La Malédiction de la panthère rose – Blake Edwards
Revenge of the Pink Panther. 1978Origine : Royaume-Uni / États-Unis
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Afin de prouver à un ponte de la mafia qu’il est toujours au sommet de son art, le chef de la “French Connection” Philippe Douvier s’engage à orchestrer un coup d’éclat. Le but qu’il se fixe est l’assassinat de l’inspecteur Clouseau, qui a fait capoter tant d’affaires juteuses. Après plusieurs tentatives infructueuses, les hommes de Douvier parviennent enfin à remplir leur mission : la voiture de Clouseau explose ! Manque de chance, l’occupant de la voiture était un voyou travesti qui venait de détrousser le célèbre inspecteur. Alors que tout le monde le croit mort, ce dernier profite de sa disparition pour enquêter sur son propre meurtre, en parallèle avec l’enquête officielle menée avec peu d’entrain par le commissaire Dreyfus, replacé à son poste. Épaulé par son fidèle serviteur Cato, et bientôt par l’ex amante de Douvier dont il a croisé la route, Clouseau remonte la piste et en profite pour essayer de déjouer le trafic de drogue que Douvier organise avec la mafia.
Comment succéder à Quand la panthère rose s’emmêle, l’une des meilleurs comédies de l’histoire du cinéma ? Même pour l’association Edwards / Sellers, la tâche se révèle ardue. N’avaient-ils pas mis quatre films pour parvenir à ce résultat ? D’une intensité insolente, cette valse de gags menée avec une fluidité impressionnante avait retrouvé la grâce de The Party. Mais un état de grâce ne peut être qu’éphémère, et il est d’autant plus dangereux de vouloir le prolonger qu’une qualité moindre risque d’impacter négativement le regard sur la nouvelle création. Quand bien même celle-ci resterait loin au dessus du niveau du tout venant, elle décevrait forcément. C’est ce qui guettait cette Malédiction de la panthère rose (pertinent titre français, du coup). Pour tenter d’y faire face, ou tout du moins pour continuer à exploiter la recette du film précédent, Blake Edwards commence par orienter son scénario selon un schéma glorieux : l’infructueuse traque de Clouseau par des tueurs professionnels. C’était précisément le sujet de tout un segment de l’opus précédent, dans lequel tous les meilleurs agents secrets du monde venaient se casser les dents sur un Clouseau dont l’extrême maladresse se transformait en chance phénoménale… Ah ! Cette mythique fête de la bière, son tueur nain, sa bavaroise aux tétons pointus, sa scène des toilettes… Revenir au même niveau était chose impossible, et bien qu’on ne puisse parler d’échec (comment une tentative se déroulant chez Clouseau, pendant que celui-ci guette les guet-apens de son jaune ami Cato, pourrait-elle échouer ?) Blake Edwards ne retrouve pas le rythme frénétique qui était le sien. La faute déjà à la place occupée par cette partie dans la narration, juste au sortir de l’introduction, qui ne permet pas d’avoir préalablement mis le spectateur en condition. Lors du précédent film, la séquence venait en point d’orgue d’un scénario qui nous avait menés de situation en situation avec une graduelle accélération. Rien de tel ici : il s’agit de la première situation. Non seulement le spectateur n’est pas encore “chaud”, mais en plus le réalisateur ne l’est pas lui-même, ou du moins (car après tout, ces scènes ont peut-être été tournées à la fin du tournage) il a bien conscience qu’il ne peut mettre un tel moment de bravoure en début de film. Ainsi, si les gags ne sont pas loupés, ils n’ont pas cette densité et ce liant qui les rendraient irrésistibles. Ce sont des scènes bien découpées, qui en outre n’ont pas cette unité de temps. D’où l’impossibilité de créer un enchaînement burlesque.
