L’Empire du crime – Fernando Di Leo
La Mala ordina. 1971Origine : Italie
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Un climat de suspicion règne entre la toute puissante mafia new yorkaise et sa petite sœur milanaise. Une cargaison de drogue envoyée en Italie par Corso, parrain américain, a été dérobée. Le coupable semble être Luca Canali (Mario Adorf), ancien employé de la mafia milanaise de Don Vito Tressoldi (Adolfo Celi), viré de l’organisation et reconverti depuis dans une médiocre affaire de proxénétisme. Pour régler son compte à cet empêcheur de tourner en rond, Corso envoie à Milan deux de ses plus violents tueurs, Dave Catania (Henry Silva) et Frank Webster (Woody Strode), et leur donne pour consigne de se montrer les plus brutaux possible, histoire de bien rappeler qui est le chef à un Tressoldi lui aussi suspecté. Livrer Canali aux deux brutes sera d’ailleurs à la charge du milanais, qui dispose là d’une occasion parfaite pour montrer son honnêteté aux new-yorkais. Mais les choses ne se passeront pas comme prévues : loin d’être le petit maquereau sans envergure auquel tout le monde s’attendait, Canali fera au contraire preuve d’un sens de la débrouille hors du commun, faisant la nique aux deux mafias et contribuant à détériorer leurs relations…
Avec La Mala Ordina, c’est à une véritable immersion dans le monde du crime que nous convie le très doué Fernando Di Leo, qui venait tout juste de tourner un très bon Milan Calibre 9. Les civils n’interviennent aucunement dans l’intrigue et la police ne se montre jamais, évitant ainsi au spectateur d’avoir à se farcir une enquête qui aurait certainement ralenti le rythme du film. Di Leo met donc toutes les chances de son côté, et, si son film ne peut paraître que moyennement crédible, on ne saurait lui reprocher de manquer de panache. Du début à la fin, son polar se caractérise par sa frénésie toute latine, portée par un casting de très haute volée. Mario Adorf fait du personnage principal un sympathique petit truand grande gueule, un flambeur volontiers sarcastique, non dépourvu de sentiments pour ses proches. La chasse à l’homme lancée contre lui le poussera à s’affirmer, à dépasser sa condition de petit proxénète insulté par sa poule du moment (incarnée par Femi Benussi) pour faire la honte du grand parrain milanais, un Adolfo Celi reprenant bien des traits du bras droit de Blofeld qu’il fut dans Opération Tonnerre (à noter d’ailleurs une référence ouverte faite à James Bond, Don Vito déplorant que Canali “se prenne pour James Bond)”. Agacés, énervés, les milanais vont toujours plus loin dans la violence, tandis que les deux tueurs New Yorkais attendent et s’énervent à leur tour. Henry Silva et Woody Strode personnifient ces brutes épaisses, le premier se montrant d’un sans-gène total, tandis que le second nous fait le coup de l’armoire à glace taciturne et menaçante. Deux stéréotypes de tueurs, qui ne seront pas sans être parfois tournés en dérision, notamment par des prostituées décidément très taquines envers leurs “exploiteurs”.
En ironisant volontiers sur la traditionnelle solennité du milieu mafieux, en optant pour le modeste héros abandonné par ses amis et capable malgré tout de tenir deux des plus importantes mafias à distance, Di Leo confère à son film une tonalité humoristique sous-jacente, jamais envahissante. Pas de gags outranciers à l’horizon, tout juste le comportement 100% latin de son héros bon vivant, bavard parlant avec les mains. Adorf n’a pas le physique d’un Franco Nero ni même son caractère, mais les talents de son personnage sont multiples, ce qui contribue à créer ce léger décalage humoristique permettant d’affirmer que Di Leo ne se prend nullement au sérieux. En revanche, son exubérance sera criante lors des nombreuses scènes d’action, parfois d’une énorme cruauté (femme battue, fillette écrasée complaisamment, chaton ronronnant victime d’une fusillade)… Le point de non retour sera atteint lorsque la fille et la femme de Canali se feront renversées par un camion conduit par un des hommes de Tressoldi. Ce moment clef sera sans conteste la meilleure scène du film. Pétant complément les plombs, Canali se lancera dans une course poursuite échevelée qui mettra la ville sens dessus-dessous. On le verra notamment grimper sur le capot de son ennemi et défoncer le pare-brise à coup de boule ! Le film ne se reposera plus, et le cave fera plus que de se rebiffer : seul, il donnera l’assaut contre les mafieux à ses trousses jusqu’à un final d’anthologie, à la violence devenue très “cartoonesque”.
Très violent, sarcastique, mené à rythme effréné, pourvu d’un casting plein de “gueules” (n’oublions pas non plus les femmes, peu avares de leurs charmes) dominé par un Mario Adorf prouvant qu’il aurait largement été à sa place dans Le Parrain et dans La Horde sauvage (deux films qu’il eut la mauvaise idée de refuser), La Mala Ordina est le haut du panier des polars italiens. Di Leo prouve ses grandes capacités de metteur en scène touche-à-tout, généreux dans ses penchants “bis” tout en sachant ne pas sacrifier la conception de ses films sur l’autel du racolage commercial.