Indiana Jones et le cadran de la destinée – James Mangold
Indiana Jones and the Dial of the Destiny. 2023.Origine : États-Unis
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A ceux qui se posaient la question de savoir ce que pourrait apporter un quatrième épisode à la saga Indiana Jones, Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal apporta une réponse cinglante : absolument rien. Entrepris pour de mauvaises raisons et tentant de décliner les rapports père-fils déjà au cœur de Indiana Jones et la dernière croisade sans jamais en retrouver l’alchimie, ce quatrième opus échoua à peu près sur tous les niveaux. Et en dépit d’un Harrison Ford toujours aussi fringant dans le rôle, rien n’incitait à poursuivre l’aventure. Or contre toutes attentes, David Koepp s’attelle à l’écriture d’un scénario dès le début des années 2010 pour un cinquième opus que Steven Spielberg se dit prêt à mettre en scène. En dépit de multiples tentatives, David Koepp ne parvient pas à contenter les différentes parties. Outre Steven Spielberg, George Lucas et Harrison Ford sont aussi décisionnaires. Le projet semble devoir définitivement en rester là. Cependant, l’année 2012 marque un tournant. En revendant la Lucasfilms au mastodonte Disney, George Lucas relance indirectement le projet d’un cinquième épisode. La firme aux grandes oreilles n’a pas pour habitude d’investir des sommes folles pour laisser en sommeil des franchises lucratives. Si elle se consacre en premier lieu à la reprise de l’univers Star Wars avec Le Réveil de la Force, elle garde un œil attentif sur le devenir d’Indiana Jones. Loin de l’échauder, le pas de côté de Spielberg qui délaisse la réalisation pour le seul poste de producteur apparaît comme une aubaine. Elle perd en prestige ce qu’elle gagne en malléabilité. Car si James Mangold, son suppléant, n’est plus le réalisateur prometteur de Copland, il s’est depuis constitué une filmographie éclectique passant par tous les états, du thriller manipulateur (Identity) au blockbuster impersonnel (Wolverine : Le Combat de l’immortel) en passant par le film à Oscars (Walk the Line) ou la confrontation de stars (Tom Cruise et Cameron Diaz dans Night and Day, Christian Bale et Matt Damon dans Le Mans 66). Il s’impose comme un candidat crédible qui, en outre, présente avec Logan l’avantage d’avoir déjà œuvré au crépuscule d’une icône populaire.
En ce 13 août 1969, alors que l’Amérique célèbre ses nouveaux héros à la suite de la conquête de la Lune dans les rues de New York, un autre héros, quelque peu oublié celui-là, prend sa retraite. Inconsolable depuis la mort de son fils Mutt parti au Vietnam et en instance de divorce avec Marion, Indiana Jones traîne sa mélancolie dans un bar où il a ses habitudes. Entre deux rasades de whisky, il se fait accoster par une jeune femme qui n’est autre que sa filleule, Helena Shaw. Le père de celle-ci, grand ami d’Indiana, a voué sa vie à la recherche du cadran de la destinée divisé en deux morceaux et qui, une fois reconstitué, indiquerait le tombeau de son créateur, Archimède. Désireuse de poursuivre la quête paternelle, Helena espère que Indiana Jones saura la mettre sur le bon chemin. Il fait mieux que ça en lui remettant la moitié en sa possession, entreposée depuis des années dans les réserves de son université. Sauf qu’elle n’est pas la seule à rechercher l’artefact. Le Dr. Jürgen Voller est aussi sur sa trace et il est prêt à tout pour parvenir à ses fins. Même à tuer des innocents. Accusé des meurtres perpétrés par les sbires du Dr. Voller, Indiana Jones n’a dès lors plus d’autre choix que de partir à l’aventure. Et celle-ci démarre à Tanger, là où Helena a prévu de vendre aux enchères le demi cadran acquis par duplicité.
