CinémaPolar

La Cadillac de Dolan – Jeff Beesley

Dolan’s Cadillac. 2009.

Origine : Royaume-Uni, Canada
Genre : Vengeance aveugle
Réalisation : Jeff Beesley
Avec : Wes Bentley, Christian Slater, Emmanuelle Vaugier, Greg Bryk, Al Sapienza, Aidan Devine, Karen LeBlanc.

Tom et Elizabeth Robinson coulent des jours heureux. Ils filent le parfait amour, adorent leur métier d’enseignant et ont des projets d’avenir. Le premier d’entre eux – devenir parents – tarde un peu à se concrétiser mais ce contretemps est vécu avec bonne humeur. Les nuages commencent à obscurcir leur horizon lorsque au cours d’une balade à cheval dans les contrées désertiques voisines, Elizabeth surprend Jimmy Dolan et son garde du corps exécuter des passeurs et les immigrés qu’ils convoyaient. Seule à même de faire tomber le bandit, Elizabeth accepte de témoigner au procés que l’agent fédéral Fletcher espère obtenir après avoir réuni suffisamment de preuves. En attendant, le couple Robinson se retrouve assigné à une chambre d’hôtel sous la protection des fédéraux. Sauf que Jimmy Dolan tient à sa liberté et fait plastiquer la voiture du couple qu’Elizabeth, au mépris de toute prudence, utilise au milieu de la nuit pour aller chercher un test de grossesse. C’en est fini du bonheur de Tom. Fou de douleur, il n’a dès lors plus qu’une envie, tuer Dolan. Sauf qu’il n’est pas facile de s’improviser tueur…

Stephen King demeure un nom extrêmement populaire de la littérature fantastique. A tel point que son seul nom permet à des projets de se monter en dépit des fortunes diverses que les multiples adaptations de ses romans ou de ses nouvelles aient pu rencontrer. A l’origine, “La Cadillac de Dolan” est une nouvelle publiée dans la newsletter mensuelle Castle Rock en 1985, puis elle intégre l’anthologie Rêves et cauchemars parue en 1993, dont elle est le premier récit. Ce même recueil qui a été adapté en une mini-série de 8 épisodes en 2006 et dont “La Cadillac de Dolan” est absente. Et cela pour une simple et bonne raison : ses droits ont été achetés depuis longtemps dans le but d’en tirer un film. En 2001, Sylvester Stallone (Dolan) et Kevin Bacon (Robinson) doivent se partager l’affiche sous la direction de Stacy Title (L’Ultime souper). Or la grève des scénariste repousse le tournage à 2002, ce qui entraîne le désistement des deux vedettes engagées. Stacy Title, elle, s’accroche au projet et multiplie les traitements. Sauf que faute de financements, le projet reste au point mort, Stephen King finissant même par exiger qu’on lui restitue les droits. En 2007, le projet semble enfin sur la bonne voie, cornaqué par la boîte de production Film Bridge International. En guise de grands noms, Christian Slater, plutôt sur la pente descendante, et le jeune Wes Bentley (American Beauty, 2e sous-sol) se mettent au service de Érik Canuel, un réalisateur québécois issu du clip vidéo et de la télévision. Mais il était dit que cette adaptation n’aurait décidément rien d’un long fleuve tranquille. Échaudé par une baisse drastique du budget initial, Érik Canuel rend son tablier, ne souhaitant pas revoir ses ambitions à la baisse. Jeff Beesley le remplace au pied levé, tout heureux de pouvoir s’extraire du milieu télévisuel dans lequel il reviendra très vite.

