La Colline a des yeux – Alexandre Aja
The Hills have eyes. 2006Origine : États-Unis
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Je ne pense pas trop m’avancer en disant qu’à Tortillafilms, on goûte fort peu cette vague de remakes qui n’en finit plus de déferler sur nos écrans. Ça dénote tout à la fois de la part des studios hollywoodiens (principaux pourvoyeurs en la matière) d’un sérieux manque d’imagination, d’une envie de capitaliser sur des titres qui ont déjà fait leurs preuves, et quelque part d’une volonté de réécrire l’histoire en adaptant ces films aux contingences de l’époque actuelle et/ou du pays de sa production. Et tout ça pour un résultat le plus souvent d’une indigence rare, car n’ayant été pensé que comme un produit et non une œuvre à part entière. De fait, cela pose un problème de taille à notre modeste tâche de critique, à savoir tenter de parler de ces films en toute objectivité, alors que la majorité d’entre eux ne font que reproduire à la scène près ce qui a déjà été fait auparavant. Et souvent en mieux, d’ailleurs. Néanmoins, remake n’est pas toujours synonyme de médiocrité. Un John Carpenter avec The Thing (1982) ou un David Cronenberg avec La Mouche (1986) ont prouvé le contraire, et leurs films font désormais office de jurisprudence lorsqu’il s’agit d’évoquer un nouveau remake à venir. Or il s’agit de deux cas bien spécifiques, les deux hommes ayant eu en commun de pleinement repenser le matériau d’origine pour l’adapter à leurs propres obsessions, et ainsi en faire des films totalement personnels. Compte tenu de la genèse du remake du film de Wes Craven, on peut difficilement envisager que cette Colline a des yeux joue dans la même catégorie. Pour le réalisateur de Furia et du remarqué Haute tension, ce remake relève davantage du sésame pour faire son trou aux États-Unis que d’un projet personnel. Et bien qu’il ait affirmé le contraire lors de convenus discours promotionnels, sa version n’est qu’une triste et customisée resucée du film de Wes Craven.
Menée par les obsessions du paternel Big Bob, la famille Carter se retrouve à traverser le désert de Californie la mort dans l’âme. La climatisation de la caravane fonctionne mal, le téléphone mobile ne passe pas et, pour couronner le tout, la voiture finit contre un rocher à la suite d’une crevaison. Maudire le pompiste de la dernière station-service à 300 km à la ronde pour les avoir guider sur cet improbable raccourci ne sert à rien. Il leur faut chercher de l’aide. Big Bob décide de rejoindre la station-service alors que son gendre part dans l’autre sens dans l’espoir de croiser âme qui vive. Et des âmes, ils vont en croiser, mais des belliqueuses qui ne chercheront qu’à les exterminer jusqu’au dernier.
Le film s’ouvre sur un prologue qui indique que Alexandre Aja a tout de même souhaité justifier son statut de co-scénariste pour ne pas être considéré comme un pâle imitateur. Associé à son compère des débuts, Grégory Levasseur, il a recours aux bons vieux essais nucléaires pour introduire sa bande de cannibales, et du même coup, une raison à leurs actes meurtriers. Une totale faute de goût à mon sens qui, si elle permet aux maquilleurs Howard Berger et Greg Nicotero de s’en donner à cœur joie dans l’aspect monstrueux des membres qui la composent, nuit totalement au reste du film qui reprend peu ou proue la moindre des situations développées par Wes Craven. Ainsi, la scène de la station-service sur laquelle s’ouvrait La Colline a des yeux version 1977 devient totalement grotesque dans la version 2006 puisque jouant de manière absurde sur la présence d’une indicible menace alors même que celle-ci vient d’être éventée au cours du prégénérique. A se soucier davantage du canevas original au détriment d’une cohérence avec les quelques éléments qu’ils ont introduits, les deux hommes contribuent à se saborder. De même, ils minimisent grandement la portée du sujet en omettant ce qui faisait le sel de la version 1977, à savoir la lutte à mort entre deux familles. Ici, les cannibales ne sont pas présentés comme les membres d’une même famille, mais plutôt comme les descendants d’une corporation de mineurs dont le refus d’évacuer leurs terres, choisies pour être la zone d’essais nucléaires, a conduit à leur dégénérescence. Le rejet familial au cœur du film de Wes Craven laisse place à une spoliation étatique qui conditionne une colère bien plus large des dégénérés des années 2000. Finalement, que leurs victimes du jour soient une famille ne revêt aucune importance, comme en atteste le prologue et ses scientifiques massacrés. On se retrouve donc face à un banal survival aux rebondissements téléphonés (Aja nous fait deux fois le coup du “mec qu’on croyait mort mais en fait, non”) et dénués de toute substance. En 1977, la mort de chaque personnage était vécue de part et d’autre comme un coup porté au cœur, puisque chaque victime était un membre d’une famille. La famille se trouvait au centre des débats et c’est sa défense, ou plutôt le sentiment de vengeance, qui nourrissait les actes des personnages et conférait toute sa force au film, son côté choquant. Il y a une scène qui est symptomatique des mauvais choix de Alexandre Aja, notamment pour ce qu’elle dévoile de son traitement de la violence. Alors que le frère et la sœur Carter croient avoir définitivement éliminé l’un des dégénérés, ils s’aperçoivent qu’il vit encore. Folle de rage, la jeune femme se rue sur lui et l’achève à coups de pioche, avec force gerbes d’hémoglobine. Cette séquence se veut choquante et brutale, elle n’est que gratuité et esbroufe lorsque son équivalent de 77 la plaçait à un niveau autrement plus significatif, la sœur n’agissant ainsi que pour sauver la vie de son frère. Et Alexandre Aja procède ainsi durant tout le film, privilégiant une horreur certes graphique et abondamment exposée, mais également dénuée de toute viscéralité, représentative de cette nouvelle mouvance du cinéma horrifique contemporain. Dans ce contexte, les cannibales se bornent à n’être que des figures monstrueuses, des croquemitaines à éliminer pour pouvoir à nouveau dormir tranquille…
Étonnamment bien accueilli à sa sortie, La Colline a des yeux rejoint cette cohorte de remakes inutiles qui amoindrissent plus qu’ils n’enrichissent les films dont ils s’inspirent. Trop servile dans son hommage, Alexandre Aja en oublie jusqu’à exploiter ses décors originaux (le cas le plus flagrant est celui de la mine, simplement traversée par le gendre, sans que le réalisateur ne tire de son exploration une quelconque scène d’angoisse), rendant ainsi une copie sans saveur et bien vite oubliable. Depuis, le bonhomme s’est fendu d’une autre exploitation d’un fleuron du cinéma des années 70, en l’occurrence le Piranhas de Joe Dante, avec un égal succès. Aujourd’hui, il se consacrerait enfin à un projet plus personnel, à savoir l’adaptation du dessin animé Cobra, un projet autrement plus ambitieux que ses panouilles habituelles.