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Harry Brown – Daniel Barber

harrybrown

Harry Brown. 2009

Origine : Royaume-Uni 
Genre : Vigilante 
Réalisation : Daniel Barber 
Avec : Michael Caine, Emily Mortimer, Charlie Creed-Miles, David Bradley…

Harry Brown est un vieux monsieur qui essaye de mener une vie paisible dans un quartier minable. C’est aussi un homme très seul qui ne compte plus qu’un seul ami et qui va voir tous les jours à l’hôpital voir sa femme mourante -et qui ne le reconnaît plus-. C’est également un ancien Marine qui a fait une croix sur son passé mais qui garde encore ses nombreuses médailles ainsi que de vieux réflexes d’autodéfense.
C’est enfin un homme que rien ne prédisposait à la violence mais qui va prendre les armes quand la jeunesse ultra-violente du quartier lui enlève le peu qui lui reste…

Harry Brown est un film que j’attends depuis un an maintenant. Depuis les premières annonces de ce projet alléchant sur internet. Autant pour le retour en tête d’affiche d’un acteur que j’aime beaucoup (le grand Michael Caine) que pour le retour de ce genre particulier qu’est le “vigilante movie” au cinéma. Ce sous-genre du polar concerne tous ces films où est abordé le thème de l’auto-justice. Il connait une explosion dans les années 70 suite au célèbre Justicier dans la ville de Michael Winner avec un Charles Bronson devenu l’icône du genre. Très caractéristique de cette décennie, le film de vigilante est depuis quelques années revenu sur le devant de la scène, (comme d’autres sous-genres qui ont eut leur âge d’or à la même période). Toutefois les quelques projets récents qui s’avançaient dans ce genre se sont révélés, à mes yeux en tout cas, plutôt décevants. En effet, hormis A vif de Neil Jordan que je n’ai pas vu, signalons Death Sentence de James Wan (qui avais déjà commis Saw), une histoire de vengeance mal foutue qui s’approche plus du remake foireux de The Crow que d’autres chose. Il y a également eu l’immense succès Gran Torino du grand Clint, mais là encore c’était loin de mes attentes, et le film, trop timoré dans son traitement de l’auto-justice, est plus apte à séduire le grand public que l’amateur de genre qui restera sur sa faim devant ce drame social.

Mais cette fois c’est la bonne ! Harry Brown est un vrai film de genre, qui épouse à la perfection la mécanique bien huilée du film de vigilante. Et cela fait plutôt bien plaisir !
Tout d’abord parce que trop souvent le cinéma actuel s’empare des éléments les plus caractéristiques du cinéma de genre des années 70 pour de mauvaises raisons (en bref, les hommages poussifs à toujours les mêmes vieux films, la volonté de faire “old school” pour s’attirer la grâce des fans, ou vouloir faire du “fun”en réutilisant des éléments devenus désuets dans le cinéma actuel). Et ensuite parce que suivre la même recette que de vieux métrages qui ont fait leurs preuves est un gage d’efficacité indéniable (c’est tout à fait comme ça que fonctionne le cinéma d’exploitation).
Harry Brown nie donc toute la distance installée par le temps, et se positionne presque au même niveau qu’un film exploitant le filon du Justicier dans la ville. Dans sa logique narrative en tout cas. Puisqu’en effet la dynamique implacable qui a conduit Paul Kersey, le justicier de New York, à prendre les armes est ici reprise de manière quasi similaire.
Harry est présenté avant tout comme un personnage très affable, voire diminué par la vieillesse (ce qui le rends potentiellement encore moins susceptible de violence que Paul Kersey). Il est certes révolté par la violence omniprésente dans son quartier, mais ne décide pas d’intervenir pour autant. Il déconseille même son seul ami de le faire. La mort de ce dernier, qui s’accompagne de la disparition de tout son univers affectif (cela coïncide avec la mort de sa femme) l’ébranle fortement et constitue l’élément déclencheur. L’inefficacité de la police à coincer les coupables convainc définitivement notre homme à se substituer à la justice et à se faire policier, juge et bourreau.
C’est là le schéma narratif classique du “vigilante movie” que je retrouve avec plaisir. D’autant que le réalisateur ne se contente pas de l’appliquer mécaniquement, mais s’en sert pour nous présenter ses personnages, qui derrière leurs rôles parfois stéréotypés (l’ancien marine vengeur, le jeune violent et arrogant, la jeune flic idéaliste, le chef de la police borné et éloigné des réalités) constituent de véritables support à une réflexion sur la violence urbaine et la justice.
Mais avant d’être cela, Harry Brown est surtout un polar très efficace, avec de vraies scènes d’actions, des fusillades et des moments de tension. A tel point qu’on pourrait presque le qualifier, lors de certains passages, d’un vrai western urbain. Je pense notamment à l’affrontement dans le tunnel, véritable duel dans la plus pure tradition, ou encore à la scène finale dans un bar qui n’est pas sans évoquer un saloon au sol jonché des cadavres de bandits !