Le choix de faire coïncider le début de cette ultime aventure avec la célébration des membres d’équipage de la mission Apollo XI n’est pas anodin. Alors que les États-Unis sont résolument tournés vers l’avenir que représente la conquête spatiale, Indiana Jones, lui, rumine son glorieux passé. Au fil du temps, il est devenu l’égal des reliques qu’il a cherchées toute sa vie, complètement anachronique dans un monde en constante mutation. Même lorsqu’il accomplit des choses extraordinaires, comme par exemple chevaucher d’une station de métro à une autre en empruntant les voies sans que sa monture ne prenne une décharge électrique, il est tout au plus observé comme un original mais ne suscite en aucune façon la sidération. Il est renvoyé à son grand âge et à la quasi invisibilité des vieilles personnes au sein d’une société qui fait bien peu de cas de leur sort. Ce sont ces voisins indélicats, de jeunes hippies, qui écoutent les Beatles le volume poussé au maximum et qui, face à la plainte du Dr. Jones, lui claquent la porte au nez en guise d’unique réponse. Ce sont ces étudiants peu concernés qui le laissent se démener avec son cours. Ou encore ces collègues qui saluent son départ à la retraite sans tambours ni trompettes. Indiana Jones n’existe plus que comme un souvenir. Heureux dans la bouche de Sallah, qui pour son retour dans la saga passe son temps à narrer les exploits d’antan de son ami à sa progéniture. Opportun pour Helena qui revient vers lui parce qu’elle se rappelle qu’il est désormais le seul à savoir où se trouve le demi cadran de son père. Et douloureux pour Jürgen Voller, qui lui doit une sérieuse commotion et une fâcheuse perte de temps dans son entreprise de reconquête. Il n’est plus question du héros de guerre multi-décoré évoqué dans l’épisode 4, ni de la sommité en archéologie. Juste d’un vieux bougon qui ne semble plus rien avoir à espérer de l’existence. Il se lance dans l’aventure plus contraint qu’autre chose – le fameux avis de recherche pour meurtres, grosse ficelle scénaristique dont on ne se souciera plus par la suite -, sans cette passion qui l’animait jadis. Cette même flamme que Harrison Ford a perdu pour son métier d’acteur, ne démontrant plus aucune ambition artistique depuis des lustres et acceptant comme à la parade de dénaturer certains personnages emblématiques de sa filmographie dans des films à l’approche paresseuse (Le Réveil de la Force et Blade Runner 2049). Ici, Indiana Jones suit un chemin similaire même si répondant à une certaine logique interne, héritière des évolutions apportées lors d’Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal. En faisant de Mutt Williams, le fils caché, l’une des victimes de la guerre du Vietnam, cela permet d’inscrire le film dans son nouveau contexte historique tout en plaçant son héros sous l’égide du deuil. Le deuil d’une époque et de la vie heureuse que la fin du précédent épisode lui promettait. Au moment de son réveil en sursaut dans cette Amérique de l’été 1969, nous sommes face à un Indiana Jones qui n’a plus rien à quoi se raccrocher. Et l’heure de la retraite ayant sonné – selon un sens du timing particulièrement hasardeux à l’aune d’une année scolaire classique – Indiana Jones et le cadran de la destinée nous invite en quelque sorte à assister à sa petite mort. On a connu programme plus heureux.
