CinémaDrame

La Maison assassinée – Georges Lautner

La Maison assassinée. 1988.

Origine : France
Genre : Malédiction familiale
Réalisation : Georges Lautner
Avec : Patrick Bruel, Anne Brochet, Yann Collette, Agnès Blanchot, Roger Jendly, Ingrid Held, Jean-Pierre Sentier.

Vétéran de la Première Guerre Mondiale, Séraphin Monge revient dans son village natal, 24 ans après le drame qui l’en avait éloigné. Le notaire lui remet alors les clés de la maison familiale, laissée à l’abandon, à quoi s’ajoutent une chambre dans le coeur du village et un emploi comme cantonnier octroyés par la municipalité. Son retour, diversement apprécié, suscite immédiatement de la méfiance de la part des hommes et de la convoitise de la part des jeunes femmes, Marie et Rose en tête. Séraphin accueille ces attitudes avec indifférence. Mais il prend un coup sur la tête lorsque Brigue, son collègue de travail, lui révèle ce qu’il s’est réellement passé dans sa maison alors qu’il n’était qu’un bébé. Dès lors, il ne peut plus supporter cette bâtisse porteuse de tant de malheurs. Il s’échine à la détruire pierre par pierre jusqu’à ce qu’il découvre un coffre caché en ses murs. A l’intérieur, des reconnaissances de dettes signées de la main de son père et qui concernent trois notables de la ville. Convaincu qu’il tient là l’identité des trois meurtriers, il décide de se lancer dans une mission vengeresse.

Dans un pays qui a érigé la politique de l’auteur en valeur cardinale, un réalisateur comme Georges Lautner ne pouvait que nourrir les a priori négatifs. Lui-même en rajoute volontiers une couche en affirmant qu’il a avant tout réalisé des films pour gagner de l’argent et avoir de quoi manger plutôt que pour la gloire. Les honneurs, très peu pour lui. Ou alors ceux qui comptent, ceux qui viennent du public. Et celui-ci lui a souvent fait des triomphes, certains de ses films devenant au fil du temps de véritables petits classiques comme Les Tontons flingueurs. Au fil d’une carrière bien remplie, il a dirigé les monstres sacrés du cinéma français (Jean Gabin, Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon) comme les étoiles montantes (Pierre Richard, Miou-Miou, Gérard Lanvin, Sophie Marceau), s’imposant comme une figure majeure du cinéma populaire à la française. La première moitié des années 80 sont marquées par son association avec Jean-Paul Belmondo pour des films tout à la gloire de l’acteur et aux succès phénoménaux. Le Guignolo, Le Professionnel et Joyeuses Pâques atteindront tour à tour les sommets du box office hexagonal. Cependant, cette décennie le voit tomber dans une certaine facilité. Il fait preuve de paresse dans le choix de ses projets, se cantonnant aux comédies, qu’elles soient policière (Le Cowboy avec Aldo Maccione, l’une des improbables vedettes de l’époque) ou opportuniste  (La Cage aux folles 3). Dans ce contexte, son choix de réaliser La Maison assassinée étonne. Avec ce film, il s’inscrit dans la vieille tradition française d’un cinéma rural, de Goupi mains rouges de Jacques Becker à Le Grand chemin de Jean-Loup Hubert en passant par La Ferme du pendu de Jean Dréville ou encore La Table aux crevés d’Henri Verneuil. Et surtout, il s’en tient à la dimension tragique et noire du roman de Pierre Magnan sans chercher à alléger cette histoire de manière artificielle.

La figure du soldat qui retourne sur ses terres est un grand classique que La Maison assassinée reprend de manière détournée. Séraphin Monge n’a aucune attache dans ce village dont on ne saura jamais le nom, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a jamais vécu. Il ne connaît personne alors que tout le monde sait qui il est et que beaucoup auraient préféré qu’il ne revienne jamais. Pour les habitants de ce village, Séraphin Monge n’est qu’un nom synonyme de drame, porteur d’une malédiction dont il ignore l’origine. Un nom qu’on s’empresse d’inscrire sur le monument aux morts de la guerre de 14-18 comme pour mieux enfouir à jamais une histoire qui pèse tel un fardeau au-dessus des villageois. S’il n’est pas mort à la guerre, Séraphin n’en revient pas moins marqué. Pas tant par les horreurs qu’il a vécues que par les vides de son existence. Ce village qui l’a vu naître, il s’y raccroche comme à une bouée de sauvetage, essayant de comprendre par la même occasion qui a bien pu lui envoyer régulièrement des colis alors qu’il combattait au front. Apprendre de la bouche de Brigue la nature du drame relaté dans ses moindres détails fait l’effet d’un coup de massue. L’image de sa mère agonisante, tentant jusqu’à son dernier souffle de protéger son bébé, le hante désormais chaque nuit. Loin de l’apaiser, le récit de cette nuit tragique le ronge de l’intérieur. Déjà peu bavard, il se referme encore davantage, bloc de douleurs et de ressentiments qu’il tente de soulager en démolissant la maison maudite. Une manière de faire table rase du passé pour mieux reconstruire. Mais reconstruire quoi ? Comment ? Rien d’autre n’anime Séraphin que cette rage qui brûle en lui. Il s’interdit d’aimer et d’être aimé, convaincu d’être marqué du sceau de la malédiction. C’est un personnage aride, presque absent (son regard vide incite d’ailleurs Rose à se détourner de lui) qui ne peut même pas éprouver du soulagement dans l’exécution de sa vengeance puisque quelqu’un lui coupe systématiquement l’herbe sous le pied. Séraphin est surtout un être déboussolé que cette confrontation brutale avec son passé va pousser à la reconstruction. Un homme dont l’identité même s’est façonnée dans les mensonges et les non-dits. L’intrigue du film imbrique les genres pour mieux embrasser une période charnière. La Maison assassinée nous plonge dans une France rurale encore emplie de ces superstitions qui embrument les esprits et enveniment les rapports humains. Une France patriarcale où les hommes décident de tout, convaincus de leur bien-fondé, alors qu’ils n’agissent que comme des imbéciles, enchaînant les mauvais choix dans le seul but de préserver leur pré carré. Dans ce contexte, le retour de Séraphin agit comme un révélateur. Sa présence inattendue met à mal l’équilibre précaire du village et de ses codes, héritages de temps anciens. En démolissant sa maison, ce n’est plus seulement son passé qu’il détruit mais un peu de cette France d’antan confite dans ses croyances et sa structure archétypale. Il ouvre une brèche dans un mur de certitudes.