La mise en scène est à ce titre particulièrement inspirée, et le réalisateur Daniel Barber (dont il s’agit du premier long-métrage, voilà un nom à suivre !) excelle aussi bien dans la création de scènes dignes d’un thriller que dans la composition de plan très dynamiques dans les séquences d’actions, mais aussi lors de scènes plus contemplatives. Il se paye même le luxe d’intégrer quelques scènes plus expérimentales, filmées au téléphone portable (à ce qu’il semble du moins).
Mais ce petit bout de pellicule plein de violence qui ne demande qu’à éclater doit aussi son efficacité à une gestion très juste des différents points de vue. Évidemment, majoritairement c’est le point de vue de Harry Brown qui nous est présenté, et le spectateur est ainsi forcé d’adopter son jugement puisque ce sont ses émotions qui nous sont présentées. Mais l’écueil de la glorification de la justice par soi même est évité assez habilement, notamment par la présence d’autres personnages, aux points de vues différents, qui permettent au spectateur de faire un choix. Le réalisateur posant un regard assez neutre sur l’action présentée, quand bien même le sujet est particulièrement ambigu.
Aussi, comme pour la plupart des film traitant du sujet de l’autodéfense, la question du “fascisme” se pose. Après tout le scénario se montrant quand même assez réactionnaire dans les choix des scènes qu’il montre (la scène du début notamment, mais également d’autres passages, comme les interrogatoires où l’arrogance et la vulgarité des jeunes nous fait clairement pencher pour le coté d’Harry Brown…). Du reste, cette ambiguïté présente dans les motivations et les actions du héros est plutôt salvatrice, car elle pousse à la réflexion. Et les crétins qui d’aventure auraient envie d’acclamer l’auto-justice en arguant que “ces petits cons le méritent” n’ont clairement pas compris le message du film.

Ainsi, derrière des dehors de film de genre qui assurent une efficacité et la création d’émotions chez le spectateur, Harry Brown se veut aussi un constat assez glaçant sur la violence et la pauvreté dans nos villes. Et le métrage de Daniel Barber est autant un film social qui jette un regard qui semble très réaliste sur la criminalité urbaine qu’un polar. Ce faisant il évite le manichéisme en présentant de manière assez subtile les causes de cette criminalité, qu’il lie directement avec la pauvreté, la grisaille de l’urbanisme, et la présence de la mafia qui se substitue à l’inefficacité de l’État dans les zones les plus pauvres des villes. Il s’agit là d’un regard très lucide sur l’apparition de la violence dans les strates les plus pauvres de la société, qui ne sert pas non plus d’excuse aux comportements violents des adolescents. En effet à ce regard s’ajoute la condamnation sévère des pratiques ultra-violentes de cette jeunesse pour qui le meurtre devient un jeu (pour exemple le passage où Harry découvre le meurtre de son ami, filmé par portable -ce qui donne par ailleurs une scène à la réalisation très immersive et intéressante- ). La banalisation de la violence qui s’en-suit étant alors directement responsable de l’escalade dans les atrocités commises par les jeunes criminels.
Enfin, cette analyse sociale des milieux les plus défavorisés se double d’une observation là encore glaciale sur la condition des personnes âgées. Leur solitude est en effet un problème sérieux, surtout dans un milieu social aussi cruel que celui décrit plus haut. Cela donne lieu a des scènes très touchantes et d’une grande justesse. je pense notamment à ce passage dans le cimetière, ou Harry est le seul présent à l’enterrement de son ami, alors même que plusieurs limousines suivent un autre corbillard que l’on devine occupé par un mort ayant appartenu à une classe nettement plus bourgeoise. Une manière -à la véracité terrible- de dire que les inégalités sociale se poursuivent jusque dans la mort.

Cette réflexion sur la vieillesse et la pauvreté n’aurait sans doute pas le même poids, quelle que soit sa pertinence, si elle n’était pas portée à la fois par une mise en scène très inspirée (toutes l’analyse que j’ai décrite plus haut n’est jamais exposée autrement dans le film que par les seules images, ce que je trouve particulièrement brillant) mais aussi par de formidables acteurs.
Michael Caine en tête, évidemment.
L’acteur étant particulièrement impressionnant dans son rôle, interprétant son personnage avec autant d’émotions que de flegme. Et quel plaisir de voir le comédien britannique exécuter les “bad guys” avec le même calme que dans le fameux La Loi du milieu. Et quel déchirement de voir son personnage secoué aux larmes par les émotions qu’il traverse. Caine livre là assurément une grande prestation. Dans un autre genre, il convient de saluer également le talent des acteurs qui incarnent les jeunes criminels. d’autant que la plupart ont une expérience bien moins longue que Michael Caine, puisque certains ne sont d’ailleurs pas professionnels. Ils campent un portrait assez réaliste des jeunes membres des gangs en Grande-Bretagne.

Harry Brown se révèle être un excellent petit film qui comble toutes les attentes qu’il avait suscité. Sa richesse thématique et ses excellents choix de mise en scène en font assurément le meilleur représentant actuel d’un genre qui se fait trop rare. Et je trouve qu’il surclasse aisément le trop classique Gran Torino en traitant les mêmes thèmes de manière bien plus subtile, et le trop nul Death Sentence en racontant le même type d’histoire.
Bref une petite pépite cinématographique que je recommande chaudement maintenant que nous avons droit à sa sortie en salle !

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