L’Affaire Thomas Crown – Norman Jewison
The Thomas Crown Affair. 1968Origine : États-Unis
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Film plus ou moins adapté de la vraie histoire de l’escroc belge Tomas Van Der Heijden, L’Affaire Thomas Crown est le film duquel Steve McQueen fut le plus fier. S’il est permis de douter qu’il s’agisse du meilleur film de la carrière du solide rouquin, on peut tout de même avouer que McQueen réussit là un beau coup, en profitant du refus de Sean Connery d’apparaître dans le rôle-titre pour marcher sur ses plates bandes, a priori guère faites pour lui, celles du héros chic et choc. Thomas Crown (McQueen) est en effet un de ces personnages classieux, un homme riche à qui tout semble réussir. Mais cette vie trop facile l’ennuie, et c’est pour cela qu’il va organiser le cambriolage de sa propre banque : c’est une façon comme une autre de passer le temps. Il sera donc on ne peut plus ravi lorsqu’une enquêteuse aussi douée que charmante nommée Vicki Anderson (Faye Dunaway), employée par les assurances de la banque, remontera jusqu’à lui, avec pour objectif de trouver les preuves de sa culpabilité. C’est l’occasion pour lui de trouver un adversaire à sa mesure, et même plus : une possible amante.
Et il sera servi, puisque le personnage de Faye Dunaway est le complément logique de celui de McQueen : c’est une femme sûre d’elle, une femme prête à user de ses charmes, et qui entre avec joie dans le petit jeu du chat et de la souris en lequel consiste cette enquête. Dès le départ, les deux savent à quoi ils participent : Vicki déclare à Crown qu’elle est là pour le faire tomber, et celui-ci, sans faire d’aveux, ne fait rien pour cacher sa culpabilité. Ca sera à celui qui se déstabilisera le premier, et très vite, leur relation, parrallèlement aux coups tordus qu’ils s’infligent l’un l’autre, tournera au flirt. Un flirt particulier, entre deux fortes personnalités non dépourvues d’humour. L’alchimie entre les deux acteurs fait merveille et donne lieu à des scènes mémorables, la plus évidentes étant bien entendu celle du jeu d’échec, véritable représentation métaphorique de la situation des deux personnages, et qui a lieu dans une atmosphère regorgeant de tension sexuelle : la façon dont chacun manie ses pions, la mise en scène de Jewison collée aux regards des personnages et aux mouvements très érotiques de Faye Dunaway, cette scène est le point culminant de cette lutte stylisée, dans laquelle les émotions (l’attrait du danger, l’attraction physique) sont plus fort que les sentiments. Mais c’est alors que Jewison va commettre une grossière erreur. Après le torride baiser venant clore cette scène de jeu d’échec (par ailleurs paraît-il le plus long baiser de l’histoire du cinéma), ce sont justement les sentiments qui vont prendre le pas sur les émotions, du moins en ce qui concerne Vicki.
Dès lors, le film devient une histoire d’amour dans laquelle seul Crown a un véritable rôle à jouer, Vicki apparaissant comme vaincue. Il est fort dommage que le réalisateur ait rompu le charme de son film, son duel, pour étudier plus en profondeur son personnage principal. On apprend ainsi que celui-ci n’est en fait pas si machiavélique que cela, et qu’il peut même avoir plusieurs motivations raisonnables (donc autres que l’ennui) pour agir comme il l’a fait. Il est en effet séparé de sa femme et de son enfant, et il se plait également à truander le système capitaliste avec jubilation. Des explications qui approfondissent certes le personnage, mais qui font perdre au film l’intensité de l’affrontement entre celui que l’on considérait comme un millionnaire aussi immoral que charismatique et celle qui était jusqu’alors une vraie femme fatale moderne. On retrouvera de temps à autre l’imprévisibilité qui caractérisait les relations entre les deux, mais ces occasions seront rares, Jewison préférant miser sur l’attachement désormais définitif de la femme pour l’homme, et son regret d’avoir effectué son travail avec trop de zèle. Car si lui est vainqueur au niveau personnel, c’est elle qui est en train de l’emporter au niveau professionnel. Le drame prendra le dessus, et nous n’y gagnerons pas vraiment au change. Tout le cadre luxueux et le maniérisme élégant du réalisateur (qui aura usé notamment de split screens au début du film) passera un peu à la trappe malgré quelques surprises finales assez ambiguës.
Il n’est pas fréquent de regretter qu’un film approfondisse son personnage principal. Mais ici, c’est bien le cas. Voilà la contrepartie de la trop grande réussite de l’opposition entre deux personnages aussi détestables que facinants. On se doit ainsi de saluer les excellentes prestations des acteurs (McQueen mérite bien son surnom de “King of Cool”), de même que le travail formel de Jewison (fleurant bon les sixties), mais au final, L’Affaire Thomas Crown n’est pas aussi passionnante qu’elle promettait de l’être. Du chef d’oeuvre potentiel auquel on croyait assister à mi-film, il ne restera finalement qu’un film très efficace…