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La Mort au large – Enzo G. Castellari

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L’Ultimo squalo. 1981

Origine : Italie
Genre : r’quin
Réalisation : Enzo G. Castellari
Avec : James Franciscus, Vic Morrow, Joshua Sinclair, Micaela Pignatelli…

C’est bientôt la fête au village dans une petite ville côtière américaine. Les cérémonies se préparent, le maire Wells (Joshua Sinclair) est sur le qui-vive et les jeunes s’entraînent pour la régate, clou de la manifestation. Soudain, le drame : un futur concurrent disparaît en mer. Peter Benton (James Franciscus), l’écrivain du coin, et son ami Ron Hamer (Vic Morrow), le vieux loup de mer local, tous deux des plongeurs invétérés, découvrent les restes grignotés d’une planche à voile. Il n’y a pas de doute : l’infortuné favori s’est fait bouffer par un requin blanc (ou un r’quin, comme le disent si bien les doubleurs). Les élections approchant à grands pas, Wells ne veut pas priver ses administrés d’une occasion de faire la fête et prend la responsabilité de maintenir la régate contre l’avis de Benton et Hamer. Le con !

Aussi gonflés que jamais, les italiens ont le bonheur de vous faire part de la naissance du dernier Dents de la mer. Car oui, même si la Universal avait gagné son procès pour plagiat, La Mort au large a continué de se vendre et de s’exporter -principalement à la vidéo- comme si il était partie intégrante de la saga initiée par Steven Spielberg. En Italie, le titre L’ Ultimo squalo ne peut que faire passer le film de Castellari comme le dernier né de la saga de Spielberg, baptisée là-bas Lo Squalo. Même raisonnement au Brésil avec O Último Tubarão (ou même Tubarão IV), en Finlande avec Tappajahai – surffaajien kauhu, en Suède avec Jättehajen – vindsurfarnas skräck, en RFA avec The Last Jaws etc etc… Certains font encore mieux : pour les espagnols, Tiburón 3 est sans conteste la deuxième suite à Tiburón. Quant aux japonais, ils considèrent que Jaws returns et utilisent de ce fait la même typographie que dans la promotion du film de Spielberg. Mais ce qui décida du procès intenté par la Universal, ce fut la vaste campagne de promotion orchestrée aux États-Unis, où The Last Jaws tenta de s’imposer. Universal obtint donc l’interdiction du film sur le marché, où il revint pourtant en étant retitré Great White. Malgré tout, il n’y a rien à dire : les distributeurs et les génies du marketing ont largement réussi à faire passer La Mort au large (d’ailleurs la France a été épargnée par cette vague pirate) pour un nouveau Dents de la mer. Il faut dire que le réalisateur, Enzo Castellari, leur a rendu un fier service. Tout ou presque de ce qui se trouve dans le film de Spielberg dispose d’un équivalent dans le sien. La petite ville côtière en pleine effervescence commerciale pourrait aussi bien être Amity. Son maire y est tout aussi pourri, sauf que lui est intéressé par les élections plutôt que par le commerce. Ses “gentils” sont au nombre de deux au lieu de trois, mais à eux deux ils synthétisent les caractéristiques de Brody, Hooper, et Quint : ils partagent les connaissances scientifiques de Hooper, Peter Benton (dont le nom est repris de Peter Benchley, auteur du roman Les Dents de la mer) est un père de famille imprégné par le sens du devoir civique et familial, Ron Hamer est un pêcheur bourru n’ayant peur de rien. Les ressemblances courent même jusqu’au niveau physique. En dehors de ça, nous avons aussi droit aux scènes de panique sur la plage, à la sortie finale des héros déterminés à en finir, et même le sort final du requin est pratiquement identique. Castellari ne fait qu’une seule innovation : rajouter le danger du sensationnalisme des médias au danger de l’opportunisme du maire.

Dans son écriture, La Mort au large est donc identique aux Dents de la mer. Comme la plupart des films de requins ou autres bestioles aquatiques, d’ailleurs. Pourtant, il se différencie de tous grâce à sa propension à faire le spectacle. Là où bien des avatars du Spielberg se perdent dans le sous-texte politique ou scientifique et sont en fin de compte passé à côté de leur sujet, n’utilisant que peu leurs monstres (chose souvent imputable au manque de budget), Castellari assume complètement son statut de série B prête à faire fi des absurdités pour pouvoir placer de nombreuses scènes croustillantes. Ce ne sont pas des effets spéciaux approximatifs, maquettes ou stock-shots évidents qui vont l’empêcher de faire un film de requin. Le réalisateur des Guerriers du Bronx n’est pas du genre à pratiquer la tromperie sur la marchandise et il est prêt à tout pour répondre aux exigences, et tant pis si c’est au prix de la crédibilité… Cette façon de faire lui a déjà valu plusieurs fois les moqueries du public et de la critique, mais il n’en change pas pour autant. Ici, il ne se prive pas pour montrer son squale fréquemment et sans peur du qu’en dira-t-on. Il le montre même tellement qu’il évacue tout le suspense qui faisait le sel du film de Spielberg au profit d’un traitement axé action et horreur bien entendu fort peu réaliste. Si suspense il y a, c’est l’affaire de quelques secondes, le temps que le requin rapplique pour dévorer ce qui a le malheur de traîner dans l’eau ou près de l’eau. Dans La Mort au large, le requin ne fait pas que bouffer des planches à voile et les jeunes qui sont dessus : dans ses moments de bravoure, il attrape aussi un hélicoptère et dévore un ponton, qui s’ajoutent aux jambes mangées ici où là en guise d’apéritif.

Ce squale est tout simplement boulimique. Castellari ne fait que répondre à ses exigences, et les deux héros mis à part, il en vient à considérer ses personnages comme des en-cas sur pattes. Arrivé au drame de la régate (qui nous pendait au nez), il oublie le scénario, il oublie la responsabilité du maire, et il lance une grosse chasse au requin. Chacun y va de sa petite tentative : le maire à bord de son hélicoptère, les héros dans leur bateau de pêche, les jeunes à bord d’un yacht, les journalistes sur le ponton… A chaque fois cela se termine dans le sang, et à chaque fois l’action monte encore d’un cran. Il se permet aussi quelques plans gores, légitimes dans le contexte d’un requin tueur mais là encore souvent oubliés dans les autres repompes des Dents de la mer. Évidemment, cette volonté d’en mettre plein les yeux sans vraiment disposer des moyens pour le faire (outre la médiocrité des effets spéciaux, citons aussi la mise en scène parfois grandiloquente, comprenant par exemple des ralentis ou des plans depuis des endroits incongrus) est typiquement ce qui vaut à Castellari et à ses films d’être conspués. Et pourtant, même en tendant la perche pour se faire battre, un film comme La Mort au large est infiniment plus agréable que la première production Nu Images venue. C’est un film qui répond aux exigences, et c’est bien cela qui en fait un film con. D’autres, les Nu images, n’osent pas prendre les mêmes risques et sont juste des nullités frileuses, qui compensent leur platitude par différents subterfuges, comme un humour excessif et généralement pas drôle. Le fossé entre les deux est immense ! D’ailleurs plutôt que de lui coller un procès aux fesses, la Universal aurait tout aussi bien fait de s’associer aux distributeurs du film de Castellari et de le vendre comme étant Les Dents de la mer 3, leur propre version étant franchement insignifiante.

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