Jamais le dernier pour rendre hommage aux auteurs qu’il adore, Stephen King écrit “La Cadillac de Dolan” avec à l’esprit la nouvelle d’Edgar Allan Poe “La Barrique d’amontillado” que l’on peut retrouver dans le recueil Nouvelles histoires extraordinaires. Il en reprend le principe, la vengeance par dissimulation (là derrière un mur, ici sous une route), mais en change la nature. Chez Poe, Montresor, le meurtrier, n’agit que par orgueil là où Robinson se venge avant tout par amour, même si la blessure d’orgueil n’est pas loin. Stephen King entraîne son récit sur la voie de l’auto-justice tout en se gardant bien d’émettre un avis sur la question. Son personnage désire se venger, se donne les moyens d’y parvenir (le récit s’étend sur plusieurs années) et réussit son coup. Sans verser dans la trahison pure et simple, l’adaptation cinématographique apporte un contrepoint à cette réussite qui tient en un élément scénaristique bien précis, le trafic d’immigrés auquel Jimmy Dolan prend part. Cet élément ancre le malfrat dans une réalité sociale que Tom Robinson ne peut ignorer. Lui-même s’en fait l’écho à ses élèves avec lesquels, en sa qualité de professeur d’histoire, il aborde la construction des voies de chemin de fer par des travailleurs immigrés lors de la conquête de l’ouest. Or s’il tente d’ouvrir les yeux aux nouvelles générations quant aux réalités historiques sur lesquelles s’est bâti le pays, il est prêt à fermer les siens lorsque la quiétude de son foyer s’en trouve menacée. Il aurait préféré que Elizabeth s’abstienne de vouloir témoigner plutôt que de devoir vivre en vase clos jusqu’à un hypothétique procès. Cette attitude révèle une certaine défiance vis à vis des fédéraux et de leur travail qui va dans le sens des films de vigilante. Parce que les institutions faillissent, Tom Robinson s’arroge le droit de rendre justice lui-même. Cependant, il n’a pas vocation à entrer en croisade contre le crime. Et que Jimmy Dolan soit partie prenante dans la traite des êtres humains n’influence en aucune façon son choix. On peut même affirmer qu’il s’en fiche éperdument. Seule la vengeance l’importe. Il ne pense qu’à l’assouvir, au mépris de toute considération éthique. A ce titre, Tom Robinson est un personnage dépourvu d’ambiguïté, aussi lisse que l’acteur qui l’interprète, Wes Bentley. Ni émouvant, ni haïssable, son personnage suit un parcours balisé qui ne prend jamais de tournure cauchemardesque, nonobstant l’apparition fugace de son épouse défunte. Simple concession à la nouvelle, cette apparition spectrale ne pervertit pas le bon déroulement des événements, Tom n’entrant jamais en dialogue avec elle. Tout au plus vient-elle lui servir de piqûre de rappel quant à la raison de son choix. Sauf que s’improviser tueur n’est pas à la portée du premier venu et Tom en fait l’amère expérience. Il ne suffit pas de se balader muni du Magnum 44 special de l’inspecteur Harry pour assumer son expédition vengeresse. Il faut aussi un certain aplomb et, surtout, être capable d’affronter le regard de celui qu’on veut tuer sans faillir. Cela revient à assumer ses actes, ce qui pour Tom Robinson ne va pas de soi.

