Kriminal – Umberto Lenzi
Kriminal. 1966Origine : Italie
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Bandit génial qui a défrayé la chronique et fait tourner les autorités en bourriques, Kriminal est enfin sous les verrous. Même qu’on s’apprête à le pendre ! A moins que… Mais oui, le brigand parvient encore à s’échapper ! La faute à une corde trop fragile, à une panne d’électricité et à des souterrains non gardés. De la malchance en cascade ! Ce fâcheux concours de circonstance est un peu gros, et de fait il s’explique par les machinations de l’inspecteur Milton, qui espère ainsi que Kriminal, étroitement surveillé, le mènera vers l’objet de son dernier larcin qu’il a toujours refusé de restituer : rien de moins que la couronne d’Angleterre ! Las… L’ignoble criminel a tôt fait de briser la filature. Cerise sur le gâteau, en guise de provocation, il se permet même d’adresser à Milton un colis contenant la couronne tant recherchée, au motif qu’il n’arrive pas à lui trouver preneur ! C’est que Kriminal est en fait déjà passé à autre chose : il s’intéresse désormais à une prochaine cargaison de diamants entre Londres et Istanbul. Via son ex-épouse, impliquée à titre professionnel dans cette transaction, il prend l’affaire en route… et découvre une sombre histoire d’arnaque à l’assurance qui va devoir le faire cogiter pour réussir à s’emparer de la précieuse joaillerie.
Après-guerre, sous l’influence conjointe de l’évolution des mœurs culturelles et de l’arrivée de la pop-culture américaine, le neuvième art prend son envol. En Italie, cela provoque le développement de ce que l’on nomme aujourd’hui les “fumetti”, ces bandes-dessinées locales qui tinrent la dragée haute à la concurrence étrangère dont elles s’inspirèrent sans toutefois les singer intégralement. Des modèles incarnés notamment par les comics naquirent ainsi plusieurs “héros” italiens qui façonnèrent à leur façon une sous-variété de fumetti : les fumetti neri. “Neri” (noirs) car leurs personnages vedettes, lorgnant également du côté de la littérature et notamment du serial français Fantômas de Pierre Souvestre, étaient des criminels notoires à la ruse incommensurable. Diabolik en 1962 fut le premier et le plus réputé de ces anti-héros, entraînant quelques collègues dans son sillage. Parmi eux : Kriminal, Satanik ou encore Demoniak… La claquante sonorité “k” était fort prisée par ces noms toujours évocateurs de la coquinerie des loustics en question. Leur succès commercial ainsi que le style de leurs aventures, bien inscrit dans l’époque, en faisaient du pain bénit pour le cinéma qui ne tarda pas à s’en emparer. Bien entendu, le plus gros morceau, Diabolik, fut fort demandé. Y compris par Umberto Lenzi, qui ne parvint pas à ses fins mais qui en se rabattant sur Kriminal devança Mario Bava, à qui Diabolik fut finalement confié. Son film devance de deux ans Danger : Diabolik et est peut-être le premier du (sous-)genre ! Pourtant, on ne peut guère dire qu’il a atteint le même niveau de reconnaissance, et encore moins que Bava s’en soit inspiré.
