CinémaDrame

Cendres et diamants – Andrzej Wajda

cendresetdiamants

Popiół i diament. 1958

Origine : Pologne 
Genre : Drame de la guerre après la guerre / idéalismes déçus 
Réalisation : Andrzej Wajda 
Avec : Zbigniew Cybulski, Ewa Krzyzewska, Waclaw Zastrzezynski, Adam Pawlikowski…

Ce jour de printemps de 1945 devrait être un jour de joie et de fraternisation pour la Pologne enfin libérée du long cauchemar de l’occupation allemande. Mais la guerre n’est pas vraiment terminée, car on assiste alors à de sanglants règlements de comptes entre les résistants des deux bords, qui hier luttaient tous contre les nazis : tandis que les “nationalistes”, liés à l’ancien gouvernement en exil à Londres, cherchent à restaurer le libéralisme bourgeois, les “rouges” contribuent activement à l’avènement de la nouvelle société communiste, avec l’appui de l’U.R.S.S.
C’est dans ce contexte de guerre civile que Maciek et son ami Andrej, jeunes militants nationalistes, reçoivent l’ordre de liquider le secrétaire du Parti polonais ouvrier, Szczuka, qui est de passage dans cette petite ville de province. Un premier attentat manqué fait deux victimes innocentes, deux ouvriers. Cet échec ébranle profondément les deux jeunes gens, d’autant qu’ils sont déroutés par ce nouveau climat politique qui succède aux rudes combats de la clandestinité.

Le goût de la paix tout juste revenue, la chaleur et l’espoir qui renaissent au milieu des ruines, l’amour qu’éprouve pour lui une jolie serveuse de bar, Krystyna, tout concourt aussi à semer le doute dans l’esprit de Maciek. Autour de lui, le manège de la vie a recommencé à tourner. Il observe avec dégoût les “girouettes”, les tristes héros du double jeu, pour qui le communisme représente le choix le plus facile, la perspective d’une brillante carrière et rien de plus…
Mais celui qu’il doit tuer est un vrai communiste, un homme qui a consacré toute sa vie à une cause. C’est aussi un patriote. Il serait bien tentant pour Maciek de renoncer à sa mission : le monde est las de la guerre ; les opportunistes fêtent “leur” paix en buvant et en dansant dans les salons d’un hôtel de ville ; là-bas, une fille douce et tendre l’attend… Il aspire à une vie nouvelle, mais la discipline l’emporte. Maciek finit par abattre la victime désignée, avant de tomber à son tour, par une sorte de sinistre hasard, au terme d’une fuite insensée et tragique, comme si il avait déclenché un mécanisme fatal.

Miroir fascinant d’une époque particulièrement trouble, hommage douloureux et crispé à une jeunesse sacrifiée, traumatisée par la guerre et déçue dans son idéalisme, le troisième long-métrage d’Andrzej Wajda éclaire singulièrement, avec le recul du temps, les ambiguïtés et les contradictions d’un cinéaste qui occupe une place unique dans l’histoire du cinéma polonais. Au fil des années en effet, Cendres et diamants a pris une valeur exemplaire et symbolique en incarnant le destin tragique d’une Pologne toujours déchirée, opprimée et divisée, et le pessimisme désespéré du film apparaît aujourd’hui tristement prophétique.
Si l’on oublie un instant les artifices formels, Cendres et diamants n’est pas sans évoquer la lenteur solennelle et les rituels de la tragédie antique. Et d’abord par son issue funeste, déterminée par quelque fatalité indéchiffrable aux simples mortels. Ensuite par sa structure dramaturgique, qui respecte les trois unité aristotéliciennes : unité de temps (le film entier est censé se dérouler en vingt-quatre heures) ; unité de lieu et d’action, tout le drame se jouant autour d’un vieil hôtel délabré d’une petite ville polonaise, où l’on fête le premier jour de paix.

Cette fascination morbide et ce sens très aigu de la prédestination tragique, qui s’expriment aussi puissamment dans Cendres et diamants, apparaissaient déjà, comme en filigrane, dans les deux films précédents de Wajda : Une fille a parlé (Pokolenie, 1955), qui décrivait la prise de conscience politique et l’engagement marxiste d’un jeune ouvrier polonais au moment de l’agression allemande, s’inscrivait en apparence dans la “ligne” idéologique stalinienne. Cependant, l’opposition des deux principaux personnages (l’un “positif”, l’autre “négatif”) révélait déjà un profond dualisme. Ils aimaient la vie (Kanal, 1957) témoigne de la libéralisation politique de 1956 en rendant hommage (chose impensable auparavant) au sacrifice héroïque des résistants nationalistes lors de l’insurrection de Varsovie en 1944. Mais en nous présentant des personnages promis d’avance à une mort inéluctable, Wajda trahissait sa fascination pour un romantisme morbide, indissolublement lié à l’âme polonaise, même s’il prétend le stigmatiser.

Toutefois, ces deux films, malgré leur originalité, restaient dans le cadre, somme toute assez conformiste, de l’épopée antinazie, faire-valoir idéal pour l’apologie communiste. Cendres et diamants apparaît beaucoup plus nouveau et audacieux par son sujet même. C’est la première fois en effet qu’un cinéaste de l’Est aborde le thème brûlant des conflits politiques qui se sont élevés au lendemain de la guerre dans les pays sous domination soviétique. Cet aspect échappa d’ailleurs à nombre de spectateurs occidentaux, mal informés sur cette période complexe.
Sous prétexte que Wajda exposait honnêtement les doutes de ses héros, quelques-uns verront d’ailleurs dans son film une apologie de la dissidence. Il n’en est pourtant rien et les positions personnelles du cinéaste demeurent extrêmement claires : il décrit avec beaucoup de respect le dirigeant communiste que Maciek doit tuer. A ce dernier, il réserve sa pitié et sa compréhension, celles que l’on éprouve pour les êtres tourmentés et condamnés par l’Histoire. Ceux qu’il condamne, ce sont plutôt les bourgeois opportunistes, pour lesquels tous les drapeaux se valent, ceux qu’il décrit comme des fantoches grotesques, retournant à leurs affaires après la fête.

Wajda n’a pas voulu se limiter à l’analyse politique et historique. A travers ses personnages, il a voulu réaliser une allégorie poétique sur l’idéalisme et le drame d’une jeunesse inquiète et qui cherche en vain sa voie. A cet égard, le film aura une singulière actualité pour les jeunes polonais de l’époque, fascinés par les modes occidentales : ce n’est pas un hasard si l’acteur Zbigniew Cybulski, a été surnommé “le James Dean polonais”. Avec le recul, le film souffre d’ailleurs du style de jeu maniéré et spectaculaire de l’acteur, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il manque de sobriété.
On reprochera aussi à Wajda le symbolisme outrancier de ses images et ses recherches formelles un peu trop apparentes. Rien de gratuit pourtant dans ce film baroque qui annonce fort logiquement des œuvres ultérieures plus épurées.

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