans l’ignorance, contraints sous la force des armées de se plier aux exigences des troupes du Colonel Peckem (Lloyd Hollar). Le contrôle exercé sur les citoyens de Evans City est une véritable invasion fasciste d’autant plus scandaleuse que l’origine de l’épidémie vient des erreurs de l’armée elle-même. Romero n’y va pas par quatre chemins et l’armée n’est ni plus ni moins qu’un escadron SS à l’américaine. Arrachés sans ménagement et sans explications de leurs foyers, les citoyens (enfants compris) sont parqués dans un camp (le lycée de la ville) et les malades sont entassés dans le gymnase. Les fuyards sont abattus à vue, les corps sont immédiatement brûlés au lance-flamme et, bien entendu, tout ceci doit rester secret. Un cordon de sécurité entoure la ville, autant pour empêcher la population d’aller répandre l’épidémie que pour l’empêcher de communiquer avec l’extérieur. A peine un quart d’heure de film s’est il passé que l’utilisation de la bombe atomique est déjà évoquée. Elle sera confirmée plus loin dans le film par le Président des Etats-Unis lui-même (Nixon, même si il n’est pas nommé) qui s’accorde avec les pontes de l’armée pour sacrifier toute une ville ainsi que les soldats qui l’occupent. Des relents de Docteur Folamour se font sentir, chose encore accentuée par l’emploi régulier de la chanson “When Johnny Comes Marching Home Again”, sorte de marche militaire déjà grandement utilisée dans le chef d’œuvre de Kubrick. Romero adopte d’ailleurs une mise en scène très carrée, avec un montage sec, sans temps mort, illustrant très bien la violence de l’invasion. Une légère place est accordée à l’humour, forcément très noir, illustrant les aberrations de l’armée : les démarches administratives ralentissant les décisions à prendre d’urgence, les incessantes engueulades entre militaires et scientifiques (anticipant Le Jour des morts-vivants) et une ironie finale qui n’a rien à envier à celle de La Nuit des morts-vivants (il s’agirait même d’une marque de fabrique de Romero, qui semble décidément avoir été profondément marqué par Docteur Folamour).

Pour faire simple, The Crazies est la retranscription sur pellicule de la colère éprouvée par son réalisateur. Ce qui est exprimé ici semble être une réaction à chaud sur la tournure prise par l’Amérique de Nixon, et Romero ne tempére pas son propos par un quelconque espoir. La résistance légitime des habitants donne lieu à une véritable guerre civile, et les militaires reçoivent l’ordre de confisquer toutes les armes domestiques. Autant dire que le combat est disproportionné. Romero se concentre pourtant sur un groupe de chanceux ayant réussi à échapper aux mailles du filet : Judy, David, un ami de celui-ci, ainsi qu’un père et sa fille (Lynn Lowry, qui, pas de bol, connaîtra une autre maladie l’année suivante dans le Frissons de David Cronenberg). Mais leur liberté ne mène nulle part : non seulement la zone est trop bien contrôlée (confinant les personnages dans un espace clos… le lien avec les films de morts-vivants est vite fait), mais en plus l’épidémie n’a pas été enrayée et risque de les jeter les uns contre les autres. Dans la panique ayant succédé l’invasion, les personnes saines sont devenues aussi folles que les contaminées, complexifiant la tâche de l’armée, qui n’avait pourtant pas besoin de ceci pour se rendre la vie encore plus difficile. Agissant dans l’urgence, les militaires ne savent plus raisonner autrement que par la force, et négligent totalement le rôle salvateur que pourrait jouer le Dr. Watts (Richard France), pourtant amené de force à Evans City. Le chaos ne cesse de gagner du terrain, et les autorités militaires sont dépassées. Fait notable : plus on grimpe dans la hiérarchie de l’armée, plus les scrupules s’effacent. Du simple trouffion ne faisant qu’appliquer les ordres (et risquant sa vie pour cela) au Président donnant son accord à un éventuel emploi de l’arme nucléaire depuis son bureau de Washington, il y a un monde. Romero fustige au passage le tranquille confort des gradés, qui restent à l’abri pendant que la chair à canon est utilisée à mauvais escient. Ce n’est du reste pas un hasard si David, le meneur du groupe de résistants, est un ancien bérêt vert du Vietnam : il sait très bien à quoi s’attendre.

Dans le fond, The Crazies n’est pas très différent des films de science-fiction des années 50. Comme eux, il utilise le prétexte des hasardeuses expérimentations de l’armée comme point de départ pour une catastrophe de grande ampleur. Comme eux, il prend pour cadre une petite bourgade typiquement américaine. Comme eux, il envoie l’armée pour protéger le pays. Mais la grande différence est celle du point de vue adoptée : cette fois, le remède est pire que le mal. Les illusions sur la pureté de l’Amérique soi-disant terre de liberté ont disparu, et l’excuse de la lutte contre le péril communiste ne tient plus debout : quand elle est bousculée, l’Amérique montre son vrai visage, elle est terre de mensonges, et sous ses discours respectables se cache un net penchant pour le fascisme. The Crazies n’est certainement pas le meilleur film de Romero, que l’on préfère tout de même un peu plus réfléchi, mais c’est certainement l’un des films les plus violemment contestataires qu’ait produit cette décennie des années 70.

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