L’Empreinte de Dracula – Carlos Aured
El Retorno de Walpurgis. 1973Origine : Espagne / Mexique
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Imperturbable, Paul Naschy continue sur sa lancée et tourne sa septième personnification du loup-garou Waldemar Daninsky en l’espace de quatre ans. El Retorno de Walpurgis, tel est le nom du film, n’entretient aucun rapport direct avec ses prédécesseurs, même pas avec La Noche de Walpurgis. La parenté du titre est davantage à attribuer au succès commercial du film de León Klimovsky, connu en France sous le titre La Furie des vampires. Pour autant, L’Empreinte de Dracula est loin de se réduire à la simple exploitation mercantile d’un personnage devenu vendeur. Après avoir envoyé son loup-garou se battre contre des vampires, contre Frankenstein, contre une momie et contre Jeckyll / Hyde, il créé la surprise en revenant aux sources de la lycanthropie (et le titre français d’évoquer un Dracula qui n’a rien à faire là).
Au moyen-âge, le preux chevalier Irineus Daninsky parvient à détruire une tout-puissante organisation adoratrice de Satan. Avant de périr sur le bûcher, une sorcière eut tout de même le temps de maudire Irineus et ses descendants, lui promettant qu’un jour viendra où la lignée des Daninsky recroisera la route de Satan et de ses adeptes. Quelques siècles plus tard, c’est Waldemar Daninsky qui s’y colle. Il recueille chez lui Ilona, une jeune femme en détresse avec laquelle il croit avoir enfin trouvé l’amour. Las, Ilona est en fait l’envoyée de Satan, et profite du sommeil de son bienfaiteur pour le blesser avec un crâne de loup tâché de sang maudit. Suite à quoi la jeune femme prend la fuite pour de bon. Une série de meurtres intervient alors dans le très superstitieux voisinage. Waldemar a bien conscience de faire des cauchemars un peu étranges, mais comme tous les gens censés, il attribue ces crimes à un tueur récemment évadé de l’asile. Il devra bien tôt ou tard se rendre à l’évidence… Et pour ne rien arranger, la malédiction a choisi un bien mauvais moment pour frapper, puisque Waldemar vient tout juste de faire la connaissance de Kinga Wilowa (Fabiola Falcón), fille d’un ingénieur fraîchement installé dans la région avec sa femme et ses deux filles.
C’est tout de même admirable qu’au bout de sept films tournés à la chaîne, Paul Naschy continue toujours à concevoir son Waldemar Daninsky avec la même humilité et le même sérieux qu’au premier jour. Là où d’autres films auraient déjà depuis longtemps versés dans la facilité auto-référentielle (voire parodique), lui repart comme si de rien n’était aux sources mêmes de Waldemar Daninsky, faisant mine d’ignorer le destin de loup-garou réserve à son châtelain espagnol. D’un accord tacite passé avec le spectateur jouant le jeu (ce qui n’est pas forcément le cas de tout le monde, et certains trouveront que le film est très long à se mettre en place), Naschy le scénariste et son réalisateur du moment, Carlos Aured, proposent d’oublier tout ce que l’on sait déjà et de voir Waldemar avec un regard neuf, tout comme lui-même découvre son sort petit à petit, au gré de ses rêves de lycanthropes, et s’en montre particulièrement affecté. Car Waldemar est bien un humain, et lorsqu’il n’est pas recouvert de poils il est le plus charmant des hommes. Dernier né d’une lignée maudite, il vit avec ses serviteurs dont il est fort proche, à commencer par la vieille Malitza, figure maternelle détentrice du secret des Daninsky. La tristesse perpétuelle mais dissimulée de Waldemar n’a d’égal que sa générosité chevaleresque héritée d’Irineus, et c’est bien cette personnalité sensible qui confère tous leur charme aux films de Paul Naschy. L’acteur scénariste ne prend pas son sujet par dessus la jambe, il reste consciencieux et veille au grain à ne jamais sortir du romantisme très “Universal” de son personnage. Repousser la certitude de sa lycanthropie apparaît comme un moyen pour prouver que la malédiction dont est victime le personnage n’est pas la seule source de romantisme possible, et que Waldemar ne doit pas être réduit à cela. Etre le représentant d’une lignée en voie d’extinction, ne jamais avoir rencontré l’amour, être haï par les villageois, voilà ce qui fait aussi de Daninsky un personnage touchant.
La lycanthropie est l’ultime élément d’une cruelle malédiction : elle est apparue après que Waldemar ait cru une première fois rencontrer l’amour (Ilona) et elle détruit progressivement sa relation avec celle qui était effectivement son âme sœur (Kinga) en faisant du châtelain le meurtrier des parents de sa belle. Cette romance entre une jeune femme romanesque et un aristocrate torturé (sa première apparition nous le montre bouleversé d’avoir involontairement tué un gitan lors d’une partie de chasse) évoque la naïveté de la littérature fantastique de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, reprise par le cinéma d’épouvante de la Universal. L’amour damné n’est pas sans rappeler Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux ou même le Frankenstein de Mary Shelley. La lycanthropie elle-même n’est que le paroxysme de cette souffrance amoureuse, et se traduit par une métamorphose à la Dr. Jekyll et Mr. Hyde (l’homme sensible qui devient une bête sauvage), parcourue d’une bonne dose de Frankenstein (car une fois devenu loup-garou, Waldemar n’est arrêté que par la vision de Kinga, affirmant son côté foncièrement humain, en lutte avec la part bestiale). Là aussi, dans le côté horrifique, la naïveté prévaut. Le maquillage du loup-garou est sommaire, ses assauts manquent singulièrement de panache (il pourrait n’être qu’un simple tueur que cela ne changerait pas grand chose), mais ils revêtent cette théâtralité quasi-victorienne. Le look du film, différent des teintes oranges de La Furie des vampires, ressemble davantage aux poncifs du cinéma gothique, et l’histoire de déroule d’ailleurs lors de ces mêmes années au tournant des XIXème et XXème siècles. On y retrouve donc ces villageois superstitieux, ce vieux château plein de bougies, ces femmes en robes vaporeuses qui ont fait les belles heures du cinéma d’épouvante. Même truffé de séquences gores (et leurs effets de maquillage peu gracieux) ou de nudité intégrale, L’Empreinte de Dracula reste bien plus ancré dans le cinéma fantastique à l’ancienne que dans le modernisme de cette année 1973 qui vit débarquer L’Exorciste. Le goût de Naschy pour le fantastique est tel que les croyances populaires folkloriques gagnent leur duel avec la rationalité de la science, représentée par le policier du coin ainsi que par la famille de Kinga.
Bien que disposant du même penchant pour le lyrisme, pour les monstres et pour les mêmes dialogues emphatiques qu’un Jean Rollin, un film de Waldermar Daninsky avec Paul Naschy restera toujours au dessus des films du réalisateur français. Beaucoup plus soignés, beaucoup mieux montés, beaucoup plus denses (quand on sait les regarder autrement que pour la seule lycanthropie), beaucoup mieux interprétés, les films de Naschy réussissent à faire mouche à chaque fois. L’Empreinte de Dracula, tout en ne révolutionnant rien (comme tous les films de Naschy) est un petit classique du film de loup-garou, une sorte de synthèse très pure d’un style qui avec le temps et la satiété du public est devenu difficile à manier (il n’y à qu’à voir le romantisme impersonnel et pourtant grandiloquent du Dracula de Coppola pour s’en convaincre).