La Cadillac de Dolan orchestre la réunion de deux hommes que a priori tout oppose mais qui à la faveur d’un événement traumatique tendent à se ressembler plus qu’il n’y paraît. Toute l’existence de Tom tourne autour d’Elizabeth. Le film ne lui prête aucun ami, pas de famille et aucune distraction. Jimmy Dolan est dans la même situation, à ceci près que le business lui tient lieu d’épouse. Sorti de ses affaires, il n’y a rien qui l’anime. Ses rapports à autrui se limitent à ses subordonnés (une chauffeuse mutique, son garde du corps, son rabatteur) ou à des relations d’affaire. Derrière ses grands airs, il n’est qu’un bandit à la petite semaine qui ne survivrait pas deux minutes sans la présence de son garde du corps. Il mène une existence peu enviable d’ermite, qui ne sort de sa suite royale que pour se lover dans les sièges en cuir de sa cadillac blindée et suréquipée d’où il pense diriger son monde. En faisant éliminer Elizabeth, il a rendu Tom aussi seul que lui. Mieux, en le rabaissant (“Tu transpires l’échec de manière nauséabonde.”) et en lui faisant comprendre qu’il ne vaut même pas la peine qu’il le tue, Jimmy lui a ôté ses dernières inhibitions. Leur histoire se joue donc en deux temps. Celui de la confrontation dans les toilettes miteuses d’une station-service, au moment où Tom venait une fois de plus de se déballonner. Et celui de “l’exécution” lorsque pris au piège de sa voiture, qui de cocon protecteur devient tombeau, Jimmy Dolan en devient pathétique à force de supplier pour rester en vie. Tom reprend alors à son compte les phrases sentencieuses que Jimmy lui avait jetées au visage, prouvant son manque de personnalité. Jusque dans la victoire, Tom demeure cet être insignifiant que son drame personnel n’aura pas contribué à élever. De son côté, Jimmy ne fait que révéler au grand jour ce que nous soupçonnions déjà. Il n’est qu’un médiocre qui ne se sent pousser des ailes que lorsqu’il se trouve du bon côté du flingue. Entre ces deux événements, Jeff Beesley meuble comme il peut. Le rude apprentissage du métier de terrassier illustre l’extrême motivation de Tom que ni la pénibilité du travail sous un soleil du plomb ni les railleries des chefs de chantier (dont Eugene Clark, le leader des morts-vivants dans Land of the Dead) ne suffisent à altérer. De son côté, Jimmy tente de développer ses affaires à l’aveuglette, donnant pleine confiance à l’un de ses sbires avec pour seul principe de ne pas toucher à la drogue. C’est l’occasion pour Christian Slater de jouer tout en exagération un personnage fantoche qui se borne à philosopher sur la vie avec la conviction du cuistre. Il s’adonne au numéro attendu d’un acteur autrefois starifié et désormais abonné aux inédits du marché de la vidéo, cherchant à trouver du plaisir dans l’outrance. Par contraste avec son homologue, il l’emporte sans gloire, exaspérant à force de jérémiades mais apportant un peu de vie à ce film beaucoup trop long pour ce qu’il a à raconter.

La Cadillac de Dolan n’est ni la première, ni la dernière tentative de transformer une nouvelle de Stephen King en long métrage. Parfois, la réussite est au bout du chemin (Le Cobaye, par exemple, quoique davantage sur un plan économique qu’artistique) mais le plus souvent, les récits s’étirent en longueur sans apporter de véritable plus value. C’est le cas ici avec cette histoire de vengeance qui n’offre aucune surprise. La confrontation entre les deux antagonistes se limitant à un dialogue de sourds entre deux individus campant sur leurs positions, le final n’offre pas plus de satisfaction. Peut-être que Jeff Beesley aurait gagné à lorgner vers le fantastique en développant les rapports entre Tom et sa défunte épouse, ou peut-être aurait-il mieux valu que cette adaptation reste à l’état de projet. Tous les écrits ne méritent pas forcément d’être mis en images. Surtout avec aussi peu de personnalité.

Une réflexion sur “La Cadillac de Dolan – Jeff Beesley

  • Je me rappelle avoir lu la nouvelle et de me souvenir de la souffrance et de l’endurance que le narrateur avait de couper le bitume sous un soleil de plomb, et de creuser la terre en dessous pour enterrer la Cadillac de Dolan, et cela étalé sur un week end. Le film fait du remplissage jusqu’au moment clé. En toute franchise, vaut mieux un épisode d’une heure, que de voir du remplissage qui nous intéresse pas. Wes Bentley est, avec Jay Courtney, un acteur qui arrive à trouver des rôles dans des gros films, malgré leur manque de charisme.

    J’aurais aimé voir ce film avec Stallone, grand fan de Poe qui a dû voir le rapport avec la nouvelle de Poe. Surtout que l’on avait à la réalisation Lisa Title, que j’avais adoré son Ultime Souper, un des meilleurs trillers avec un humour noir des plus génial. Avec Kevin Bacon cela aurait donné un superbe film j’en suis sûr.

    Quand j’ai vu le synopsis du film et qu’il y avait Christian Slater, on est passé d’un grand film à un téléfilm, avec un faible budget et une star sur le déclin. On a perdu beaucoup au change.

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