Ce symptôme, on le retrouve hélas à travers tout le film, qui n’est qu’une collection de gags reposant sur un bien faible scénario. Non pas qu’il n’ait ni queue ni tête, au contraire. Il manque cette touche d’absurdité qui rendait celui de Quand la panthère rose s’emmêle dantesque, et qui réussissait l’objectif qui lui était assigné, celui de placer les meilleurs gags dans les meilleurs contextes possibles. Dans La Malédiction de la panthère rose, il ne fait que prendre une intrigue classique (et qui n’a même pas le charme sophistiqué des premiers films) et la truffer des éléments attendus, grossièrement grossis. Par exemple, reprenant le cas de Dreyfus qui gagnait du galon dans le film précédent pour devenir le “méchant” du film, il sort cette fois-ci Cato de l’appartement pour en faire un assistant de Clouseau à part entière. Le résultat est que Cato, qui jusqu’ici était un être complétement désincarné dont le seul but était de concevoir des traquenards contre son maître, joue ici les seconds couteaux dans le sens le moins noble du terme. Une sorte de disciple de Clouseau, dont les gaffes sont loin d’égaler celles de son maître, lequel n’a certainement pas besoin d’un acolyte pour l’aider à foirer ses initiatives. Quant à Dreyfus, totalement transparent, il se limite à n’apparaître que pour mieux s’évanouir lorsqu’il croise un Clouseau qu’il croyait mort. Une place bien pâle, comparée à sa précédente apparition. Il en va de même pour la “Clouseau girl”, totalement insipide. Triste de voir ça après le raffinement de ses devancières, qui jouaient de contraste avec la fausse classe affichée par l’inspecteur (Aldo Maccione n’a rien inventé). Autre élément récurent de la saga, les déguisements… Associés à Clouseau, les accoutrements saugrenus sont ici exploités au delà du raisonnable, et parfois sans justification humoristique valable. Voir Clouseau déguisé en chinois excessivement bridé est marrant sur le moment, mais dans le fond, cela correspond-il à ce que l’on attend de l’inspecteur ? De même pour son déguisement de Parrain : sans le jeu de Peter Sellers, il n’y aurait rien de particulier. Idem pour Toulouse-Lautrec, qui en outre n’est qu’une reprise de Casino Royale, où Sellers se déguisait déjà ainsi. Aucun de ces déguisements n’égale celui de Quasimodo (toujours dans Quand la panthère rose s’emmêle), dont la fonction comique ne se limitait pas au talent de Sellers.
Blake Edwards appuie systématiquement sur les ingrédients les plus “gustatifs” de sa saga, mais il est difficile de ne pas sentir que tout cela n’est qu’une solution de repli : en ayant déjà tiré tout le sel, il n’a plus rien à proposer. Peter Sellers est livré presque entièrement à lui-même, et sauve honnêtement ce qu’il peut. Sans réel dynamisme pour l’épauler, ses efforts sont forcément limités. Il est assez faux de prétendre que l’acteur, qui à l’époque souffrait déjà de la détérioration physique et mentale qui allait entraîner sa mort, est responsable de la soudaine perte de vitesse de la saga. Il subit plus qu’autre chose l’essoufflement de son réalisateur / scénariste / producteur Blake Edwards, essoufflement qui a en fait tout de la lassitude, sentiment que Sellers ressentait également publiquement. Mais pas au point de lui faire abandonner Clouseau, puisqu’au moment de sa mort il travaillait encore sur Romance of the Pink Panther, qu’il concevait sans Edwards (leurs relations ont toujours été difficiles, mais il est vrai que Sellers avait un caractère de cochon) et avec lequel il comptait redonner un coup de fouet à son alter égo en le faisant passer du côté du crime. Malheureusement, cet intriguant tournant n’a jamais vu le jour, La Malédiction de la panthère rose constituant dès lors une bien triste dernière Panthère rose 100% originale (le posthume A la recherche de la panthère rose ne compte pas vraiment). Et pas uniquement en raison de l’ombre que lui fait l’opus précédent.