Qu’imagine-t-on au moment de visionner une adaptation d’un de ces “fumetti neri” ? Et bien un concept que Danger : Diabolik a porté à la postérité : un film bariolé, au kitsch assumé, doté d’un second degré et d’un rythme enlevé tout droit inspiré de la BD d’origine. Dans le cas de Kriminal, personnage qui selon les connaisseurs accentue la violence et l’érotisme, cela pourrait tout à fait coïncider avec le profil de Umberto Lenzi. Pourtant, le cahier des charges niveau excentricité est loin d’être rempli : pour une introduction transposant des cases de BD en action réelle et pour un costume de squelette pas piqué des vers (d’ailleurs assez peu utilisé), il y a un très large penchant à la retenue. Lenzi n’a jamais été en aucune manière un pionnier, ce qu’il démontre ici ostensiblement. Kriminal a peut-être été fait un peu trop tôt, en tout cas avant que certains réalisateurs n’osent clairement verser dans le psychédélisme chatoyant. Toujours est-il que pour dire les choses clairement, il manque d’identité par rapport à ses successeurs. L’univers dans lequel évolue le criminel n’a rien de surréaliste : sa photographie est ordinaire, ses décors restent éloignés de l’onirisme et la mise en scène du réalisateur n’est guère stylisée. Les personnages qui y évoluent gardent toujours les pieds sur terre : Kriminal est rusé mais n’a aucun “super-pouvoir”, l’inspecteur Milton se casse systématiquement les dents au moment de l’arrêter (une sorte de running gag), les joailliers magouilleurs -hommes et femmes- sont des antagonistes tout ce qu’il y a de plus conventionnels, et les quelques petites pépées en maillots de bain survenant ici où là seraient tout aussi à leur place dans un simple film de plage comme il en sortait quelques un à cette époque où les Beach Boys avaient le vent en poupe. Reste que malgré tout, un esprit BD subsiste par le biais de la musique et par le nombre conséquent de rebondissements échevelés sur la route de ce McGuffin qu’est la cargaison de diamants.
En fait, plutôt qu’à un simili Danger : Diabolik, Kriminal -le film- ressemble à un James Bond. Et Kriminal -le personnage, du moins sans son costume- ressemble lui-même à l’agent 007 tel qu’incarné par Sean Connery. Même dégaine chic, même arrogance, même sang-froid et même teint hâlé (par contre Kriminal est blond aux yeux bleu vif : l’acteur batave sort d’un western). Lui aussi fréquente la haute bourgeoisie et les décors prestigieux, qui du reste défilent au cours des pérégrinations diamantaires. Ainsi, nous démarrons dans le cadre très british de Buckingham avant de passer sur les “costas” espagnoles puis de finir aux abords de Sainte-Sophie, à Istanbul, non sans passer par quelques étapes obligées : piscines extérieures, casino, villas de luxe… Dans un double rôle (car deux jumelles font partie de la machination), Helga Liné joue aux machiavéliques femmes fatales, tandis que l’ex madame Kriminal est plutôt là pour jouer aux demoiselles facilement séduites par son manipulateur d’ex-mari. Lequel, et c’est là la différence majeure l’opposant à James Bond, joue à la fois le rôle de génie du mal et de personnage principal. Il n’y a donc pas d’équivalent du SPECTRE et de Blofeld : juste un as du crime qui s’évertue à démêler les fils d’une complexe mais vulgaire arnaque à l’assurance. Ce qu’il fait avec méthode mais non sans une certaine immoralité qui, là, nous rappelle que nous sommes bien dans un film d’Umberto Lenzi. Kriminal assassine sans scrupule, envoie par exemple un colis piégé à la police qui est à deux doigts d’envoyer son ex-femme ad patres, pousse le vice jusqu’à substituer de l’acide à un après-rasage ou encore à enfermer une vieille bourgeoise dans un sauna surchauffé. Rien de très graphique à l’écran, mais l’idée de cruauté est là et germera pleinement lorsque Lenzi se mettra au polar pur et dur.
Bien qu’on puisse lui reprocher de se montrer globalement assez sage dans la forme, Kriminal se pare d’un appréciable second degré qui vient assumer le côté bon-enfant de l’ensemble, faisant passer la pilule d’un scénario abusivement retors. A ce titre, le film s’avère plutôt réussi si l’on veut bien le prendre davantage comme un sous-James Bond que comme un film de super-héros kitsch (étiquette sous laquelle il est généralement vendu). Et surtout, il annonce les meilleures années de la longue carrière d’Umberto Lenzi, celles où il se posera en ponte du poliziesco, en ne faisant en gros que recycler les mêmes recettes qu’ici mais avec plus d’ardeur : l’intrigue qui part dans tous les sens, la violence, l’immoralité et les personnages hauts en couleur. Comme quoi, Kriminal a bien été fait un peu trop tôt.