En réalisant La Maison assassinée, Georges Lautner s’éloigne d’une imagerie “à la Pagnol” que le tournage en Provence pouvait laisser craindre. Lui comme ses acteurs ne forcent jamais le trait, cherchant moins le pittoresque qu’un certain réalisme dans l’approche des us et coutumes de la vie campagnarde. Il excelle par ailleurs à retranscrire cette ambiance aux confins du fantastique dans laquelle baigne cette histoire de vengeance contrariée. En outre, le récit sait ménager ses effets, révélant ses secrets avec parcimonie en plaçant les spectateurs au même niveau que Séraphin, au prix de quelques frustrations. Ainsi, la teneur de l’échange entre la Tricanote et le compagnon revenu sur les lieux du crime ne sera révélée qu’au moment où la vieille femme s’en ouvrira à Séraphin. Georges Lautner réussit un beau film d’ambiance au suspense policier savamment entretenu. Cependant, il ne se contente pas de cela, et c’est sur ce point qu’il se montre le plus surprenant. Parmi la multitude de personnages secondaires, les personnages féminins se taillent la part du lion. Les Marie Dormeur , Rose Pujol et autre Charmaine Dupin ne sont pas que de simples soupirantes béates d’admiration devant ce soldat démobilisé revenu en un seul morceau et auquel Patrick Bruel prête ses traits de jeune premier. Elles sont avant tout des femmes qui prennent leur destin en main. Elles n’ont que faire du qu’en-dira-t-on et sont prêtes à s’opposer à leurs pères s’il le faut. Elles démontrent des caractères affirmés qui prennent leur source dans l’histoire récente. Insidieusement, la Première Guerre Mondiale a insufflé un vent de renouveau au sein de la société. Jusque-là essentiellement cantonnées aux seules tâches domestiques, les femmes ont dû pallier à la raréfaction des hommes, la plupart étant partis au front, afin d’assurer la bonne marche du pays. Et si les hommes ont rapidement renoué avec leurs prérogatives une fois la paix retrouvée, les femmes ont goûté à une forme de liberté, même si dans des conditions souvent difficiles et éreintantes, à laquelle elles ne sont pas toutes disposées à renoncer. Cette émancipation qui a lentement infusé la société française s’incarne dans ces jeunes femmes qui refusent la fatalité d’un événement traumatique mal géré. Marie, Rose et Charmaine apportent l’humanité, la chaleur et la légèreté qui font cruellement défaut à Séraphin. Chacune à sa manière, elles le soignent de ses maux à son insu, le ramenant progressivement sur le rivage des vivants. Tout en y prenant part, souvent bien malgré elles, elles illuminent ce drame de leur présence, lui donnant un tour moins définitif. Elles apportent cette touche d’espoir qui permet au film de se conclure sur un sourire, celui de Séraphin, désormais en paix avec lui-même.

Pour le Georges Lautner des années 80, La Maison assassinée tient de l’anomalie. Ici, nulles stars au générique (si Patrick Bruel comptait déjà deux titres qui avaient chamboulé le Top 50, nous étions encore loin de la Bruelmania) et un ton sérieux mais pas solennel au service d’une histoire qui explore tout en subtilité la noirceur de l’âme humaine. Un film marquant aussi bien par son atmosphère qui dialogue par moment avec le style Hammer (la brume qui enveloppe la campagne provençale autour de la maison des Monge) que par ses personnages secondaires, force d’un cinéma français que La Nouvelle Vague tenait pour obsolète. De ceux-ci émergent deux nouveaux visages, Anne Brochet et Yann Collette, au jeu diamétralement opposé (elle tout en pétillance, lui plus intériorisé) mais qui apporte de la couleur au récit. Ils sont les contrepoints parfaits d’un Patrick Bruel faussement monolithique, qui s’affirmait alors comme un comédien à suivre.

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