Kafka – Steven Soderbergh
Kafka. 1991Origine : Etats-Unis / France
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Kafka “avait la vie comme on a le cancer” disait l’immense Pierre Desproges. Une constatation qui donne un bon aperçu du désespoir que l’on retrouve dans l’oeuvre de Kafka. Un désespoir mâtiné d’absurde, mais un absurde pathétique et non comique… Un absurde inhumain que l’on retrouve dans le film de Soderbergh, lui conférant un profond aspect de film d’anticipation, composé d’une dénonciation de toutes les formes d’administrations, et principalement l’administration politique, que Kafka rend distante de la vie de tous les jours en la transformant en entité mystérieuse, intouchable, invisible, bureaucratique à outrance et clairement dictatoriale.
Bref j’attendais que le film rende cet élément. Un pari complexe. Et Soderbergh s’en sort vraiment honorablement. Le film n’est pas une adaptation d’un livre de Kafka, ni même une biographie de l’auteur. Tout juste peut-on y trouver quelques incorporations au scénario d’éléments tirés des livres de Kafka : Le Château, Le Procès, La Métamorphose… Soderbergh raconte la vie d’un personnage appelé Kafka, un agent d’assurances, qui va enquêter lui-même sur la disparition d’un de ses amis… Il va être amené à découvrir des choses sur la compagnie pour laquelle il travaille. Notamment qu’elle n’est pas pour rien dans la disparition de son ami, et qu’elle est liée au Château, lieu mystérieux qui surplombe la ville et d’où toutes les décisions (souvent injustifiées et illogiques) sont prises, par on ne sait qui… Les personnes extérieures que le Château convoque ne réapparaissent jamais…
Le film est essentiellement en noir et blanc. Un noir et blanc luxueux, surréaliste, quasi-expressionniste, magnifié par le décor de la ville de Prague (où Kafka habitait effectivement). Le climat désespérant est très bien rendu, notamment grâce à la lenteur du rythme ainsi qu’à la prestation vraiment énorme de Jeremy Irons, qui campe un Kafka assez impassible, que la bêtise humaine semble ne plus surprendre, et qui s’est résigné à sa vie mélancolique (son look est très semblable à un Humphrey Bogart, par exemple : un personnage ténébreux, vêtu d’un imper et d’un chapeau…). Les autres acteurs s’en sortent également très bien, en jouant des personnages encore très spéciaux, absurdes car leurs défauts sont volontairement exagérés, et désespérant par leur manque d’humanisme.
Seule la fin du film est en couleur, pour la partie dans laquelle Kafka se rend dans le Château, où toute l’administration de la ville est située… Cette partie du film est celle qui correspond le moins à l’univers de Kafka. Car à partir de là l’administration n’est plus cette entité mystérieuse, elle est dévoilée. Nous sommes ici plus proche du Brazil de Terry Gilliam (le meilleur film du monde, je vous le rappelle). Cette administration est en tout cas véritablement atroce, se livrant à des expériences secrètes sur l’esprit humain, lui rappelant ses pires heures. Là ou Kafka ne donnait aucun élément, ne donnait aucune forme concrète à ces entités, Soderbergh a choisi de la rendre plus rationnelle, et donc plus apte à être combattue. De plus le personnage Kafka s’en sort, en faisant exploser une salle… c’est beaucoup trop concret, et c’est également trop optimiste pour du Kafka.
Mais il n’empêche : l’ensemble est réussi. L’une des meilleures “transposition” de l’univers de Kafka à l’écran.