La logique voudrait qu’une fois l’aventure lancée, Indiana Jones retrouve peu à peu ses attributs de héros et son panache d’antan. Sauf qu’il ne suffit pas de lui faire rendosser la tenue caractéristique pour que la magie opère de nouveau. Le film oscille alors constamment entre la volonté de donner ce que les gens sont venus voir (l’intrépide Indiana Jones en action) et celle de rappeler qu’à son âge, tout cela n’est guère raisonnable (ce moment d’introspection qu’il s’accorde, suspendu à une paroi de l’Oreille de Denys, la grotte artificielle de Syracuse). Si les scènes d’action tentent d’intégrer l’âge vénérable d’Harrison Ford, non sans quelques libertés avec la vraisemblance (cela reste du cinéma), elles pêchent surtout par leur trop longue durée. Loin de dynamiser un récit déjà léger sur le plan de la quête, elles contribuent à le plomber davantage par leur côté remplissage. Tout le film paraît avoir été pensé pour son climax sans trop se soucier de la manière d’y arriver. Des scènes et des personnages se retrouvent mal exploités, voire sacrifiés. Il en va ainsi du marin Renaldo (Antonio Banderas venu cachetonner) et de la séquence de plongée sous-marine qui doit permettre à Indiana Jones et Helena de mettre la main sur le Graphicon, une tablette codée qui renseigne sur l’emplacement où se trouve l’autre partie du cadran. Ce passage n’existe que pour raviver le souvenir de la phobie des serpents du célèbre aventurier via des anguilles, n’exploitant que très peu cet environnement aquatique, pourtant inédit au sein de la saga. Un clin d’œil, comme si les Indiana Jones étaient désormais condamnés à devoir éternellement tourner autour des mêmes gimmicks. Que l’antagoniste soit un nazi va dans ce sens, tout comme la traitement de Teddy. Outre celle d’un deus ex machina sans lequel l’intrigue ne pourrait pas retomber sur ses pattes, le garnement n’a d’autre utilité que de convoquer le souvenir de Demi-lune, le gamin dévoué de Indiana Jones et le temple maudit. Helena s’avère quant à elle un mélange plus complexe entre la Marion Ravenwood des Aventuriers de l’arche perdue et le Indiana Jones des débuts. On retrouve chez elle l’ascendance de la première – un éminent homologue et ami du Dr. Jones – et l’abnégation sans faille du second. Elle a un objectif et s’y tient, quitte pour cela à se montrer un brin manipulatrice. Sa vénalité apparaît comme un triste reflet de l’époque, ôtant toute spiritualité à l’objet convoité. L’archéologie n’est alors plus montrée comme une passion mais uniquement comme un moyen de gagner sa vie. Une raison de plus pour Indiana Jones de tourner définitivement le dos à ce monde qui ne veut plus de lui et auquel il ne tient plus vraiment à être rattaché. Cette ultime aventure agit comme une bulle temporelle puisque dès qu’il quitte New York, le récit traverse des lieux où le temps ne semble pas avoir de prises. Mais contrairement à ce qu’aimerait faire croire le long prologue, on ne rattrape jamais le temps perdu.
Indiana Jones et le cadran de la destinée donne l’impression de ne jamais trop savoir quel public viser. Car au fond, à qui s’adresse ce film ? Le prologue qui se déroule en 1944 tient de la bande démo destinée à montrer à un jeune public ce dont était capable Indiana Jones du temps de sa superbe. Or, même si les effets de rajeunissement sur Harrison Ford sont globalement convaincants, ils ne suffisent pas à retrouver l’âme des films originaux. Cela tient à l’acteur lui-même, qui a perdu en espièglerie et en légèreté, et à la mise en scène de James Mangold, trop lourdement démonstrative. Et pour ceux qui ont grandi avec le personnage, le film exhale un entêtant parfum d’amertume. Si le précédent épisode s’avérait très décevant, pour ne pas dire médiocre, celui-ci ne suscite qu’indifférence. Si même Indiana Jones n’y croit plus, à quoi bon faire l’effort à sa place.
Pour la premiere fois TortillasPolis critique un film qui fait l’actualité, j’aurai plaisir à lire votre critique mais n’ayant pas vu le film, je vais encore attendre un peu. Je mettrai votre critique en lien sur ma page Twitter si il y a des personnes qui veulent la lire.
S’il est vrai que l’actualité n’est pas notre fond de commerce, nous avons toujours au moins une ou deux critiques par an qui s’y rattache. Nous en sommes déjà à deux cette année avec Scream VI. Et si l’on ajoute nos podcasts traitant de Mad God et tout récemment Renfield, nous sommes pas loin de battre notre record.
Chapeau alors, j’attends votre prochaine critique d’actualité, je vous remercie de cette attention.